La mort, un obstacle à la création du lien de parenté

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La mort, un obstacle à la création du lien de parenté ?
SEGOLENE PERRIN*
La mort est-elle un obstacle à l’établissement du lien de parenté ? La question peut
surprendre. Le droit appréhende pourtant cette problématique et tente de pallier la nécessaire
absence de volonté du défunt quant à la filiation de l’enfant qui en est issu1.
Lorsque le décès intervient avant la naissance, la filiation de l’enfant né hors mariage peut
être établie par la possession d’état. La loi du 16 janvier 2009 a fixé expressément le point de
départ de la demande de délivrance d’un acte de notoriété (art. 317 C. civ.) ou de l’action en
constatation de possession d’état (art. 330 C. civ.) à compter du jour du décès du prétendu
parent2. Par ailleurs, la loi du 28 mars 2011 a encore davantage précisé cette possibilité en
ajoutant que la délivrance de l’acte de notoriété peut être demandée y compris lorsque le
prétendu parent est décédé avant la déclaration de naissance (art. 317 C. civ.)3.
Enfin, l’action en recherche de paternité ou plus marginalement de maternité peut
également être engagée après le décès du prétendu parent à l’encontre de ses héritiers (art. 328
C. civ.). Toutefois, on sait que l’identification par empreintes génétiques ne peut en principe
pas être réalisée sur une personne décédée sauf si cette dernière y a consenti de son vivant4.
Ceci risque de fortement limiter les chances de succès de l’action5. Cette solution semble être
en contradiction avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui, dans
l’arrêt Jäggi contre Suisse (13 juillet 2006), a condamné les autorités suisses pour avoir refusé
de procéder à l’exhumation du corps de celui que le requérant désignait comme son père
biologique6.
*
Docteur en droit, chargée d’enseignements à l’Université de Strasbourg.
Le prétendu parent décédé a pu anticiper son décès. L’ordonnance du 4 juillet 2005 a codifié la possibilité
d’une reconnaissance prénatale de l’enfant dès lors qu’il est conçu (art. 316 C. civ.). En tant qu’acte personnel, la
reconnaissance ne peut plus intervenir après le décès du prétendu père.
2
Loi n° 2009-61 du 16 janv. 2009 ratifiant l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la
filiation et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation, JO du 18 janv. 2009, p. 1062.
3
Loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines
professions réglementées, JO du 29 mars 2011, p. 5447.
4
Art. 16-11 C. civ. tel que modifié par la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, JO du 7 août
2004, p. 14040.
5
Dans un arrêt du 2 avril 2008, la Première chambre civile de la Cour de cassation a rappelé que l’article 16-11
du Code civil est d’application immédiate ; peu importe que le prétendu parent soit décédé avant son entrée en
vigueur. Il a ainsi été refusé qu’une expertise soit ordonnée alors même qu’il existait des prélèvements sanguins
et qu’une exhumation n’était de ce fait pas nécessaire. Cass. 1re civ., 2 avr. 2008, Bull. civ. I, n° 391, D. 2008,
act., p. 1145, obs. I. Gallmeister, p. 2121, note V. Bonnet et p. 2363, obs. P. Chauvin, Dr. famille 2008, comm.
n° 86, note P. Murat, RTD civ. 2008, p. 464, note J. Hauser, AJ famille 2008, p. 209, obs. F. Chenédé, Defrénois
2008, p. 1842, J. Massip, JCP éd. G 2008, II, 10132, note J.-R. Binet, JCP éd. G 2009, I, 102, n° 6, obs. Y.
Favier.
6
En ce sens, P. Bonfils et A. Gouttenoire, « Droit des mineurs », Dalloz, n° 276 ; CEDH, 13 juill. 2006, Jäggi
contre Suisse, RTD civ. 2006, p. 727, obs. J.-P Marguenaud, RTD civ., 2007, p. 99, obs. J. Hauser, E. Decaux et
P. Tavernier, « Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme », JDI (Clunet), 2007,
5, n° 2, A. Gouttenoire, « Le droit de la famille dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
1
S’agissant de l’enfant issu d’un couple marié, la présomption de paternité permet d’établir
la filiation de l’enfant conçu pendant le mariage de ses auteurs.
Ainsi il est en principe possible d’établir la filiation de l’enfant à l’égard de son parent
malgré la mort de celui-ci.
Mais en principe, « la mort marque la fin de tout : le mort ne peut plus se marier,
divorcer, concevoir un enfant… »7. Ce qui semble être une évidence est cependant démenti
par les progrès scientifiques. Grâce aux aides médicales à la procréation, la naissance voire la
conception de l’enfant après le décès de l’un de ses auteurs est techniquement possible.
Pour autant, dès 1994, la loi a imposé aux deux membres du couple engagé dans un
processus d’aide à la procréation d’être vivants et en âge de procréer8.
I. LA VOLONTE CONTRARIEE PAR LA MORT
Quelle que soit la volonté du membre du couple qui vient à décéder, la mort est un
obstacle à la poursuite du projet parental. Le décès de l’un des membres du couple fait échec
au transfert d’embryon et prive d’effet le consentement à une insémination avec donneur (art.
L 2141-2 al. 3 CSP ). Cette prohibition a été réaffirmée par la loi du 6 août 2004 relative à la
bioéthique.
On peut s’interroger sur la légitimité pour le législateur d’intervenir dans un domaine si
intime. Certains diront qu’il est des accidents de la vie qui conduisent des femmes à donner
naturellement naissance à l’enfant de leur défunt époux ou concubin sans que le législateur ne
vienne s’en mêler9. Une analogie ne peut pour autant être opérée. Dès lors que l’individu
demande l’aide de la société pour mener à terme son projet parental, le législateur se doit
d’intervenir pour fixer les conditions de sa réalisation10.
Le recours à une aide médicale à la procréation post mortem pose un grave problème
éthique dans la mesure où il s’agit de faire naître délibérément des enfants orphelins de père,
ce qui n’est pas sans conséquences pour eux. Cette problématique se pose dans un contexte de
grande douleur. En effet, en cas de décès de son conjoint ou de son compagnon, la femme
engagée dans le processus de procréation assistée doit décider du sort des embryons conçus,
les termes de l’alternative étant particulièrement douloureux. Il s’agit soit de les détruire, soit
de les donner à un autre couple, soit de les destiner à la recherche (art. L 2141-4 CSP).
Avant même l’entrée en vigueur des lois de bioéthique, les juges du fond et la Cour de
cassation avaient majoritairement refusé aux veuves cette possibilité11.
l’homme », Dr. famille 2008, étude n° 14. La décision a été rendue sur le fondement de l’article 8 de la
Convention européenne des droits de l’homme en raison de l’atteinte au droit au respect de la vie privée du
requérant.
7
N. Nevejans, « L’établissement et la contestation de liens de famille après la mort », Les petites affiches 10 avr.
2000, n° 71, p. 11.
8
Loi n° 94-654 du 29 juill. 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à
l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, JO du 30 juill. 1994, p. 11060.
9
En ce sens, C. Chabault-Marx, note sous TGI Rennes, ord. réf., 15 oct. 2009, D. 2009, p. 2758.
10
En ce sens, Comité consultatif national d’éthique, Avis n° 113 du 10 fév. 2011.
11
Cass. 1re civ., 9 janv. 1996, JCP éd. G 1996, II, 22666, note C. Neirinck, confirmant l’arrêt rendu par la Cour
d’appel de Toulouse du 18 avr. 1994, JCP éd. G 1995, II, 22472, note C. Neirinck. V. également TGI Rennes,
30 juin 1993, JCP éd. G 1994, II, 22250, note C. Neirinck. Contra cependant TGI Créteil, 1er août 1984, JCP éd.
G 1984, II, 20321, obs. S. Corone (remise des paillettes de sperme à la veuve) et TGI Angers, 10 nov. 1992,
D. 1994, somm., p. 30, note X. Labbée (établissement de la filiation légitime d’un enfant né suite à un transfert
post mortem).
Depuis et en dépit de l’interdiction posée par le législateur, les juridictions sont encore
confrontées à de telles demandes qui ne se fondent plus sur la possibilité de persévérer dans le
processus d’aide médicale à la procréation mais sur la restitution des gamètes conservés.
Ainsi le 22 juin 2010, dans une affaire fortement médiatisée, la Cour d’appel de Rennes a
refusé à une veuve la restitution des paillètes de sperme de son défunt mari. Celui-ci avait
formé auprès du CECOS de l’Ouest une demande d'auto conservation de ses gamètes à visée
thérapeutique (conformément à l’article L. 2141-11 du Code de la santé publique). Saisis en la
forme des référés, les juges du fond ont considéré que la mort du mari était un obstacle à la
restitution des paillètes à l’épouse quand bien même celle-ci invoquait avoir reçu dans la
succession de son mari un droit de créance à l’encontre du CECOS 12 . En effet, les
dispositions contractuelles empêchaient que les gamètes soient restitués à une autre personne
que le patient pour le compte duquel ils sont conservés (solution en outre conforme aux
dispositions de l’article 1122 du Code civil). De plus, la restitution des gamètes tendait à
permettre à la veuve de bénéficier d’une aide médicale à la procréation en contravention des
dispositions du Code de la santé public et du Code civil. En l’absence de trouble
manifestement illicite, la demande de restitution a été rejetée.
À l’image de la France, certains États européens refusent également la réalisation des
techniques d’aide médicale à la procréation après le décès de l’un des membres du couple
(Suisse13, Italie14, Finlande15, Danemark16).
À l’inverse, certaines législations européennes autorisent au cas par cas les procréations
médicalement assistées post mortem à l’instar de l’Allemagne 17 ou du Luxembourg 18 .
Quelques législations européennes, comme la Belgique19, le Royaume-Uni20, l’Espagne21 ou
12
TGI Rennes, ord. réf., 15 oct. 2009, JCP éd. G 2009, 377, note J.-R. Binet, D. 2009, p. 2758, note
C. Chabault-Marx ; CA Rennes, 22 juin 2010, JCP éd. G 2010, 897, note A. Mirkovic.
13
Art. 3, 4e de la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée, 18 déc. 1998.
14
Art. 5 de la loi n° 40 du 19 fév. 2004 relative aux règles sur les procréations médicalement assistées (« Norme
in materia di procreazione medicalmente assistita »).
15
Art. 6, Loi sur les traitements de procréation assistée (1237/2006).
16
Les documents de travail du Sénat, « L'accès à l'assistance médicale à la procréation », Législation comparée,
2009, p. 14.
17
Peut être condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans ou à une amende, quiconque féconde
sciemment un ovule avec le sperme d’un homme décédé (§ 4, Loi sur la protection des embryons du 13 déc.
1990, entrée en vigueur le 1er janv. 1991). Cependant, le transfert d’embryon n’est pas explicitement prohibé par
la loi et il peut être exceptionnellement autorisé dans le cadre d’un projet parental clairement défini. Cette
exception s’explique par le fait que l’implantation de l’embryon dans le corps de la femme a pour finalité de
sauver une vie : Conseil de l’Europe, « Assistance médicale à la procréation et protection de l’embryon
humain », 1998, p. 44 et Conseil d’État, « Les lois de bioéthique : cinq ans après », Les études du Conseil d’État,
La documentation française, 1999, p. 44.
18
Le Luxembourg partage, dans une certaine mesure, cette conception. Il n’existe aucune législation spécifique,
mais la Commission consultative nationale d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, dans un avis rendu
en 2001, a indiqué que « l’insémination post mortem et l’implantation d’embryons post mortem peuvent être
légitimes dans une optique éthique ». C’est à l’équipe médicale d’évaluer les conditions dans lesquelles de tels
procédés peuvent être autorisés : Commission consultative nationale d’éthique pour les sciences de la vie et de la
santé, avis 2001.1, « La procréation médicalement assistée », p. 104.
19
Selon l’article 7 de la loi du 17 juil. 2007 relative à la procréation médicalement assistée et à la destination
des embryons surnuméraires et des gamètes, une convention est rédigée avant tout acte médical entre la ou les
personnes souhaitant bénéficier d’une technique d’aide à la reproduction et le centre de fécondation.
L’implantation ne peut avoir lieu qu’après l’expiration d’un délai de six mois à compter du décès et dans les
deux années qui suivent.
20
Au Royaume-Uni, la personne qui décide de recourir aux techniques d’aide médicale à la procréation doit
préciser par écrit quel sort sera réservé à ses gamètes ou aux embryons conçus à partir de ses gamètes si elle
vient à décéder. L’homme peut être enregistré comme père de l’enfant lorsque l’insémination artificielle est
la Grèce22, autorisent expressément les aides médicales à la procréation post mortem. Les
conditions y sont très strictes et démontrent une volonté politique de restreindre le nombre des
candidats potentiels. Le consentement du mari ou du concubin doit expressément porter sur le
sort des gamètes ou des embryons après sa mort ainsi que sur l’établissement de sa paternité à
l’égard de l’enfant.
II. REFLEXIONS SUR UNE PRISE EN COMPTE DE LA VOLONTE
Le débat n’est pas achevé en France. L’opportunité de permettre le recours aux
procréations médicalement assistées post mortem est régulièrement discutée. Un grand
nombre de rapports se sont prononcés en faveur d’une admission23.
La révision des lois de bioéthique a été l’occasion de revenir sur cette question. Le projet
de loi relatif à la bioéthique ne prévoyait pas initialement de modification sur ce point. Le
texte a été amendé par l’Assemblée nationale. Mais cet amendement a ensuite été supprimé en
première lecture par le Sénat. Cet indécision traduit toute la difficulté pour le législateur
d’appréhender cette problématique ô combien douloureuse.
Tant les rapports que le projet de loi tel qu’adopté en première lecture par l’Assemblée
nationale n’envisageaient que le transfert d’embryon post mortem. Il est vrai que la
intervenue après son décès ou lorsque l’embryon a été conçu grâce à ses gamètes avant sa mort, mais implanté
après son décès (« Human Fertilisation and Embryology Act 2008 », s. 39). Sur les conditions de cet
enregistrement, voir S. Perrin, « Parenté et parentalité : le rôle du tiers dans la vie de l’enfant. Étude de droit
comparé européen », thèse, Strasbourg, 2009, n° 169. La législation de 2008 permettant à la partenaire
enregistrée de la mère d’être désignée comme le second parent de l’enfant, l’éventualité du décès précoce de
celle-ci a été envisagée. Les mêmes conditions sont requises.
21
L’insémination post mortem est possible, mais ne produit de conséquences sur la filiation de l’enfant à naître
qu’à la condition que le mari y ait consenti par testament ou dans un document officiel. À défaut, la filiation
paternelle de l’enfant ne peut être établie. On présume que le consentement a été donné lorsque l’épouse a été
soumise à un processus de reproduction assistée consistant en un transfert d’embryons initié avant le décès du
mari (art. 9, 2, Loi 14/2006 du 26 mai 2006, BOE n° 126, 27 mai 2006, 19947). L’insémination post mortem est
ouverte aux concubins. Le compagnon doit donner de la même façon son consentement qui servira de titre, en
vue de l’établissement de sa paternité (art. 9, 3, Loi préc.). L’insémination doit être réalisée dans le délai imparti
par la loi soit dans les douze mois suivant le décès.
22
En Grèce, les personnes, désirant procréer grâce à des techniques d’assistance médicale, doivent donner leur
consentement par écrit. Ce consentement est réputé avoir été révoqué lorsque son auteur est décédé avant le
transfert (art. 1456 C. civ., introduit par la loi n° 3089/2002 sur l’assistance médicale à la reproduction humaine
du 19 déc. 2002, entrée en vigueur le 23 déc. 2002). Par exception et sur autorisation judiciaire, l’insémination
artificielle après le décès du mari ou du compagnon stable de la femme est permise, si celui-ci souffrait d’une
maladie pouvant affecter sa fertilité ou pouvant impliquer un risque de décès et s’il avait consenti par acte
notarié à l’insémination artificielle post mortem (art. 1457 C. civ.). L’intervention de l’autorité judiciaire garantit
un contrôle au cas par cas de l’intérêt de l’enfant à naître et permet de prévenir des abus. En outre, la Grèce
impose un double délai : la technique médicale d’aide à la procréation doit être pratiquée après l’expiration d’un
délai de six mois suivant le décès, mais avant l’expiration des deux années qui le suivent.
23
En 1993, le Comité consultatif national d’éthique avait proposé que le transfert post mortem d’embryons soit
autorisé en France (Comité consultatif national d’éthique, Avis n° 40 du 17 déc. 1993). Cette solution a été
reprise dans l’avis n° 60 du 25 juin 1998, dans l’avis 67 du 27 janvier 2000 et plus récemment dans son avis
n° 113 du 10 février 2011. Dans son étude adoptée le 25 novembre 1999, le Conseil d’État avait proposé
d’autoriser le transfert d’embryons post mortem, mais non l’insémination intraconjugale après le décès du mari
(« Les lois de bioéthique : cinq ans après », préc., p. 44). En ce sens également voir P. Bloche et V. Pécresse,
Rapport fait au nom de la mission sur la famille et les droits des enfants, « L'enfant d'abord - 100 propositions
pour placer l'intérêt de l'enfant au cœur du droit de la famille », Documents d'information de l'Assemblée
nationale, n° 2832, La documentation française, 2006 et Office parlementaire d’évaluation des choix
scientifiques et technologiques, « Rapport sur l’évaluation de l’application de la loi n° 2006-800 du 6 août 2004
relative à la bioéthique », 2008.
problématique de l’insémination post mortem ne se pose pas dans les mêmes termes. Le
transfert d’embryons post mortem tend à préserver une potentialité de vie (conception retenue
en Allemagne). Il peut être donné naissance à un enfant conçu avant le décès de l’homme.
Autoriser l’insémination reviendrait à permettre à un mort de concevoir un enfant.
Si en l’état actuel, le projet ne prévoit plus de modifier la législation française sur ce point,
il convient toutefois de s’interroger sur les conditions et les effets d’une telle évolution.
À l’image des législations belge et grecque, le projet de loi français imposait que le
transfert d’embryon intervienne dans un double délai : au minimum six mois et au maximum
dix-huit mois après le décès et après autorisation de l’Agence de la biomédecine24. Ce délai
tendrait à garantir une prise de décision « réfléchie » par la femme engagée dans le projet
parental.
L’admission du transfert d’embryon post mortem imposerait une modification du droit de
la famille tant extrapatrimonial que patrimonial.
S’agissant de l’établissement de la filiation de l’enfant, une adaptation du droit serait
nécessaire. La naissance de l’enfant issu d’un couple marié pouvant survenir plus de 300 jours
après la dissolution du mariage du fait du décès, la présomption de paternité pourrait ne pas
trouver application. Une modification du domaine d’application de la présomption de
paternité serait dès lors nécessaire, ce qu’envisageait le projet de loi. Il était prévu que la
naissance de l’enfant dans ces conditions empêche que la présomption soit écartée. Un nouvel
article aurait été inséré dans le Code civil (nouvel article 314-1 C. civ.) selon lequel « si
l’enfant est inscrit sans l’indication du nom du mari et n’a pas de possession d’état à l’égard
de ce dernier, la présomption de paternité n’est toutefois pas écartée lorsqu’il est établi que
le décès du mari est intervenu postérieurement à un processus d’assistance médicale à la
procréation ayant donné lieu à la conception d’embryons pendant la durée du mariage, que
l’intéressé a donné par écrit son consentement à une gestation intervenant après son décès, et
que la mère a bénéficié postérieurement à celui-ci d’un transfert des embryons, dans les
conditions prévues à l’article L. 2141-2 du code de la santé publique ».
S’agissant de l’enfant né hors mariage, le projet prévoyait que le consentement écrit donné
par un homme à la poursuite éventuelle par sa concubine, postérieurement au décès de celuici, de leur projet parental, vaudrait reconnaissance de l’enfant né du transfert des embryons du
couple (article 20 bis du projet de loi tel qu’adopté par l’Assemblée nationale le 15 février
2011). L’admission du transfert d’embryon post mortem conduirait ainsi à la création d’un
nouveau mode d’établissement non contentieux de la filiation paternelle. Enfin, selon le projet
de loi tel qu’adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, aurait été interdite toute
action en contestation de la filiation de l’enfant sauf à démontrer que celui-ci n’est pas issu de
l’aide médicale à la procréation.
Le projet de loi prévoyait ensuite que l’enfant ainsi conçu aurait vocation à succéder à son
père décédé25. Le double délai imposé conduisait dès lors à prévoir, en fonction de la
24
La naissance d’un ou de plusieurs enfants à la suite d’un même transfert aurait mis fin à la possibilité de
réaliser un autre transfert.
25
Sur les problèmes posés du fait d’un vide législatif, voir M. Lamarche, « Infans conceptus made in USA », Dr.
famille 2008, alerte 11.
consistance du patrimoine, la nomination d’un administrateur chargé de gérer la succession du
défunt pendant les dix-huit mois suivants le décès26.
On voit ainsi que l’admission du transfert d’embryon post mortem nécessiterait une
modification du droit de la filiation et du droit des successions.
De plus, une telle admission dans notre législation conduit à s’interroger sur une possible
discrimination qu’elle induirait entre l’homme et la femme. L’interdiction de la gestation pour
autrui serait un obstacle à la possibilité pour l’homme de continuer dans le processus d’aide
médicale à la procréation après le décès de son épouse ou de sa compagne. Cette absence de
réciprocité serait-elle constitutive d’une discrimination entre l’homme et la femme ? Que faire
si un jour la gestation pour autrui était autorisée en droit français ?
Indépendamment de ces obstacles juridiques, l’évolution des techniques scientifiques
pourrait permettre qu’à terme de telles questions soulevant de graves problèmes éthiques et
humainement douloureux ne se posent plus.
En effet, la problématique du transfert d’embryon post mortem se pose du fait de la
conservation des embryons surnuméraires.
Au moment de l’élaboration des premières lois de bioéthique, la délicate conservation des
ovocytes a conduit à prévoir la fécondation des gamètes puis la cryoconservation des
embryons surnuméraires en vue de leur utilisation ultérieure. C’est cette conservation et le
sort des embryons surnuméraires qui posent plus généralement des problèmes éthiques (que
ce soit en cas décès de l’un des membres du couple, mais également en cas de séparation ou
lorsque le processus d’aide médical à la procréation est achevé). Or l’évolution des
connaissances scientifiques permet aujourd’hui la conservation des ovocytes grâce à la
technique de la vitrification.
Après de multiples débats, le projet de loi relatif à la bioéthique prévoit ce mode de
conservation des ovocytes (art. L 2141-1 al. 4 nouveau CSS tel que résultant de l’article 31 du
projet de loi). Le nouveau cinquième alinéa précise en outre que « la mise en œuvre de
l’assistance médicale à la procréation privilégie les pratiques et procédés qui permettent de
limiter le nombre des embryons conservés ».
Ne faudrait-il pas prévoir dans notre droit que seuls les ovocytes soient conservés et que
les embryons ne soient conçus qu’en vue de leur implantation dans l’utérus de la mère ? 27 La
cryoconservation des embryons ne serait alors plus nécessaire et de ce fait, la problématique
du transfert d’embryon post mortem et plus généralement celle du devenir des embryons
cryoconservés ne se poseraient plus. Il est donc à souhaiter que soit réglée pour l’avenir la
délicate question de la conservation et du devenir des embryons surnuméraires et par la même
celle du transfert d’embryon post mortem.
Toutefois, si les embryons ne devaient à terme plus pouvoir être conservés, l’accueil d’un
embryon par un couple bénéficiaire serait par voie de conséquence impossible. La seule
26
Il était prévu que la mission de l’administrateur prenne fin si la femme renonçait à la poursuite du processus
d’assistance médicale à la procréation ; dès lors qu’était constatée une naissance résultant du transfert
d’embryons ou une grossesse résultant de la dernière tentative possible d’un tel transfert ; lorsque qu’était
constaté l’échec de la dernière tentative possible de transfert d’embryons.
27
En ce sens également, A. Mirkovic, « Le transfert d'embryon post mortem : comment sortir de l'impasse ? »,
Dr. famille 2009, étude 23. possibilité pour les couples dont les deux membres souffrent de stérilité serait de recourir à un
double don de gamètes, ce qui est actuellement interdit. Une telle possibilité est-elle
envisageable dans notre droit ?
Cette question dépasse les limites de cette intervention.
En conclusion, les graves questions éthiques que le droit doit trancher en matière d’aide
médicale à la procréation découlent des progrès de la science. La question du transfert des
embryons post mortem n’est qu’une étape dans l’évolution constante du droit et de la science
dans cette matière.
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