A1.2 : Re-présenter la représentation théâtrale : de la traduction complexe entre autopoïèse théâtrale et (trans)figuration audiovisuelle Pascal Bouchez ; MCF, Université de Valencienne Hainaut Cambrésis Résumé. Si l'on s'aventure à oser vouloir garder trace, à des fins de mémoire (documentaire ?) et de transmission, du « spectacle vivant » appréhendé comme hyper-complexité en actes, à chaque instant, scène et salle enchevêtrées, l'outil audiovisuel, fruit de l'idéal scientiste occidental de par ses conditions historiques d'émergence, est-il parfaitement adapté ? Et cependant, quelle reliance féconde susciter sur des complexités « déchiffrées » dans leur poétique ressentie, pour que l'art immémorial, immédiat, polyphonique et « chaud », du théâtre soit à même de consoner à la perfection avec l'art illusionniste, séquentiel, multifocal et « froid » (en dépit de la possibilité du « direct ») généré dans le meilleur des cas par les médiations audiovisuelles ? Mots-clés. Autopoïèse théâtrale, spectacle vivant, audiovisuel, mémoire, jeu, trace, présence, nouvelles écritures, complexité, réalisation, captation, recréation. 1 Introduction En tant que réalisateur, j'ai été confronté sept années durant à la nécessité de générer une certaine mémoire documentaire du spectacle vivant, ce qui pose de très nombreux problèmes que j'ai découvert sur le terrain, et au quotidien. Dans le champ théâtral, partir de la vie des corps dans l'intensité spontanée du partage pour aboutir à la trace audiovisuelle spectrale, mortifère, métaphorique... quoique aussi formidable machine virtuelle à induction des activités cognitives spectatorielles. Avec en toile de fond la « sentence » d'Antoine Vitez qui menace d'anéantir toute initiative en ce sens, et selon laquelle lorsque l'on filme un spectacle, « on perd tout »... La réponse est en fait à mes yeux paradoxale, car diffractée sur des couches différentes dans la densité insaisissable du réel : oui, on perd tout du « feu théâtral » qui, pour paraphraser ce que Edgar Morin a écrit à propos du vivant1, vit à la température de sa propre destruction, scène et salle indissociables. Filmer du théâtre, c'est toujours avant toute chose filmer l'impossibilité de filmer du théâtre ; et pourtant, simultanément, non, on ne perd pas tout, dans une toute autre perspective, il reste quelques cendres partiellement recomposables, des traces à réoxygéner, aptes même, à ce titre, à participer à une mémoire multiréférentielle potentielle du spectacle vivant. 1 Morin Edgar, La méthode, t.2, La vie de la vie, Éditions du Seuil, Paris, 1980. 1 2 Autopoïèse théâtrale Le « théâtre » se construit par une relation d'accord et de résonance entre deux groupes d'humains à travers un dispositif codifié. Il émerge de ce partage croisé permanent des écoutes, cohérentes et unifiées, une qualité et une densité de présence2 particulière, sur scène et dans la salle. Les imprévus, aléas, et autres surprises de jeu sont intégrés dans un mouvement tourbillonnaire que j'ai proposé de nommer autopoïèse théâtrale, en référence à l'approche autopoïétique de Humberto Maturana et de Francisco Varela3. L'autopoïèse théâtrale est dès lors la matrice qui génère, accompagne et permet le déploiement, le « surf » pourrais-je même écrire, de l'interface fictionnelle (personnages, situations, etc.) voulue par l'auteur et le metteur en scène apte à dévoiler les mille et un détours de la psyché humaine mieux que tous les concepts imaginables. Projet artistique porté par des corps d'acteurs que chaque spectateur, immobilisé sur son fauteuil, retraduit sans cesse de par la mobilité extrême de sa vision psychologique4. Ainsi donc, le théâtre émerge-t-il d’une dynamique qui défie l'entendement : l’énergétique hyper-complexe de la scène, son homologue tout aussi complexe de la salle, la fragile alchimie du réel qui les relie ici et maintenant dans le jeu orchestral et voilé du représenté et de l’irreprésentable. Art théâtral qui s’autodétruit totalement et se recrée différemment à chaque seconde, et qui est processus d’ouverture, d'échange, de partage et de don. Ainsi, peut-on avancer que le spectacle théâtral c'est d'abord l'autopoïèse. Ce n'est jamais la seule fiction scénique, produit « allopoïétique ». Si l'on accepte cette conclusion, comment garder trace et filmer l'autopoïèse théâtrale, ce processus complexe hautement contextualisé ? Et non pas se focaliser aveuglément sur une fidélité restreinte à une « image » iconophonique, la représentation scénique isolée ? 3 Image scénique isolée : recréation (traces tertiaires) En questionnant les rapports théâtre/audiovisuel, et en privilégiant l'entrée visuelle « problématique » aux dépens de l'étude d'« images sonores » qui restent encore à explorer, j'ai proposé de classifier il y a quelques années les traces audiovisuelles de spectacle en trois catégories : traces tertiaires de recréation, traces primaires de captation, traces secondaires de mono et de multicaptation5 . 2 A noter que l'appréhension conceptuelle de cette « présence » semble toujours hors de portée, tant dans le paradigme réductionniste dominant des sciences cognitives et de la modélisation expérimentale, que dans celui plus inclusif et étendu de la complexité. Constant qui, s'il venait à se vérifier, serait à même de justifier l'élaboration parallèle, en dialogique, d'une « science de la 1ère personne » encore à inventer ? 3 Maturana Humberto, Varela Francisco, L’arbre de la connaissance, Addison-Wesley France, Paris, (1re édition : « The Tree of Knowledge », New Science Library, Boston, 1984) 1994. 4 Cf. les très belles pages d'Edgar Morin sur les différences de perception/recréation cognitives au cinéma et au théâtre dans Le cinéma ou l'homme imaginaire, Éditions de Minuit, Paris, 1958. 5 Bouchez Pascal, Filmer l’éphémère. Récrire le théâtre (et Mesguich) en images et en sons, Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 2007, pp.128-133. 2 Une trace tertiaire de recréation d’un spectacle désigne un enregistrement différé, fragmentaire et « décentré », hors des conditions vécues de l'autopoïèse théâtrale. Une forme d'enregistrement décontextualisée du spectacle vivant. La recréation est une reconstruction « en laboratoire » de l'un des deux pôles seulement du processus théâtral. Elle marque subrepticement le triomphe de la temporalité audiovisuelle (autorisé par l’expulsion du public) et du paradigme dominant de la représentation occidentale. Par le choix radical du démembrement du processus d’autopoïèse théâtrale, qui est, rappelons-le, la seul e vérité de l’acte spectaculaire au moment même où il se produit, il est aisé de procéder à l’enregistrement « sensible », différé, précis, comme « mécanisable », de la seule fiction scénique. Ce type d’enregistrement « réduit » et non contextualisé qui compose le socle de la recréation ou du « film de théâtre » est bien sûr un outil particulièrement efficace de transposition de la seule représentation scénique, de par sa capacité de focalisation dramatique et sa souplesse d'adaptation. Les caméras et micros peuvent « sauter la rampe » et pénétrer la scène de mille et une manières différentes, avec une puissance inductive extraordinaire. Dans le prolongement du mouvement naturel de la pensée, comme le notait déjà Edgar Morin il y a plus d'un demi-siècle, « le film, à l'échelle du plan comme à l'échelle d'ensemble du montage, est un système d'ubiquité intégrale qui permet de transporter le spectateur en n'importe quel point du temps et de l'espace 6 ». D’authentiques et multiples chef-d’œuvres audiovisuels sont le fruit de cette démarche analytique, comme en « sur-mesure » en lieu et place du « prêt-à porter » courant...7 Cela étant, la recréation ne peut fonder une mémoire documentaire fidèle du « continent-vie/théâtre » porté par toute représentation, du seul fait de la suppression de la dialogique et des interactions coopératives, antagonistes et créatives incessantes entre une scène et une salle qui sont UNE. Sans public, point de théâtre : étymologiquement, le mot théâtre n'est-il pas issu du grec Theatron qui souligne les gradins, l'endroit où l'on voit, donc le public, principal acteur de la représentation ? Du point de vue du seul théâtre, non « contaminé » par le paradigme des médiations industrielles, les enregistrements d’une représentation hors public ne devraient-ils donc pas avoir a priori guère de sens ? Certes historiquement les lois de la perspective élaborées à la Renaissance dans le champ pictural occidental contribuèrent à rendre possible tant la création du « théâtre à l'italienne » que quelques siècles plus tard l'invention du cinéma, certes on ne peut jamais filmer du théâtre sans faire tout autre chose, certes la perte est inhérente à toute traduction et la recherche d'une « fidélité à la lettre » est illusoire et stérile sous bien des angles, mais ces raisons sont-elles suffisantes pour justifier l'élimination manu militari de l'un des deux pôles opposés du « courant » porteur de la communication théâtrale ? 4 4.1 Traces primaires de monocaptation Transposition des codes et points faibles aux conséquences problématiques 6 Morin Edgar, Le cinéma ou l'homme imaginaire, op.cit., p.70. 7 Cf. par exemple Picon-Vallin Béatrice (Dir.), Le film de théâtre, Collection Arts du Spectacle, CNRS Éditions, Paris, 1997. 3 Abordons à présent à la seconde catégorie qui est la plus courante, la trace primaire de monocaptation, définie comme un enregistrement effectué une unique fois dans les conditions du direct. Cela sans découpage écrit préalable, ni postproduction ultérieure. La simplicité, et l'efficacité, dans la plupart des cas, priment ici. Intuitivement, cette trace primaire de monocaptation peut sembler le dispositif « fidèle » par excellence. Il n'en est pourtant rien. Si la commutation en direct offre la possibilité essentielle de travailler « à chaud », en synchronie et « reliance », de manière très intuitive dans le rythme spontané du spectacle, les déformations et les pertes sont multiples du fait du « bridage » et de l'asservissement total de la temporalité audiovisuelle à la temporalité théâtrale. Beaucoup plus graves, elles sont le plus souvent totalement invisibles. Voici quelques points de distorsions fréquents : l'asservissement à la topologie du spectacle (en particulier la présence du public qui restreint drastiquement les choix de placement des caméras), la raréfaction et la rigidité des axes et des positions de prises de vues, la soumission aux lumières du spectacle, l'absence de maîtrise des choix des rapports premiers plans/arrières-plans, la nonprise en compte des actions simultanées - en particulier lorsqu'elles sont nonverbales - distribuées sur toute l'étendue de la scène faute de caméras ou de temps disponibles ce qui conduit inéluctablement à l'occultation non choisie et très problématique d'un hors-cadre hautement signifiant... 4.2 Ceci n'est pas le spectacle... Toute ces limitations peuvent finalement conduire à la disparition de la valeur poétique potentielle d'une scène sans indice permettant de soupçonner une quelconque occultation, même pour l'oeil le mieux exercé. Cette grave « infidélité » est constitutive d'une rupture du pacte de confiance implicitement passé avec le spectacle théâtral et avec les téléspectateurs à venir. Car à l'inverse du théâtre ou l'oeil reste toujours libre en dernière instance, le téléspectateur occidental est « conditionné » depuis plus d'un siècle à faire entièrement confiance au regard du réalisateur dans la sélection des images visuelles et sonores successives découpées dans l'espace-temps du réel et présentées à sa vue. Se vérifie ainsi pleinement l'affirmation de Claude Guisard selon laquelle « même si les traces audiovisuelles d'un spectacle contribuent à sa mémoire, elles ne garantissent pas pour autant qu'en soit conservé le sens8». Dans la quasi-totalité des témoignages de spectateurs « avertis », vierges de toute participation réelle à l'autopoïèse théâtrale, et qui me sont parvenus à un moment ou à l’autre, je remarquai avec étonnement, après la justification classique d’usage du type : « je sais que ce n’est pas le spectacle » ou : « je sais que ce n’est qu’une captation-témoin », la tendance de fond, lourde et tenace, de toujours penser « connaître » et « pouvoir juger » désormais le spectacle. C'est-à-dire à le réduire inconsciemment à sa représentation virtuelle, seule réalité bi-sensorielle et unique structure d'induction émotionnelle appréhendée par les sens et « travaillée » par le cerveau tri-unitaire. Comme si la structure représentationnelle réductionniste mais si cohérente effaçait totalement l’environnement sémiotiquement chargé et actif 8 Guisard Claude, Comment peut-on filmer l’éphémère ?, États généraux du film documentaire, Lussac, 2000 ; disponible à l’URL suivante : http://www.lussasdoc.com/etatsgeneraux/2000/sem_theatre.php4 4 « hors-champ » resté dans l’ombre la plupart du temps de manière non intentionnelle9. Comme si l'espace scénique continu matérialisé par le cadre visuel - et devenu « contenu »10- continuait à « contenir » les comédiens, alors même que ces derniers le déforment et le recréent à chaque déplacement de manière fragmentaire... 5 5.1 Traces secondaires de mono et de multicaptation Problématique Récapitulons la situation. Comme nous l'avons vu, les traces tertiaires de recréation recomposent de manière sensible et innovante l’espace visuel (et sonore) de la représentation dans les paramètres de la mise en scène audiovisuelle. Mais cette opération de traduction s'opère au prix de la suppression de la relation fondatrice et vitale scène-salle et d’une modification des rythmes du spectacle. Elles altèrent donc la trace mnésique documentaire de l'autopoïèse théâtrale. A l'inverse, les traces primaires de monocaptation préservent le flux temporel et les rythmes du spectacle dans la relation entre acteurs et public, mais, du fait du « bridage » considérable des codes d'expression audiovisuelle, elles dégradent en profondeur et de manière le plus souvent invisible l’espace visuel de la représentation. Elles affectent donc en profondeur la pertinence et l’intention du message. Pour supprimer, ou pour le moins minimiser ces « défaillances » alarmantes et le plus souvent non perceptibles des traces primaires de monocaptation, tout en relevant à tout prix le défi vital du temps réel théâtral, il est d'usage, lorsque des moyens financiers plus importants ont été réunis, de rédiger un découpage minutieux préalable fondé sur des choix intentionnels et réfléchis, et exception faite de la retransmission en direct, de filmer en multi-caméras une ou plusieurs représentations publiques dans le but d'opérer ultérieurement des choix de remontage : c'est ce que je nomme trace vidéo secondaire de mono11 ou de multicaptation. Les résultats obtenus dans cette approche télévisuelle spécifique très répandue, quoique très inégaux en fonction des moyens alloués et surtout de l'habileté et de l'inspiration plus ou moins conséquentes des réalisateurs dans leur utilisation, paraissent alors au mieux probants, du fait d'un bridage moins restrictif des codes audiovisuels. Sur le plan sonore, il devient possible, en combinant micros en salle (ou suspendus sur scène) et micros HF sur les acteurs pour goûter l'intimité des voix, de commencer à faire oeuvre de création en jouant de perspectives sonores différenciées. Il subsiste cependant une dégradation insidieuse plus ou moins marquée de l'espace de la représentation lié à des possibilités de transcodage sensible encore bien insuffisantes au regard de la recréation. 9 Il semble d'ailleurs que cette remarque « localisée » puisse tout autant s'appliquer de manière générale à la « modélisation expérimentale non-complexe de la réalité », et à la cécité totale de cette dernière sur les conséquences qu'induisent le choix de rejeter de nombreuses variables, relations et interactions signifiantes quoique non directement utilisables. 10 Alexandrescu Liliana, « L'Espace théâtral en vidéo », in : « Pourquoi et comment ? », actes du 20e Congrès International de la Société Internationale des Bibliothèques et des Musées des Arts du Spectacle à Anvers 04-07 septembre 1994, Documents et Témoignages des Arts du Spectacle, Anvers, 1995, pp. 80-82 11 Ainsi par exemple des « retransmissions » en vrai direct et en « prime time », proposées à partir de 2007 sur France 2 avec un succès public inattendu. 5 5.2 Dispositif de type « DMD » J'ai pour ma part tenté de dégager une voie originale entre captation et recréation combinant une grande partie des avantages de l'une et de l'autre dans une dialogique permanente de ces deux formes complémentaires, concurrentes et antagonistes : la « multicaptation documentaire à méta-découpage » (multicaptation D.M.D.). Le but poursuivi était alors de générer une trace audiovisuelle fidèle au processus relationnel et à la fiction scénique sur la durée la plus longue possible, voire dans l'idéal sur la totalité de la période d'exploitation publique d’un spectacle. Selon moi, la possibilité de récrire une « super-représentation virtuelle » par le couplage des « meilleurs moments de jeu » sélectionnés dans tout l'éventail des représentations est un avantage décisif qui légitime déjà à lui seul la pertinence de la méthode12. Car le principal étalon au théâtre est le jeu de l’acteur, toujours unique, toujours différent, toujours fluctuant, et aux variations imprévisibles. N'est-il pas plus naturel et même évident, puisque c'est tout-à-fait possible, de capter sa performance sur l'ensemble du processus des représentations publiques et non sur un seul échantillon choisi arbitrairement ? D'autre part, filmer de multiples représentations permet l’application de plusieurs découpages différents, mis en œuvre dans les enregistrements successifs du même spectacle. Un soir telle caméra suit tel acteur, un autre soir dans un autre découpage la même caméra en suit un autre par exemple, ou le même dans une valeur de plan différente. Les positions de caméras peuvent aussi changer d'un soir à l'autre. Ces découpages dissemblables et complémentaires composent dès lors un « multi-découpage virtuel », dont les fragments se voient juxtaposés lors de la phase de post-production dans ce qu’il est possible de nommer le « méta-découpage » de la multicaptation. Celui-ci recompose une partition complexe des points de vue temporels et spatiaux du public au sein de l'autopoïèse théâtrale. Pour Titus Andronicus de Shakespeare dans la mise en scène virtuose et si « habitée » de Daniel Mesguich par exemple, avec deux caméras seulement et trois découpages de densité différente, le spectateur attentif à la forme de ce premier essai de multicaptation D.M.D. pouvait déceler six positions principales de caméras. Le document produit de cette manière constitue une mémoire documentaire multicontextualisée. Cela tant sur le plan syncronique : la relation scène-salle, que sur le plan diachronique : l'éventail des représentations. L'élaboration du document nécessite certes un travail d’équipe (réduite) « en immersion » durable dans le champ créatif théâtral pour comprendre de l'intérieur le spectacle, une empathie réciproque, ainsi qu'un temps de recul et d’oscillation constante entre réflexion et action, au plus près de l’expérience vécue des rythmes de la scène et de ses coulisses. Planifiée avant même les répétitions, une D.M.D. peut se révéler moins coûteuse que certaines recréations, et même probablement dans le contexte adéquat, qu’une monocaptation télévisuelle hautement technicisée sur une durée très courte. Au final, les limites de la monocaptation sont considérablement réduites. L'ombre de l'évanouissement de la valeur poétique d'une scène sans trace semble 12 Cf. Bouchez Pascal, « Récrire Shakespeare (et Mesguich) en images et en sons », pp. 33-82, in : Revue Internationale Document Numérique, Numéro Spécial “Nouvelles Ecritures”. Sous la direction de Sylvie Leleu-Merviel, Volume 5 n°1-2/2001, Hermès Science Publications/Lavoisier, Paris, 2002. 6 beaucoup moins menaçante. Mieux même, de nouvelles émergences poétiques sont susceptibles d'éclore, liées à la combinatoire audiovisuelle précise et avisée, et qui viennent contrebalancer les fortes pertes générées par des enregistrements asservis à la temporalité spécifique de l'autopoïèse. Le double pacte de confiance passé avec le spectacle théâtral ainsi qu'avec les téléspectateurs à venir est rétabli dans son intégrité. Cela à travers une « trahison très fidèle », c'est-à-dire une fidélité authentiquement créative (et sans « démembrement fatal » !) du « continentthéâtre », lequel est vie, différence, totalité, mouvement, ...éphémère (inéluctablement !), ...présence... 6 Conclusion : ouvertures finales De manière plus générale, n'est-il pas aujourd'hui de la seule responsabilité du théâtre d'inventer, de tester sans relâche et de s'approprier des dispositifs numériques aptes à prendre en charge sa propre mémoire vivante « étendue », tant visuelle que sonore, au lieu de l'asservir à des formes et des procédures existantes qui lui sont par bien des aspects totalement étrangers ? La « démocratisation audiovisuelle » qui découle de la révolution des technologies numériques autorise potentiellement aujourd'hui toutes les audaces. D'autre part, et en prenant plus de recul encore pour embrasser une civilisation occidentale si conflictuelle semble-t-il aujourd'hui par bien des aspects, l’enjeu majeur de cette transmission est autrement substantiel. Il dépend moins de l’évolution des techniques que du contexte sociétal de leur mise en œuvre : les traces secondaires de mono ou de multicaptation comme outils de mémoire, ou de recréation, quelles que soient leurs imperfections, ne se justifient pleinement que dans une civilisation cohérente et harmonieuse dans ses soubassements et présupposés métaphysiques partagés, et qui favorise ainsi un référentiel vivant fort, c’est-à-dire, dans le champ culturel, un théâtre créatif, dense, spontané, convivial, fugitif, éthique aussi, et réellement accessible à tous. Qu’il soit donc rendu aussi naturel de souhaiter, et de pouvoir, « aller au théâtre » savourer la poétique cachée du réel, que de se connecter à l'une de ses multiples interfaces/écrans « Internet/multimédia/télévision », dans une complémentarité dynamique des pratiques et des techniques culturelles ! Utopie d'aujourd’hui et de demain, certes, fort probablement..., mais pourquoi pas, seule réalité évidente « d’après-demain », lorsque la migration inextinguible de notre époque, du réel dénié des corps « bruts » en interaction vers des « paradis virtuels » sécurisants et si fascinants de toutes natures, aura fini par dévoiler, sous bien des angles, et cruellement, sa désarmante futilité ? 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