Les sociétés traditionnelles subissent des modifications sous l'influence des évènements historiques qu'il est toujours
important de rappeler. Pour l'instant, nous nous contenterons d'une brève esquisse de ces évènements, celle proposée
par D.Rutatora en 2004. "Analysis of the Debates on African Peasantry : the Tanzanian Experience", 2004.
1 - Avant le début de la colonisation (1884), les formes de sociétés étaient variées en Tanzanie : agriculture
primitive, pastoralisme, semi-pastoralisme, chasse, cueillette... Ces formes s'adaptaient aux contraintes écologiques de
l'environnement et garantissaient la survie des groupes humains.
2 - La politique coloniale allemande (1884-1918) visait à créer une agriculture d'exportation (café, coton, sisal,
tabac et canne à sucre) et à favoriser l'installation de colons. Selon un pacte colonial classique, la colonie exportait des
produits agricoles et primaires et importait ses biens manufacturés de la métropole. La plupart des tentatives de
cultures échouèrent, sauf pour le sisal sur les côtes et le café, faute d'une compréhension du contexte socio-culturel de
la colonie. Les grandes plantations détruisaient les formes sociales qui garantissait la sécurité et la survie des groupes
humains et n'offraient en échange que la précarité du travail et la dépendance à l'égard de marchés étrangers inconnus.
Les savoirs traditionnels dévalorisés devenaient obsolètes.
3 - La politique coloniale britannique (1918-1961) maintint évidemment la logique du pacte colonial et s'efforça
d'intégrer les paysans dans l'agriculture d'exportation et l'économie monétaire. Dans un premier temps, les britanniques
renoncèrent à créer des grandes plantations capitalistes et coloniales, à cause de leur échec à créer une "colonie de
peuplement" en Ouganda. Ils tentèrent donc de développer l'agriculture paysanne dans les produits d'exportation en
imposant de nouvelles méthodes culturales. Selon G. Hyden, ces mesures se révélèrent très impopulaires et peu
productives à cause de la résistance passive de nombreux paysans.
A partir de 1950, le développement des grandes plantations capitalistes fut à nouveau favorisé. Les mesures
coercitives furent abandonnées en faveur de mesures plus incitatives: amélioration des prix de vente, organisation de
coopératives de commercialisation... Des succès furent enregistrés avec la forte croissance de la production de café, de
coton et de noix de cajou, de sisal. Mais cette expansion de l'agriculture capitaliste tanzanienne ne fut jamais aussi
importante que celle du Kenya. La déstructuration des sociétés traditionnelles se poursuivit car les plantations
utilisaient de la main-d'oeuvre salariée, en partie saisonnière et précaire, transplantée de ses lieux d'origine vers les
plantations.
4 - L'expérience socialiste du Président J. Nyerere (1967-1980) ne trouve plus de défenseurs affichés. En
agriculture, l'objectif proclamé étaitcelui de la modernisation de l'agriculture par l'utilisation des techniques modernes
et capitalistiques. Les mêmes préjugés coloniaux sont retenus à l'encontre des paysans africains, considérés comme
archaïques. En même temps, l'orientation globale est changée. Il s'agit de se détourner des cultures d'exportation et de
favoriser celles qui sont destinées à satisfaire les besoins internes et à garantir l'auto-suffisance alimentaire du pays. La
méthode utilisée est celle de la collectivisation des terres et des moyens de production, qui deviendra de plus en plus
forcée avec le temps. La création de villages socialistes (Ujamaa) est supposée assurer la production et la livraison des
produits à des offices de commercialisation. La lutte contre les paysans riches et l'agriculture d'exportation prit la forme
de la parcellisation et redistribution de leurs propriétés, et de la liquidation de leurs coopératives.
En 1980, on constate un déclin global de la production et de la productivité agricoles en Tanzanie. Mais l'auteur
ajoute que d'autres facteurs explicatifs doivent aussi être pris en compte : la chute des cours mondiaux des produits
primaires, la hausse des prix pétroliers, les sècheresses des années 1970.
5 - Les programmes d'ajustement structurels : En réponse à la "crise du développement" des années 1970, La
Tanzanie mettra en place deux programmes d'ajustement structurel successifs, l'un national à partir de 1981, et le
deuxième sous le contrôle du FMI et de la Banque Mondiale pour la période 1982/3 à 1985/6. Le verbiage répétitif du
FMI est bien connu : Libéraliser l'économie, libérer les prix, favoriser les investissements agricoles afin d'obtenir une
allocation des ressources plus efficaces et promouvoir la croissance économique. Là encore, l'échec fut patent. "Les
PAS ont conduit à la marginalisation des paysans et à leur incapacité à faire face à la détérioration des termes de
l'échange." (Rutatora, 2004). C'est la conséquence directe de l'insertion dans le commerce mondial. Ce sont les prix des
"inputs"agricoles (engrais, fertilisants, semences) qui ont le plus augmenté. Les prix de vente de nombreux produits
d'exportation ont baissé (café, cacao, sisal, noix de cajou); dans le même temps, le gouvernement était forcé de
supprimer les subventions sur produits importés, consentis jusqu’alors aux paysans.
Les paysans se sont donc recyclés dans des productions locales moins coûteuses et plus rentables: productions
légumières et horticoles aux abords des villes.
6 - La situation actuelle de l'agriculture apparaît difficile. S. Maghimbi nous en dresse un portrait peu complaisant
( "Small is a curse: The Stagnation of Peasant Economy and Moral Economy in Tanzania since Ujamaa" - 2004).
Aujourd'hui, la majorité des tanzaniens sont des paysans pauvres qui survivent sur des petites exploitations peu
productives. La stagnation de l'agriculture et la forte croissance démographique depuis 1970 entraînent une situation de
pauvreté aigüe pour une majorité des ruraux. Le niveau des techniques agricoles est rudimentaire, de sorte que le
paysan isolé est incapable d'agrandir ses parcelles cultivées. Les moyens techniques et financiers font défaut pour