GÉOGRAPHIE DES MARGES @ L'Harmattan, 2003 ISBN: 2-7475-4366-8 Gabriel ROUGERIE GÉOGRAPHIE DES MARGES L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris FRANCE L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 1026 Budapest HONGRIE L'Harmattan Italia Via Bava, 37 10214 Torino ITALIE Du même auteur: La Côte d'Ivoire, PUF - Que sais-j e ?, 1964, rééd. : 1967, 1972, 1977, 1982 Géographie des paysages, PUF - Que sais-je ?, 1969, rééd. : 1977 Les milieuxforestiers, PUF - Le Géographe, 1983 Géographiede la biosphère,ArmandColin - « U », 1988 Géosystèn1es et Paysages. Bilan et méthodes (en collaboration N. Beroutchachvili), Armand Colin - « U », 1991 avec Biogéographiedes milieux aquatiques,ArmandColin - « U », 1994 L 'homme et son milieu. L'évolution du cadre de vie, Nathan, 2000 De rail enpistes, vers le tournant (Nouvelles), L'Harmattan - Les Tropiques entre mythe et réalité, 2001 Introduction Jusqu'à la veille de la dernière Guerre, on trouve dans la géographie française des marques d'intérêt pour la notion de frontière. Non point à la manière du mythe américain de la frontière idéale et quelque peu magique, l11aisconformément au clÜ11atde nationalismes l11éfiantsou cocardiers qui régnait alors en Europe, surtout depuis le conflit précédent. COl11ffie F. Ratzel, outre-Rhin, avait, dans l'esprit de son « Anthropogeographie », largement développé les notions de territoire et corrélativement de frontière, P. Vidal de la Blache avait écrit sur les « États et Nations de l'Europe, autour de la France» et L. Gallois, sur les « Régions naturelles et les nOl11S de pays ». Cette sensibilité devait s'affirmer, avec « Le Rhin» de A. Del11angeonet L. Febvre (1935) et la « Géographie des frontières» de 1. Ancel (1938). Des enseignements universitaires et des sujets de recherche y furent consacrés, comme, en 1959 encore, la thèse de S. Daveau « Les régions frontalières du Jura franco-suisse ». Mais depuis pratiquel11ent le milieu du vingtièl11esiècle les allusions explicites disparurent, Inême si une certaine sensibilisation perdurait. Elle se manifestait parfois à la faveur d'approches de caractère socio-économique - l'étude des *fronts pionniers: par exemple, en 1952, l'ouvrage de P. Monbeig « Planteurs et Pionniers de l'État de Sâo Paulo ». Ou encore, après que la discipline eût rencontré l'écologie, la prise en cOlnpte des zones de contact entre *écosystèmes différents officialisée, en quelque sorte, par J'article de G. Bertrand « Esquisse biogéographique de la Liébana. La dynamique actuelle des paysages », en 1964. A bien y réfléchir, c'est dans beaucoup de domaines que l'on peut retrouver ce thèlne de l'affrontement- ou tout au Inoins de la confrontation entre deux entités constitutives de l' environnel11ent de J'holnl11e. Que cet environnement soit de nature purelnent inorganique, qu'il soit fOrIné d'êtres vivants, avec toute la complexité de leurs organisations, ou à un niveau encore plus complexe, qu'il l11ette en cause des sociétés humaines... *x Pour l'enselnble de l'ouvrage, renvois au glossaire Introduction dOITIaineimlTIenSe que n'abordera pas le présent ouvrage, lTIalgré son intérêt culturel et sociologique. Il paraît intéressant d'examiner quelques exemples de ces parts de l'espace géographique où l'on rencontre, à diverses échelles, de tels phénomènes. Dans ce propos, sera privilégiée une acception large du terme de « marges », et non point la limite pure et sÏ1TIpled'une certaine entité - plus proche, elle, de l'idée de frontière. Plus que la délimitation géolTIétrique(ou politique) d'un espace donné, ce qui, à l'évidence, mérite attention c'est cette zone bordière, où jouent des faits particuliers de dynamique et d'échanges lorsque cet espace, appréhendé COrnITIe systèITIe,se trouve en contact avec un autre. 8 Chapitre I LES MARGES DE LA LITHOSPHÈRE En ces mêmes années de la première moitié du siècle où les frontières étaient à l' honneur dans la géographie, une mise à l'index frappait, en revanche, chez les géographes mais aussi pratiquement chez tous les participants des Sciences de la Terre, une théorie séduisante, mais pas sérieuse, la « dérive des continents» de A. Wegener, formulée dans les années 1912. Depuis les explorations des fonds océaniques et les études effectuées sur le paléoInagnétisme terrestre, l'expression de « *tectonique des plaques» a connu, après les années soixante, un succès considérable - jusqu'à des utilisations parfois abusives, dans les médias. I - Le canevas tectonique La dérive garde droit de cité, Inais ce sont des plaques, et non des continents seuls, qui se déplacent à la surface du globe. A - Les plaques de la *lithosphère Ces plaques ne correspondent pas, en effet, comme on pourrait le penser, aux parties émergées de l'écorce terrestre: certaines cOInportent à la fois une zone continentale et une zone océanique, la plaque sud-américaine, par exemple; d'autres ne sont qu'océaniques, la plaque de Nazca, au droit de celle-ci dans le Pacifique. Le nombre de plaques tectoniques, initialement limité à la demi-douzaine dans les modèles imaginés, est aujourd'hui considéré comme dépassant la douzaine Les marges des unes et des autres sont de plusieurs types. Toutes sont liées à la fracturation de la lithosphère, au sommet du *Imanteau. Les unes se situant en amont du mouveInent de translation des portions qui en dérivent. Les autres, en aval. Les premières présentent une part d'analogie avec le phénomène qui, en milieu continental, a été défini comIne *rift valley - celui, par exemple, Les marges de la lithosphère Fig. 1 - Distribution des plaques tectoniques (d'après diverses sources dont: P. Choukroune, 1. Debelmas et G. Mascle, P. Mérienne, Dictionnaire des Sciences de la Terre) .... -... . .. ..--- - - - Dorsales et rifts océaniques Rift continental Affrontements Faille importante et subductions ou zone de * coulissage L..1222. kin iil/llftll Limite de plaque incertaine 1 - Plaque eurasiatique. 2 - Plaque des Philippines. 3 - Plaque des Carolines. 5 - Plaque pacifique. 6 - Plaque Juan de Fuca. 4 - Plaque indo-australienne. 7 - Plaque de Cocos. 8 - Plaque de Nazca. 9 - Plaque antarctique. 12 -Plaque des Caraïbes. 10- Plaque de Scotia. Il - Plaque sud-américaine. 13 - Plaque nord-américaine. 14 - Plaque africaine. 15 - Plaque arabique le plus important, qui forme, en Afrique orientale, un réseau de fossés entre le lac Malawi (Nyassa) et la Mer Rouge. Le cadre de cette mer est d'ailleurs du même ordre, mais à un stade d'évolution plus avancé. Alors que les rift valleys continentales correspondent à des effondrements entre des failles qui n'affectent qu'une *croûte continentale encore présente dans le fond du fossé, il apparaît au fond de la Mer Rouge un matériau comparable à celui du niveau qui, dans la lithosphère, correspond au sommet du manteau. Il se rapproche ainsi des planchers océaniques qui sont en rapport avec le dispositif de dorsales intra-océaniques. B - *Dorsales, collisions et *subductions Ces dorsales sont à la base du système et de la dynamique des plaques. Etirées sur plusieurs dizaines de milliers de kilomètres au cœur des océans Atlantique et Indien ainsi qu'au long de l'océan austral, plutôt déjetées vers l'est dans le Pacifique, elles peuvent atteindre voire dépasser le millier de kilomètres en largeur. Elles présentent des reliefs sous-marins tantôt élevés, comme dans la dorsale médio-atlantique (de l'ordre de 2 à 3 000 mètres), tantôt plus évasés, comme au centre de l'Océan Indien et surtout dans le Pacifique, mais là n'est pas leur originalité. Celle-ci réside dans leur zone axiale qui, topographiquement, se présente de plusieurs manières mais correspond toujours à la limite entre deux plaques qui s'écartent l'une de l'autre. Ce mécanisme de séparation, accompagné de la montée de matière dans l'intervalle, est désigné « *accrétion» . Il est plus ou moins rapide: le relief de ces" chaînes" sous-marines varie en fonction de cette vitesse. 10 Géographie des marges :'~:/ 11 Les marges de la lithosphère La zone axiale de la dorsale médio-atlantique, surtout au nord de l'Equateur, et celle de l'Océan Indien sud-occidental sont celles qui rappellent le plus le phénomène rift valley. De fait, il s'y creuse de profonds fossés entre d'importantes failles. Larges de quelques dizaines de kilomètres, avec des dénivelées atteignant le millier de mètres, ceux-ci ne forment pas un alignement continu, Inais sont débités par des failles transverses en segments déjetés les uns par rapport aux autres. Il règne là un mouvement d'accrétion lent: la montée de matière profonde qui s' extravasede part et d'autre des lèvres du rift alimente deux *plaques océaniques qui vont s'écartant, à une vitesse de l'ordre de 2 cm/an. A l'opposé, dans les dorsales du Pacifique oriental, le mécanisme atteint 10 et jusqu' à plus de 15 cm/an: dans ce cas, la zone axiale est dépourvue de rift - voire, Inarquée par un relief positif. L' enselnb le de l'appareil s'élargit en amples bombements. Mais il demeure le phénolnène d'alimentation en Inatière d'origine magmatique, à l'amont de deux plaques océaniques opposées de part et d'autre de la dorsale. C'est même sur lui, et non sur les morphologies des reliefs, que se fonde la distinction entre « *dorsales rapides» expulsant, par unité de temps, beaucoup de matière et déterminant un fort écartement - celles du Pacifique et les « *dorsales lentes» de l'Atlantique. A l'inverse de cette marge juvénile qui correspond à l'amont d'une plaque contigu à l'axe de la dorsale, l'autre extrémité correspond à un matériau vieilli, d'un âge représentant le délai qui lui a été nécessaire pour parvenir jusqu'ici à partir de la dorsale. Cette extrémité-là peut se présenter de différentes manières suivant la dynamique qui l'affecte. Le cas le plus spectaculaire, mais le plus simple pourtant quant à son explication est celui des marges de subduction. Celles-ci sont une spécificité des systèmes de l'Océan Pacifique. Pour l'essentiel, le plancher de cet océan correspond à des plaques de nature strictement océanique: c'est à dire un type de croûte d'où sont absents les matériaux granito-gneissiques - qui constituent la couche supérieure des croûtes continentales. En bordure des autres océans, au contraire, coexistent les éléments de *croûtes océaniques et ceux qui appartiennent à la frange des croûtes continentales bordières. On parle, dans le premier cas, de « *marges actives », dans le second, de « *marges passives». Ces expressions s'expliquent par le mode que revêtent, ici et là, les conséquences du processus d'écartement à partir des dorsales. 12 Géographie Tout se passe, en effet, COl11I11esi la - ou les - des 111arges plaque de nature océanique du Pacifique subissait à la fois les effets de l'expansion, issue des dorsales d'accrétion, et l"'invasion" des plaques cOlnpositesauxquelles appal1iennent les continents encadrants, Amériques, Eurasie, Australie. Alors que, dans l'Atlantique surtout, on a uniquement affaire à un Inécanisme d'extension océanique, écartant l'enseI11bleaméricain de ceux d'Afrique et d'Eurasie: les marges continentales de ces trois dernières plaques n'ont aucune part déterminante à l'origine de la cinématique. L'addition des phénomènes d'expansion propre au plancher océanique et de migration vers lui des plaques continentales avoisinantes entraîne, sur la quasi-totalité du pourtour de l'océan Pacifique, un affrontement qui se traduit par la subduction. C'est à dire que la 111argede la plaque océanique, au Inatériau de nature 111agl11atique plus lourd, passe sous celle des plaques à croûte continentale et plonge jusqu'à s'enfouir dans la Inasse du manteau auquel elle sera réincorporée. Il en est ainsi pratiquell1ent sur tous les confins occidentaux de cet océan, au contact de la plaque eurasiatique jusqu'à l'archipel indonésien, puis au contact de la plaque indo-australienne, plus au sud, à partir de la Nouvelle-Guinée. La subduction s'y effectue à l'est d'un alignell1ent d'îles et de péninsules, suivant un tracé jalonné également par une série de fosses océaniques: les fosses des I(ouriles, du Japon, des Ryu-Kyu, des Philippines, des Tonga et des Kermadec. De telles fosses sont rell1arquables par leur étroitesse alliée à une grande profondeur. Souvent de l'ordre de 10 000 mètres ou davantage, elles semblent véritablement visualiser le phénomène de subduction. Des plaques Inineures de l'ensemble Pacifique connaissent elles aussi le Inécanislne de la subduction, associé à des fosses. C'est le cas, pour ces dernières, des Mariannes et de Challenger (-11 034 Inètres) en bordure de la plaque des Philippines- qui présente l'originalitéde Inarquerl'affrontement de deux entités l'une et l'autre strictel11entocéaniques: celle des Philippines et celle du Pacifique proprement dit. Plaque mineure également, que celle de Nazca qui entre en contact avec la plaque sud-américaine au niveau de la fosse du Pérou. En revanche, aucune fosse ne souligne, dans le Pacifique Nord-oriental au droit de l'Oregon, le contact entre la petite plaque Juan de Fuca, océanique, et la bordure continentale de la plaque nord-all1éricaine. Au contraire, le contact des deux 111argesaffrontées s'accompagne d'une accumulation d'écailles constituées de 111atériauxd'origine continentale et sédilnentaire 13 Les marges de la lithosphère (que l'on désigne communément comme « prismes d'accrétion », ce qui risque de prêter à confusion avec l'accrétion - de nature opposée - dans les dorsales). On considère actuellement que cet état de choses régnant dans les Coast Ranges traduit la progression de la plaque nord-américaine jusqu'au niveau de l'ex-dorsale médio-pacifique, en réponse à une forte expansion régnant dans l'Atlantique septentrional, aux marges orientales de cette plaque. Hors de ces domaines océaniques, on retrouve des phénomènes de fracturation qui s'apparentent soit au mécanisme d'écartement des fossés de dorsales océaniques, soit à celui d'affrontements accompagnés de subduction. Les premiers sont ceux qui interviennent notamment dans les rifts de l'Est afficain. Les seconds sont particulièrement bien représentés dans la zone himalayenne. En ces dernières régions s'est produite la collision entre deux plaques continentales: indienne et eurasiatique. Elles avaient été antérieurement séparées par des étendues à plancher océanique, mais celui-ci a disparu par subduction. Et, la poussée se poursuivant, une part de la croûte continentale a pu - et peut encore - glisser au-dessus de l'autre, elle aussi continentale, suivant un processus partiellell1ent comparable à la subduction océanique. De tels chevauchements ont parfois entraîné des portions de l'ancienne croûte océanique au-dessus de la continentale, à l'inverse du mécanisme classique de subduction: on parle alors d' obduction. Certaines ffactures affectent, enfin, des plaques tectoniques sans pour autant déterminer accrétions, subductions ni obductions. Le mouvement de l'une des entités par rapport à l'autre n'est ni d'écartement ni de plongement ou de chevauchement, mais de *cisaillement et de coulissage. C'est là le troisième type de mécanisme concernant des marges de plaques tectoniques. L'exemple universellement connu est celui de la faille de San Andreas, le long du littoral californien jusqu' au Cap Blanco dans le sud de l'Oregon: un compartiment occidental, davantage maritime, peut glisser de sud en nord à la vitesse de 5 cm/an, au contact du bloc oriental. Mais il en existe d'autres, moins importantes et surtout moins célèbres. Ainsi, celles qui bordent au sud et au nord la Mer des Caraïbes, celles qui déterminent des décrochements dans le tracé du littoral du Golfe de Guinée, celles qui empruntent le Détroit de Gibraltar ou le Canal du Mozambique. De même, en milieu davantage continental, les grandes failles qui flanquent à l'ouest et à l'est le sous-continent indien, celle de l'Anatolie qui court d'est en ouest en Asie mineure, ou celle encore qui emprunte le territoire de la Nouvelle-Zélande. 14 Géographie des 111arges Au total, ce troisième type de marges résultant de la fracturation de la lithosphère n'est pas sans analogies avec le cas des *fai lIes transfonnantes qui hachent le tracé des rifts, dans les dorsales océaniques - dont certaines sont de longueur remarquable, comme la grande faille de la Romanche, entre les abords du Cap des Palmes africain et du Cap San Roque brésilien, dans l'Atlantique équatorial. II - Conséquences pour J'environnement La dynal11ique qui anÎ111e les marges des plaques tectoniques n'est évideml11ent pas sans effets d'ordre géographique et écologique. Ceux-ci peuvent se marquer à des échelles diverses, dans l'espace COlnme dans le telnps. Aux plus petites, les prelniers résultats qui viennent à l'esprit sont liés au fait même du déplacement des plaques, de niveau planétaire et jouant sur plusieurs dizaines de millions d'années. Les séparations et rencontres d'aires continentales qui s'en sont ensuivies ont bouleversé le "visage de la terre" ainsi que les rapports des lieux avec le canevas climatique et elles ont eu, directement ou indirectement, une influence considérable sur la distribution des flores et des faunes, la répartition, voire l'évolution de plantes et d'anÎl11aux. Toutefois, cet aspect des choses ne sera pas davantage exalniné ici, au profit d'une plus grande attention portée aux manifestations actuelles de la vie de ces marges que les COl11posantesphysiques et biotiques du contexte enregistrent. A - L'activité sisnlique Pan11i ces Inanifestations, celle qui est inséparable, corrélative en quelque sorte, de la tectonique des plaques est la séismicité. Il n'est que de cOlnparer une carte Inondiale des sites de trenlblelnents de terre (carte 2, p. 18-19) avec celle de la localisation des IÎlnitesentre plaques - accrétion, subduction, collision ou coulissage - (carte 1 p. 10-11) pour constater leur parfaite coïncidence. En ce dOlllaine encore, le Pacifique se distingue des autres océans. Les zones de séislnicité sont, en très grande majorité, rejetées à sa périphérie: le long des côtes occidentales des Alnériques, puis de l'Alaska au Kalntchatka et au Japon, par les Aléoutiennes et les Kouriles, ensuite de part et d'autre 15 Les marges de la lithosphère des Philippines jusqu'à l'est de Bornéo, après quoi un tracé ouest-est via la Nouvelle-Guinée va s'accrocher aux îles Fidji et Samoa, pour s'orienter ensuite au sud jusqu'au delà de la Nouvelle-Zélande. C'est à dire, très précisément, suivant le contact avec les plaques américaines, puis l'eurasiatique et l' indo-australienne, jalonnées, dans ces deux derniers cas surtout, de fosses remarquables. En revanche, les témoignages d'éventuels rapports avec des accidents intra-océaniques sont réduits à peu de choses: un linéament au long de la plaque antarctique et un autre ceinturant au large celles de Nazca et de Cocos, depuis le Chili méridional jusqu' au Guatemala en passant par l'Île de Pâques. Soit un dispositif qui combine les effets de ces deux plaques avec ceux, discrets, de la dorsale d'accrétion du Sud-Est Pacifique. Dans les océans Atlantique et Indien, la séismicité est à l'inverse: pratiquement aucun site le long des littoraux, sauf dans les Caraïbes et l'arc malais, mais un chapelet de foyers se moulant sur les dorsales médio-atlantique et médio-indienne. Cette disparité est une illustrationparfaite des notions de « marges actives », celles du Pacifique où s'affrontent plaques océaniques et continentales au point de se chevaucher, et de « l11argespassives» qui, dans les océans Atlantique et Indien, résultent de l'écartement, de part et d'autre d'une déchirure, des deux éléments d'une lithosphère à l'origine continentale,auxquels s'ajoutent progressivement les matériaux de type magl11atiqueen provenance de la dorsale consécutive à la déchirure. Les expressions de « marge active» ou « passive» ne doivent, toutefois, pas occulter le fait qu'une certaine activité sismique se manifeste aussi à des limites de plaques qui ne traduisent pas un affrontement: celles notamment, à l'inverse, qui accompagnent les dorsales d'accrétion. Dans ce dernier cas, il s'agit de « *séismes de distension », alors que les autres, en zones de subduction notamment, sont des « *séismes de compression». C'est ainsi que l'on note une activité sismique pratiquement continue, au long de la dorsale médio-atlantique et de celle de l'océan Indien occidental prolongée jusqu'en Mer Rouge. Mais il ne s'agit là, pour l'essentiel, que de séismes d'intensité l11oyenne,alors qu'ils sont beaucoup plus importants sur les marges circumpacifiques de plaques - où se situent plus des trois-quarts des séismes du globe - ainsi que sur celles qui jalonnent divers modes d'affrontement, au revers de l'Eurasie, entre Gibraltar et l'Indonésie. Cette question de plus ou moins grande intensité renvoie à la notion de magnitude, qui mesure l'énergie 111anifestéeau foyer, ainsi qu'à celles 16 Géographie des marges de séismes « normaux» (ou superficiels), « intermédiaires» et « profonds », suivant lesquels, d'ailleurs, varie cette magnitude. Cela introduit une dimension géographique nouvelle: ces trois styles se différencient systématiquement, en effet, transversalement aux axes de distribution longitudinale des sites d'activité sismique liés aux contacts entre les plaques. Ainsi, dans le cas d'une marge active à *arc insulaire, comme celle qui traduit la subduction de la plaque pacifique sous celle d'Eurasie, entre Kamtchatka et sud de l'archipel japonais, une différenciation systél11atique s'observe. Des séismes « normaux» en mer et le long des côtes orientales, puis « intermédiaires» au sud de la péninsule, à l'intérieur des Kouriles et du Japon, après quoi, vers l'ouest, les mers d'Okhotsk et du Japon, Sakhaline et la Mandchourie orientale ne connaissent plus que des séismes « profonds». Dans le même sens, les profondeurs des foyers passent, en effet, de 60 à 200, 400 et plus de 700 kilomètres, tandis que les magnitudes, à l'inverse, décroissent (grossièrement, de 8 à moins de 6). On retrouve des caractères comparables dans le modèle de « l11argeactive» à *cordillère: entre plaque de Nazca et Andes, par exemple. Depuis le Pérou jusqu'à la Colombie, règnent des séismes « normaux» en mer jusqu'à une centaine de kilomètres au large, et sur une distance du mêl11eordre par delà les côtes vers l'intérieur; leurs magnitudes vont de 6 à 8,5. Puis, jusqu'aux retombées orientales des Andes, sur plus de cinq cents kilomètres, ce sont des séismes « intermédiaires» avec des magnitudes comprises entre 6 et 8. Après quoi, sous la haute Amazonie, à un millier de kilomètres dans l'est, les foyers sont « profonds» et leurs l11agnitudes, inférieures à 7,5 jusqu'à 5,5. Ces divers traits traduisent fidèlement les modalités du plongement des plaques en zones de subduction. La plaque océanique, au niveau de la fosse, amorce son plongement en se courbant: elle subit ainsi une extension. Puis s'ajoutent aux effets de cette dernière les contraintes qu'entraîne, plus avant, le frottement au-dessous de la plaque continentale chevauchante. Enfin, la portion de lithosphère ainsi subductée atteint, vers 600 kilol11ètres de profondeur, l' *asthénosphère dont la température élevée et la consistance entraînent sa "digestion" et l'incorporation du matériau exogène dans la masse. C'est essentiellement dans les premières phases du plongement, là où la subduction ne dépasse pas encore 50 à 70 kilomètres, que se produisent les séismes les plus il11portants; au delà, lorsque le plan de contact entre plaques atteint une plus grande profondeur, ils s'atténuent, en même temps que s'y ajoute du volcanisme. C'est dire, d'une part, qu'il s'agit en premier lieu 17 Les marges de la lithosphère des séismes superficiels - dits « normaux» - dont la forte intensité résulte des contraintes associées à la résistance des roches non élastiques du sommet de la lithosphère, ainsi que de celles qu'entraîne le chevauchement des plaques. C'est dire, d'autre part, que ce sont les régions littorales qui sont le plus violemment affectées, et ceci sur les marges actives à arcs comme sur celles qui portent des cordillères. L'intérieur des îles des premières, comme les montagnes des secondes sont affectés par des séismes, mais moins nombreux et moins violents - en revanche, à ces niveaux, apparaît une autre contrainte: le volcanisme. On considère communément que 80 % de l'énergie sislnique planétaire se localise dans les Inarges de subduction de la ceinture pacifique, mais, outre la séismicité modeste mais constante qui accompagne les dorsales intra-océaniques, des séismes - parfois spectaculaires - se manifestent à l'occasion d'autres types de contact. Lorsqu'il s'agit de collision entre croûtes continentales, comme au long de l'axe mésogéen, notamment dans sa portion moyen-orientale, les manifestations sislniques se dispersent sur une étendue plus vaste, sans répondre au 1110dèletripartite des zones à subduction, et les magnitudes, en général, ne dépassent pas la valeur de 7,5. Quant aux failles à coulissage, elles s'accompagnent de séismes « nOrIllaUX», dont les foyers sont très superficiels - en général, moins de 20 kilomètres - mais dont les magnitudes sont habituellement faibles à moyennes. Toutefois, des épisodes de blocage du mouvement peuvent intervenir, entraînant des effets compressifs suivis de détente, la magnitude dépasse alors 6 voire 7,5 : ce fut, liés à la faille de San Andreas, le cas du désastre de San Francisco, en 1906; ce fut aussi celui du tremblel11ent de terre de Kern County atteignant 7,6 en 1956 ; ou du séisme de 7,9 qui déchira l'est du Gujarat, entre Inde et Pakistan, en janvier 2001. L'évocation de ces événements ouvre sur un autre aspect de la séismicité développée aux marges des plaques. Le nombre moyen des séismes est considérable: en 1981, par exemple, on en dénolllbra 6 784. La plupart de ceux-ci ont été du type superficiel Fig. 2 - Localisation des zones sismiques (d'après 00000 ~..~.~ 18 B. Gutenberg et Ch. Richter, 1945, in Encycl. Universalis, J.-P. Rothé, 1954, p. 698-700) Foyers sislniques Foyers sismiques « nonnaux » « intermédiaires» Foyers sislniques « profonds» p. 159 ~ o --- 3000km Géographie des marges ....... ..... .. .I 19 Les marges de la lithosphère - 5 255 dont le foyer se situaità moinsde 70 km de profondeur.Or, ce sont ces séismes «normaux» qui atteignent les plus grandes magnitudes. On estime que des dégâts importants commencent à se manifester entre les valeurs de 5,5 et 6 ; entre 7 et 9, ils sont considérables et, lorsque les magnitudes atteignent ou dépassent 9, ce sont des catastrophes qui font date dans I'Histoire: niveau 9 à Lisbonne, en 1755, ou à Mollendo, dans le Sud péruvien, en 1868 ; niveau 9,5 à Valdivia, au Chili, en 1960. C'est dire que bien des régions côtières sont affectées par ces cataclysmes puisque c'est là que sont les séismes « normaux », avec les plus fortes magnitudes; or, ces littoraux sont en général fortement peuplés. Il convient, en outre, de ne pas oublier une autre variété de conséquences de la séismicité littorale, les tsunami. Ces ondes se propagent, en mer à des vitesses de près de 700 kmIh et, lorsqu'elles atteignent une côte, elles y déterminent des déferlantes gigantesques, dépassant la vingtaine de mètres en hauteur, souvent. De plus, les rayons d'action des tsunami sont spectaculaires: celui qui accompagna le séisme de Valdivia, en 1960, ravagea des établissements humains et fit des centaines de victimes, à 10 000 et 17 000 kilomètres de là, aux lIes Hawaï et au Japon. Enfin, ce même type de séismes « normaux », mais aussi les « intermédiaires» moins violents qui se produisent à distance des côtes, dans l'intérieur, entraînent des effets géolnorphologiques spectaculaires et ravageurs: inondations et glissements de terrains, coulées de boue ou avalanches, souvent accompagnésde pertes en vies humaines - la Chine, les Andes ou l'Amérique Centrale en ont offert des Îlnages tragiques. B - Le volcanisn1e Il existe une variété sous-marine d'activité volcanique: celle qui accompagne les dorsales d'accrétion, donc localisée aux marges amont des plaques tectoniques. Les fossés de dorsales lentes, de type Inédio-atlantique, sont jalonnés de petits cônes et le volcanislne parfois peut s'y révéler intense, comme il en est normalement de celui qui accompagn les dorsales rapides dépourvues de rift, celles de type pacifique. En outre, le plus souvent sans relation avec des situations marginales par rapport aux plaques, des volcans émergés associés à des *points chauds peuvent se situer en plein océan, comme en Islande, aux Hawaï ou à la Réunion. Mais les sites des manifestations volcaniques qui sont directement observables et dont les effets ont des répercussions d'ordre anthropique sont, 20 Géographie des Inarges en règle générale, plus éloignés du domaine océanique que ne le sont la plupart des manifestations de la séismicité. Il s'agit là d'un volcanisme qui est associé aux marges des plaques tectoniques de zones où jouent les n1écanislnes de la subduction, les « lnarges actives ». Ces deux sortes d'activité volcanique ne se distinguent pas seulement par le fait d'être subaquatique, aux lnarges amont des plaques, et subaérienne en aval, là où celles-ci s'enfouissent sous des systèmes d'arcs insulaires ou de cordillères. La nature des produits émis est systématiquelnent différente, ici et là. En mer, au niveau des dorsales, le lnécanisme d'accrétion lnet en place - par définition, en quelque sorte - un matériau de type magmatiqueissu du SOll1lnetdu manteau. C'est dire que l'activité volcanique, en ces lieux, émettra des laves de nature basique, COlnmeles basaltes. C'est dire aussi, par là même, que ce volcanislne est de type effusif: l'essentiel des produits fonne des coulées, localelnent façonnées en coussins (les pillow lavas). Toutefois, malgré la fluidité de ces laves, leur interaction avec l'eau de mer peut provoquer leur fraglnentation en éléments vitreux qui donnent lieu à des accumulations de style explosif, en des reliefs de forme tronconique, les *guyots. On retrouve cette nature de laves et le *volcanisme effusif dans les appareils subaériens, actifs ou non, situés en dOlnaine InaritÎlne : c'est à dire en rapport eux aussi avec des croûtes océaniques, qu'il s'agisse de leurs lnarges alnont vers les dorsales ou, plus souvent, d'une localisation non marginale. Ainsi, aux Hawaï ou en Islande - les cas les plus connus -, aux Galapagos, dans le Pacifique, ou encore aux Bennudes, aux Açores, aux Canaries, à Fernando Poo (Bioko), à Tristan da Cunha, dans l'Atlantique, à la Grande Comore, à l'Île de la Réunion, dans l'Océan Indien. De lnêlne que le volcanisme explosif des guyots apporte une exception à la règle des émissions effusives en milieu subaquatique, de même les styles éruptifs de ces îles peuvent être partiellelnent explosifs, COlnlne à la Réunion où coexistent coulées et scories. C'est plus radicalement que changent les caractères du matériau éruptif, à l'autre bord des plaques: dans la cOlnposition de celui-ci et dans les types d'émission auxquels il donne lieu. Ce sont, en effet, des laves en quelque sorte composites que l'on rencontre ici. D'une part, un matériau constitué de la frange aval d'une portion de lithosphère océanique qui a plongé jusqu'au niveau du manteau, dont elle acquiert les caractères de plasticité et de température. D'autre part, des cOlnposants qui proviennent de 21 Les marges de la lithosphère la lithosphère continentale sus-j acente, à travers laquelle s'effectue la l110ntée de ces produits issus de la subduction. Cette double origine explique les caractères chitlliques et mécaniques des matières liées au volcanisme qui règne sur ces marges-là, et, par voie de conséquence, le style et les effets des éruptions qui s'y produisent. Elle rend compte également du fait que ce volcanisme se situe au delà des littoraux, dans l'intérieur des terres, car ce n'est qu'à partir d'une profondeur de l'ordre de 100 à 150 kilomètres, atteinte par la plaque plongeante, que la fusion partielle de celle-ci pourra libérer les composantes minérales qui s'élèveront à travers la croûte continentale. Étant donné le degré d'inclinaison du plan de contact entre les deux entités affrontées, cette profondeur n'est atteinte qu'à distance de la zone où s'amorce la subduction: ainsi, au droit de la plaque pacifique de Nazca, dans les Andes chiliennes le front volcanique domine le désert d'Atacama à 250 kilomètres de la côte. La contamination des matières minérales de type magmatique par celles de la croûte continentale traversée entraîne l'acidification des laves émises. On passe de la famille des basaltes ou gabbros tholéitiques et alcalins à des termes encore alcalins mais enrichis en silice, COl11l11e les trachytes et rhyolites, ou calco-alcalins, tels les andésites, calco-alcalins potassiques, tels les dacites, eux aussi riches en silice. Ces matières minérales, constituants de laves peu fluides, sont par ailleurs associées à une phase volatile composée de gaz divers et d'eau. De tout cela résulte un volcanisme de mode explosif, celui qui caractérise les arcs insulaires et les marges à cordillères. Il est abondamment connu que ce sont les manifestations éruptives les plus dangereuses. Les surpressions qui affectent la phase volatile, suivies de détente, entraînent la projection d'éléments minéraux: ce sont les *pyroclastites - b0111bes, scories ou cendres. Mais elles sont aussi à l'origine de torrents de boue - les *lahar - et à celle des nuées ardentes, véritables torrents aussi, constitués de blocs incandescents et de cendres inclus dans les gaz expulsés. Les déferlements des nuées ardentes peuvent atteindre des vitesses prodigieuses sur les pentes: plusieurs centaines de kilomètres à l'heure (600, lors de l'éruption célèbre de la Montagne Pelée, à la Martinique, en 1902). Cet événe111ententraîna la 1110rtde 28 000 personnes. L'Histoire conserve la mémoire de drames causés par des éruptions explosives, avec ou sans nuées ardentes: celle du Vésuve, en 79, détruisant Pompéi et Herculanum, celle du Mont Tambora, à l'est de L0111bokdans l'arc indonésien, en 1815, 22