Des réseaux de neurones sous assistance électronique

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Des réseaux de neurones sous assistance
électronique : comprendre les mécanismes
du filtrage sensoriel
● G. Le Masson*
es informations sensorielles ne parviennent pas toutes
au cortex cérébral pour y être intégrées et analysées. Les
structures relais comme la moelle épinière ou le thalamus, qui transmettent ces données des organes sensoriels, sont
capables d’isoler partiellement ou totalement les structures corticales du flux massif et permanent des informations sensorielles.
Ce filtrage actif conditionne notre niveau de vigilance, d’attention, et il nous permet de concentrer nos ressources cognitives
sur des aspects très précis de notre environnement. Ces opérations dépendent de l’organisation synaptique des réseaux thalamiques et médullaires et de l’état fonctionnel des neurones qui
les composent (1). Cette modulation provient de certains noyaux
du tronc cérébral mais aussi, paradoxalement, du cortex luimême, qui acquiert ainsi la capacité de contrôler son propre
influx de données sensorielles. Les mécanismes du filtrage thalamique des informations visuelles ont été étudiés à l’aide d’une
technique qui associe une préparation sur tranches in vitro et un
système artificiel simulant la décharge des neurones sensoriels
de la rétine.
L
second problème est celui de la vitesse de calcul de ces modèles
qui, malgré la complexité de leur description mathématique, doivent fonctionner et répondre avec la même base de temps que les
neurones biologiques, c’est-à-dire en temps réel. Cette puissance
de calcul n’a pu être obtenue qu’en utilisant des modèles directement implantés sur des puces de silicium (figure 1) ou par des
cartes informatiques contenant des processeurs spécialisés. La
mise au point de ces techniques d’interface entre système vivant
et système artificiel nous permet également d’aborder des thématiques comme celle des bio-prothèses et de l’assistance artificielle au système nerveux pour corriger certains déficits fonctionnels. Ce type d’approche se développe, en particulier, dans
les domaines de la suppléance d’organes sensoriels (vision, audition) ou d’assistance motrice après déficit (3).
L’INFORMATIQUE ET L’ÉLECTRONIQUE AU SERVICE
DE LA PHYSIOLOGIE DES RÉSEAUX NEURONAUX
L’utilisation de systèmes informatiques ou électroniques capables
d’émuler des neurones en réseaux et de les faire communiquer
avec des neurones biologiques confère la possibilité d’accroître
le contrôle des paramètres et d’explorer de façon très systématique des situations expérimentales impossibles à étudier par une
autre technique (2). Ces réseaux dits “hybrides” permettent, par
exemple, de reproduire les influences synaptiques manquantes
de neurones enregistrés sur des tranches de thalamus. Deux
problèmes pratiques ont été résolus pour créer ces interactions
artificiel-biologique. Le premier concerne les relations synaptiques artificielles qui doivent être suffisamment précises pour
remettre ces neurones dans un environnement synaptique réaliste. Nous utilisons des électrodes intracellulaires qui permettent
d’injecter dans les neurones biologiques des courants synaptiques artificiels calculés à partir de modèles mathématiques. Le
* INSERM E9914, département de neurologie CHU de Bordeaux.
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Figure 1. Circuit intégré simulant le comportement d’un réseau de neurones (Sylvie Renaud, laboratoire de microélectronique IXL ENSERB,
université de Bordeaux I).
DES INTERNEURONES LOCAUX RÉGULATEURS
DE L’INFORMATION ENTRANTE CORTICALE
Les afférences rétiniennes venant des cellules ganglionnaires de
la rétine se projettent sur des neurones relais ou thalamo-corticaux
(TC) par l’intermédiaire de synapses excitatrices glutamatergiques de type AMPA. Les cellules TC se projettent sur les aires
corticales sensorielles primaires en émettant une collatérale excitatrice locale vers le noyau réticulaire (RE). Les neurones réticulaires sont des interneurones inhibiteurs, utilisant le GABA
La Lettre du Neurologue - n° 1 - vol. VII - janvier 2003
Découvertes
comme neuromédiateur, et se projettent à leur tour sur les TC,
formant ainsi une boucle de rétroaction excitato-inhibitrice
(figure 2). Cette boucle est capable de générer une forme particulière d’oscillation, appelée “fuseaux thalamiques”, caractéristique des premiers stades du sommeil chez l’homme et chez
l’animal (4). À l’aide de réseaux rétino-thalamo-corticaux
hybrides, nous avons pu démontrer, avec l’équipe du CNRS de
Gif-sur-Yvette de T. Bal, qu’il existe une relation forte entre
l’activité des interneurones de la substance réticulée et la fidélité
de la transmission sensorielle vers le cortex. Ainsi, toute modulation capable d’activer les interneurones locaux conduira à une
déconnexion du cortex à l’égard des informations sensorielles.
Inversement, toute mise au silence de ces interneurones conduira
à améliorer la transmission de l’information sensorielle vers le
cortex. Ces variations de transmission proviennent du tronc cérébral qui est de la sorte capable de réguler le niveau de vigilance
ou l’alternance circadienne veille-sommeil. Ainsi, la libération
dans le thalamus de substances “éveillantes”, comme la nora-
Tractus optique
drénaline, conduira à augmenter la transmission sensorielle vers
le cortex (5). Mais une autre source de modulation de l’activité
des interneurones passe par le cortex lui-même et l’intervention
de fibres cortico-thalamiques capables d’activer ou d’inhiber
l’activité des interneurones réticulaires. Le cortex paraît ainsi
capable de contrôler la quantité, et probablement la qualité, des
informations sensorielles qu’il sera amené à traiter.
Ainsi, les structures relais sensorielles comme le thalamus, mais
aussi comme la corne dorsale de la moelle dans le domaine de la
nociception, sont loin d’être de simples structures de transmission des messages sensoriels. Le cortex n’a probablement pas
besoin à tout moment de toute l’information sensorielle disponible, mais opère un choix qui permet d’optimiser ses ressources,
de focaliser son attention, ou de s’isoler, dans le cas d’état de
vigilance réduite tel que le sommeil. La compréhension de ces
mécanismes permet de mieux saisir la régulation physiologique
du flux sensoriel entre thalamus et cortex, ou de certaines formes
d’épilepsie (absence petit mal) responsables de ruptures de la
perception consciente et dont l’origine paraît être liée à une perturbation des oscillations intrathalamiques (6). Enfin, l’utilisation
de techniques “hybrides” nous permet d’explorer de nouveaux
champs de recherche dans le domaine des suppléances fonctionnelles entre système nerveux et systèmes artificiels (3, 7).
■
Modèles informatiques ou électroniques
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Figure 2. La boucle intrathalamique, composée de neurones relais thalamocorticaux (TC) et d’interneurones inhibiteurs des noyaux réticulaires (RE),
s’interpose entre la rétine et le cortex. La genèse d’oscillations spontanées
(fuseaux) bloque la transmission des informations visuelles vers le cortex.
L’efficacité de ce filtrage dépend de la force de l’inhibition réticulaire.
En réduisant ces cellules au silence, certaines voies modulatrices sont
capables d’isoler le cortex du monde sensoriel.
É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
1. McCormick DA, Bal T. Sleep and arousal : thalamocortical mechanisms. Ann
Rev Neurosci 1997 ; 20 : 185-215.
2. Le Masson G, Le Masson S, Moulins M. From conductances to neural network
properties : analysis of simple circuits using the hybrid network method. Prog
Biophys Mol Biol 1995 ; 64 : 201-20.
3. Nicolelis MA, Ribeiro S. Multielectrodes recordings : the next steps. Curr
Opinion in Neurobiology 2002 ; 12 (5) : 602-6.
4. Von Krosigk M, Bal T, McCormick DA. Cellular mechanisms of a synchronized
oscillation in the thalamus. Science 1993 ; 261 : 361-4.
5. Aston-Jones G, Chiang C, Alexinsky T. Discharge of noradrenergic locus
coeruleus : neurons in behaving rats and monkeys suggests a role in vigilance.
Prog Brain Res 1991 ; 88 : 501-20.
6. Livingstone MS, Hubel DH. Effects of sleep and arousal on the processing of
visual information in the cat. Nature 1981 ; 291 : 554-61.
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Le Masson G, Renaud-Le Masson S, Debay D, Bal T. Feedback inhibition controls spike transfer in hybrid thalamic circuits. Nature 2002 ; 417 (6891) : 854-8.
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