L`art au service de l`apprentissage en formation professionnelle

L’art au service de l’apprentissage
en formation professionnelle
Jocelyne Labrèche, Ph.D.
Résumé
Cet article vise à sensibiliser le lecteur à l’utilisation de l’art, plus particu-
lièrement des arts plastiques, comme outil d’intervention pédagogique en
formation professionnelle, et ce, dans un cadre d’apprentissage expérientiel.
Dans ma pratique d’enseignement en psychoéducation, j’ai expérimenté
depuis une vingtaine d’années des activités artistiques (dessin, collages...)
comme outils pédagogiques pour développer l’exploration et la connais-
sance de soi, l’introspection et l’ouverture aux autres. Cette pratique a
trouvé écho, au plan théorique, dans le rationnel fondant l’art-thérapie et,
au plan méthodologique, dans une approche expérientielle de son enseigne-
ment basée sur le recours à l’expérimentation artistique. Dans un premier
temps, le rationnel théorique de l’art-thérapie est présenté à partir de l’examen
des concepts de processus de création et d’image. Puis, est présenté le
rationnel fondant une méthode pédagogique expérientielle favorisant l’utilisa-
tion de l’art. Enfin, sont proposées des illustrations du recours à l’art
pour la mobilisation du processus d’apprentissage, le développement de la
connaissance de soi et l’amélioration d’habiletés de travail en groupe. Sont
retenus, aux fins d’applications en formation professionnelle, le principe
d’expérimentation active, l’importance de la création d’images et le retour
sur le processus de création.
Introduction
Les pratiques d’intervention professionnelle dans le domaine de la relation
d’aide et de la psychothérapie sont souvent critiquées: ont-elles des fondements
scientifiques? Leur apprentissage ne constitue-t-il pas un art plutôt qu’une
science? Comment concevoir des formations professionnelles qui en reflètent
la complexité? Comment favoriser la connaissance de soi et l’introspection
que d’aucuns considèrent essentielles à l’apprentissage et à l’exercice pro-
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fessionnel du rôle de thérapeute? « Art ou science », « science-action »,
« pratique réflexive »..., plusieurs auteurs (Artaud, 198l; Schön, 1994 ;
St-Arnaud, 1992) ainsi que l’ensemble des disciplines d’intervention
psychosociale interpellent les rapports entre savoir théorique et savoir d’expé-
rience et pose à ses adeptes des défis d’apprentissage comme autant de défis
pédagogiques.
Selon moi, l’art-thérapie se démarque d’autres disciplines par la particularité
des interactions que le médium artistique lui permet d’entretenir entre théorie
et pratique, entre enseignement et expérience. Ainsi, dans l’enseignement de
l’art-thérapie, l’expression artistique est privilégiée pour faciliter l’apprentis-
sage autant des concepts théoriques que des habiletés d’intervention et pour
favoriser l’exploration de soi nécessaire à l’exercice du rôle de thérapeute. En
mettant l’accent sur le processus créateur, l’enseignement de la théorie peut se
faire non par application à la pratique, mais par expérimentation dans la pratique.
La création d’images qui, en art-thérapie, sert le processus de guérison à l’inté-
rieur de la relation thérapeutique, est en effet intégrée à la démarche pédagogique
de façon à rendre la personne active face à son apprentissage. De plus, la
médiation artistique qui, en art-thérapie, favorise la mise au jour d’un proces-
sus personnel, est utilisée dans son enseignement pour induire et soutenir le
processus expérientiel.
Cet article propose des réflexions d’ordre théorique et pédagogique sur des
pratiques d’utilisation de l’expression artistique dans divers contextes de
formation professionnelle expérimentés par l’auteure. Les assises théoriques
permettant d’appuyer ces pratiques sont d’abord examinées. M’appuyant sur
les écrits d’art-thérapeutes d’approche humaniste (Allen, 1995; Edwards, 1987;
Hamel, 1997; McNiff, 1991; Rhyne, 1984, 1987), je m’attarde à l’importance du
processus créateur, au rôle de l’image et au travail avec l’image dans la
perspective d’une meilleure connaissance de soi. J’expose ensuite comment
un enseignement axé sur l’apprentissage par l’expérience (Côté, 1998;
Mandeville, 1998) et le savoir d’expérience (Artaud, 1981; Laporte, 1998) peut
bénéficier de l’apport de l’art, notamment pour le développement de savoir,
savoir-faire et savoir-être professionnel.
En effet, selon moi, non seulement l’utilisation de l’art est-elle pertinente en
art-thérapie et dans son enseignement, mais elle peut contribuer à enrichir
toute approche pédagogique favorisant une démarche d’apprentissage
expérientiel, particulièrement dans les professions reliées à l’intervention
psychosociale.
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Ma pratique d’utilisation de l’art en formation professionnelle
J’ai expérimenté pendant près de vingt ans l’utilisation d’un « Journal de
réflexion et de créativité » dans un cours universitaire intitulé Formation
personnelle et offert à de futurs professionnels de la relation d’aide (prin-
cipalement en psychoéducation et en travail social). Puisant entre autres au
répertoire d’exercices de développement personnel du Creative Journal de
Lucia Capacchione (1979), je demandais à mes étudiants de tenir un journal
personnel illustré par des dessins, des collages, des dialogues écrits dont ils
me rendaient compte dans des rencontres individuelles. Par la suite, j’ai pris
part à diverses activités de perfectionnement utilisant les arts plastiques comme
adjuvant à un ressourcement personnel et professionnel (test M.A.R.I.4,
travail avec le mandala). J’ai aussi suivi des cours et réalisé des projets d’expé-
rimentation en arts plastiques et j’ai participé à un séminaire intensif sur le
développement dans une perspective jungienne. Enfin, j’ai poursuivi pendant
plusieurs années et complété récemment une formation professionnelle
à la psychothérapie par l’art et j’ai commencé à expérimenter une pratique de
l’art-thérapie et de son enseignement. Ces expériences m’ont amenée à modifier
mes pratiques pédagogiques en y intégrant de plus en plus l’art, non seule-
ment dans les travaux demandés individuellement à l’étudiant (Journal de
réflexion et de créativité) mais également dans les activités en classe, impli-
quant et l’individu, et le petit groupe et le grand groupe.
Ainsi, dans ce cours de Formation personnelle visant le développement
de la connaissance de soi, de même que ses capacités d’introspection et de
communication, j’ai proposé une démarche structurée de croissance person-
nelle. Celle-ci intègre la création d’images, principalement par le moyen de
visualisations, créations collectives, collages, contes en images, dessin, modelage,
etc. Dans une communication antérieure (Labrèche, 2001), j’ai exposé com-
ment, pour intégrer la dimension personnelle dans la formation professionnelle
des futurs intervenants, il s’est avéré possible et pertinent d’utiliser l’art, et
plus particulièrement les arts plastiques. En effet, par la stimulation de l’imagi-
naire et la médiation du symbolisme, le travail avec l’art a permis d’exploiter
une dimension plus affective, émotive et intuitive que cognitive et rationnelle,
favorisant entre autres la conscience de soi et l’estime de soi. Plus particuliè-
rement, l’activité du conte en images a permis de témoigner d’un processus
de croissance personnelle, entre autres par rapport à l’estime de soi et à
l’ouverture aux autres.
4Il s’agit du Mandala Assessment Research Instrument, un test projectif basé sur des
consignes spécifiques quant au dessin, à un choix de formes et de couleurs, ainsi qu’à un
système d’interprétation (Kellogg, 1993).
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Les réflexions présentées ici s’alimentent aux fondements théoriques de l’art-
thérapie et à une approche expérientielle d’enseignement utilisant l’art. Si elles
se fondent sur les acquis récents d’une formation professionnelle spécialisée
en art-thérapie, elles vont aussi puiser à mes expériences plus anciennes dans
des formations plus générales à des professions d’intervention psychosociale.
Fondements théoriques d’une approche pédagogique utilisant
l’art - le rationnel de l’art-thérapie
Selon la définition qu’en donne l’Association des art-thérapeutes du Québec
(1986,1996), l’art-thérapie tire ses origines à la fois de la psychologie et des arts
visuels. Elle se distingue des autres types de psychothérapie par l’utilisation
qu’elle fait de « …l’expression créatrice comme modalité principale du proces-
sus thérapeutique » (p. 1). Je la conçois comme un processus d’accompagnement
psychologique d’une personne ou d’un groupe centré sur l’expression de soi,
de ses pensées, émotions et conflits dans un processus de création d’images.
La spécificité de l’art-thérapie s’exprime dans l’utilisation de médias plastiques
visant la compréhension et la résolution des problèmes ou simplement l’évolu-
tion de la personne ou du groupe. L’activité artistique favoriserait la prise en
charge par la personne de son propre cheminement à partir de l’acte de créer
(Jung, 1959,1993) et contribuerait à améliorer l’estime de soi par le développement
de la créativité (Lamirande, 1981).
En vertu des principes mis de l’avant par l’art-thérapie, le processus de création
occasionnerait la mise au jour de certains contenus et mécanismes significatifs
du fonctionnement de la personne. De plus, le retour (verbal ou écrit) sur le
processus de création et sur l’image créée inciterait la personne à cheminer en
amenant à la conscience ces contenus et ces mécanismes.
À ce point, deux concepts me paraissent importants à cerner: le processus de
création et l’image. Je mentionnerai aussi les notions de processus personnel
et de processus expérientiel que les art-thérapeutes partagent avec d’autres
approches de la psychothérapie et de la pédagogie.
Le processus de création comme outil de connaissance de soi
Selon le titre d’un livre de Pat B. Allen (1995), Art is a way of knowing, l’art
nous permet de connaître. Dans cet ouvrage, l’auteure présente l’art comme
mode de connaissance, d’abord de l’objet que nous observons, auquel nous
accordons toute notre attention, en le dessinant, ou en le peignant, ou encore
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en le modelant... et en tentant d’atteindre son essence, l’énergie qu’il dégage.
Selon elle, l’art est aussi un mode de connaissance de nous-mêmes, que
nous activons par le dessin, la peinture, le modelage… d’images intérieures.
En accord avec Edwards (1987) et McNiff (1992) ), elle propose ici, plutôt
que de dessiner (peindre, sculpter...) ce que nous voyons à l’extérieur, de
dessiner (peindre, sculpter) ce que nous voyons à l’intérieur. En effet, pour ces
art-thérapeutes, la connaissance de soi passe par la connaissance, c’est-à-dire
l’expérience, de ces sources intérieures d’imagerie (Edwards, 1987). Ces ima-
ges sont spontanées, en ce qu’elles font irruption à la conscience à partir de
souvenirs, de rêves ou de rêveries, ou encore durant des états de vigilance où
la conscience est atténuée. Jung (1959,1993), qui favorisait l’émergence et
l’évolution de ces images, encourageait la personne à leur donner une forme,
que ce soit par le dessin, la peinture, la sculpture ou même la danse ou la
musique. Il considérait que la personne se trouvait ainsi mise en action, deve-
nant un agent actif de son propre développement, plutôt qu’un témoin passif.
L’image comme expérience de connaissance de soi
L’image en art-thérapie réfère à une production plastique, qu’elle soit dessin,
peinture, sculpture, collage ou objet en trois dimensions de l’expression la plus
simple à la forme la plus complexe et élaborée. La création ne vise pas nécessai-
rement la production d’oeuvres plastiques achevées et ne comporte pas
d’intention esthétique sinon l’expression et la manifestation de soi au monde.
Un simple gribouillis (Cane, 1959,1983; Gardner, 1980; Kellog, 1970, Kramer,
1971) sera le prétexte à l’expression d’une colère jusque-là réprimée comme il
peut être l’occasion pour un symbole d’émerger si la personne apprend à lire
entre les lignes. Une ligne, une couleur, une forme, définies comme pré-images
(Rhinehart et Engelhorn, 1982; Hamel, 1997), à peine esquissées ou schématiques,
pourront même être, pour la personne, plus significatives qu’une forme plus
complexe et achevée, et seront donc propices à une investigation plus perti-
nente (Rhyne, 1984; Zinker, 1977).
L’image comme projection
Si l’hypothèse projective est à la base de l’approche psychodynamique, les
art-thérapeutes de toutes approches se réclament du concept de projection
(Johnson, 1998). En effet, dans l’art, il y a d’abord une « projection » réelle
dans une création matérielle (sur le papier, dans la matière), qu’on peut obser-
ver directement (Hamel, 1997). De plus, l’image produite (ou l’image choisie,
s’il s’agit d’un collage de photos par exemple) constituerait une projection de
nos désirs, fantasmes, conflits ou émotions, et un reflet de différents aspects
de nous-mêmes (Rhyne, 1984). Nous pouvons regarder l’image que nous
créons à la fois comme un objet réel, extérieur à nous et distinct de nous et
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