L`improbable théâtre de Raymond Roussel. Etude de l`adaptation

Université du Maine
U.F.R. Lettres, Langues, Sciences Humaines
Littérature française
No attribué par la bibliothèque :
THESE
pour l’obtention du grade de docteur de l’Université du Maine
Discipline : Littérature française
présentée et soutenue publiquement le 24 mai 2007
par
Michihiro NAGATA
Titre
:
L’improbable théâtre de Raymond Roussel.
Etude de l'adaptation théâtrale d’
Impressions d’Afrique
(Tome I)
JURY
Mme B. Bost, professeur de l’Université de Lyon II
M. H. Béhar, professeur de l’Université Paris III-Sorbonne Nouvelle
M. P. Besnier, professeur de l’Université du Maine (Directeur de thèse)
M. J. P. Goldenstein, professeur de l’Université du Maine
2007
INTRODUCTION
La découverte de la « malle » de Raymond Roussel (1877-1933) est un
des événements littéraires les plus marquants de la fin du XXe siècle. En
1989, on a trouvé, dans cette malle déposée par l’auteur dans un
garde-meuble juste avant son départ pour un dernier voyage, un volume
impressionnant de ses papiers : manuscrits autographes des ouvrages
publiés, dactylographies, épreuves corrigées, carnets et notes, sans parler de
lettres, photographies de famille ou touristiques, coupures d’articles et
quelques livres somptueusement reliés. A cela s’ajoutent de nombreux
inédits en vers (les manuscrits de
La Seine
et des
Noces
, notamment), et
quelques inédits en prose dont l’un fait l’objet de la présente étude : la
version scénique d’
Impressions d’Afrique
1.
Grâce à cette découverte de 1989, la situation des études de Roussel
entre dans une nouvelle phase. Anne-Marie Basset analyse de manière
exhaustive l’avant texte d’
Impressions d’Afrique
se composant des carnets
écrits lors du voyage en Egypte, des manuscrits écrits sur des pages de
cahiers d’écolier, des dactylographies et des épreuves. Roussel est très connu
pour son « procédé » spécial révélé dans
Comment j’ai écrit certains de mes
livres
, et Anne Marie Basset réussit à répertorier un ensemble du processus
1 A propos des faits autour de la découverte des cartons pleins de papiers de Roussel, voir
l’article d’Annie Angremy : « la malle de Roussel. Du bric-à-brac au décryptage », in
Revue
de la Bibliothèque nationale
, n° 43, 1992, p. 37-49.
3
d’écriture dont il ne fait aucunement mention dans son ouvrage posthume.
Les deux inédits en vers sont parus chez Pauvert/Fayard :
La Seine
est dans
le troisième volume, alors que
Les Noces
sont dans les cinquième et sixième
volumes. Chaque ouvrage est précédé d’une préface des rédacteurs, qui est
elle-même le résultat de travaux récents remarquables. Ceux-ci ont pour but
de montrer un autre aspect des œuvres de Roussel, à la différence des
interprétations existantes qui tendent à expliquer les textes par la vie
originale de l’auteur ou à focaliser le problème sur le fameux « procédé ».
Patrick Besnier, par exemple, s’appuyant sur l’œuvre de jeunesse de Roussel
(
La Seine
), cherche à montrer comment l’auteur avait conscience de la
tendance générale littéraire ou culturelle de son époque.
Quant à la version scénique d’
Impressions d’Afrique
, on
n’appréhendait son contenu qu’à travers des chroniques de théâtre de
l’époque. Un des scénarios de l’adaptation pour la scène (« le rôle de
Juillard ») a été retrouvé par John Ashbery 2, mais c’est un texte
fragmentaire qui ne comporte que les répliques de Juillard, et dont la
brièveté apporte peu d’éclaircissements sur la pièce dans son intégralité.
Vu la situation avant 1989, la découverte de la version théâtrale
dactylographiée d’
Impressions d’Afrique
devrait être d’une importance
capitale. Elle permet, non seulement de reconstruire l’action intégrale de la
pièce, mais aussi de connaître les changements apportés par l’auteur au
roman original.
Pourtant, jusqu’à présent, la version dactylographiée n’a pas attiré
2 Le « rôle de Juillard » a été publié pour la première fois dans
Bizarre
n°34-35 (1964), puis
dans
Epaves
(1972).
4
grande attention de la part des chercheurs. Certes, Annie Le Brun présente
une interprétation non négligeable de cet inédit3, mais aucune étude ne lui
est spécialement consacrée, sauf un bref article de Gérard Cogez.
On peut faire quelques hypothèses sur les causes d’une telle
négligence. C’est d’abord la tendance générale de l’histoire littéraire qui
attache peu d’importance au genre théâtral après le romantisme. Le genre
romanesque connaît son apogée au XIXe siècle et, malgré des polémiques
effervescentes, exerce toujours une grande emprise au XXe siècle. Sous ce
règne du roman, à peu d’exceptions près, le théâtre occupe une place
relativement inférieure4.
En effet, le théâtre de Roussel n’a jamais été assez mis en valeur. Au
moment même où cet auteur a suscité l’intérêt de nombre de critiques ou de
penseurs par son « procédé » spécial dans les années 1960 et 70, ceux-ci n’ont
pratiquement parlé, comme le remarque J. H. Matthews, que des ouvrages
romanesques,
Impressions d’Afrique
et
Locus Solus
, alors qu’ils ont consacré
peu de pages pour les deux pièces écrites également selon le même procédé,
L’Etoile au Front
et
La Poussière de Soleils
5
.
Ce fait s’explique sans doute
par leur taille modeste et l’affaiblissement de l’imagination extravagante que
l’on trouvait dans les romans (les inventions fantastiques sont remplacées
3 Annie Le Brun,
Vingt mille lieues sous les mots, Raymond Roussel
, Jean-Jacques Pauvert
chez Pauvert, 1994. Voir notamment, le chapitre VI : « Un continent noir comme l’innocence »,
p. 179-227.
4 Il faudrait remarquer, toutefois, que le XIXe siècle est aussi le siècle industriel où
s’épanouit le théâtre « commercial », laissé de côté le plus souvent dans l’histoire littéraire.
Et, comme nous verrons plus tard, la dramaturgie de Roussel ne peut être considérée
indépendament de ce genre de théâtre populaire.
5 J. H. Matthews,
le théâtre de Raymond Roussel, une énigme
, Archives des lettres
modernes, Minard, 1977, p. 4-5.
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