Tectonique, paramètres orbitaux et expansion thermique

Vol. 96 - Décembre 2002 Martin DAIGNEAULT
BULLETIN DE L’UNION DES PHYSICIENS 1709
Tectonique, paramètres orbitaux
et expansion thermique
Quelques aspects sur les variations des niveaux marins anciens et récents
par Martin DAIGNEAULT
École des Mines - 42023 Saint-Étienne Cedex 2
RÉSUMÉ
Dans l’histoire de la Terre, les variations du niveau des océans ont été nombreuses.
Cependant, aux cours des temps géologiques, ces changements ont été d’intensité
variable selon, notamment, les causes auxquelles ils sont liés. Ainsi, si les variations
anciennes sont pour une large part liées à la tectonique des plaques, les variations plus
récentes sont essentiellement liées aux variations des paramètres orbitaux qui détermi-
nent l’insolation aux hautes latitudes ainsi qu’à l’expansion thermique des océans. Dans
cette note, on présente une synthèse brève sur ces causes en montrant comment elles
interviennent sur l’évolution du niveau marin.
INTRODUCTION
Les changements environnementaux à l’échelle du globe, notamment pour ce qui
concerne les variations du niveau marin, la submersion des terres côtières ou l’érosion
des littoraux, ont fait l’objet depuis quelques années d’études exhaustives. Par ailleurs,
dans un contexte plus large - à l’échelle géologique - l’étude des registres sédimentaires
sub-récents (depuis le début du Quaternaire) démontre que les fluctuations du niveau
marin et de la position des traits de côtes ont été considérables [1-2]. Depuis le début de
l’ère glaciaire, il y a environ 2,5 millions d’années, les lignes côtières ont connu des
périodes d’avancée et de recul liées, notamment, au développement de calottes glaciaires
circumpolaires dans l’hémisphère nord [3]. BERGER [4-5-6] a démontré que de telles fluc-
tuations ne sont pas arbitraires. Elles sont liées, presque essentiellement, à la variation
quasi-cyclique des paramètres orbitaux qui déterminent l’insolation à la surface du globe,
particulièrement aux hautes latitudes [7]. En particulier, BLOOM [8-9] a estimé que le
niveau marin moyen, lors du dernier maximum glaciaire (à 18 ka : il y a 18 000 ans) était
inférieur d’environ 110 mètres, par rapport à l’actuel. Après cette date, le réchauffement
s’est accentué et le niveau marin s’est élevé, parfois brusquement, en relation avec la
fonte des glaces et la vidange des lacs continentaux. Entre 18 ka et 5 ka, le niveau du
relèvement eustatique atteignait, en moyenne, 6 à 8 mm/an [10]. Depuis 5 000 ans ce
relèvement est nettement plus faible : 2,4 mm/an en moyenne [11]. La submersion des
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terres côtières se poursuit. Cependant, l’intensité du phénomène est variable selon les dif-
férentes régions du globe et la vitesse du rajustement glacio-isostatique [12]. Par ailleurs,
il n’est pas exclu que le rôle de l’homme dans le réchauffement actuel de la planète
accentue ce phénomène, en particulier pour ce qui concerne sa contribution à la produc-
tion de gaz à effet de serre. Or, pour l’heure, la part de l’homme est difficile à évaluer
[13]. Enfin, en remontant plus loin encore (e.g. + de 100 millions d’années) on constate
que des variations de grande ampleur ont aussi eu lieu. Elles sont liées à des processus
géodynamiques responsables de la variation géométrique des bassins océaniques [14].
TECTONIQUE ET FLUCTUATIONS MARINES ANCIENNES
À l’échelle du globe, tout comme à l’échelle géologique, on reconnaît que les fluc-
tuations du niveau marin sont essentiellement liées à la dynamique des rides médio-océa-
niques (i.e. les dorsales). À cet effet, plusieurs évidences de variations du niveau marin,
remontant parfois jusqu’au Précambrien ont été démontrées (+ de 600 millions d’années).
Ainsi, en période d’activité tectonique intense, le volume des dorsales, sous l’effet d’ap-
port magmatique, augmente : la géométrie 3D des bassins se voit modifiée (cf. figure 1).
Selon la configuration des bassins, des variations eustatiques peuvent alors avoir lieu [14].
À l’inverse, en période de stabilité tectonique, une relative constance du niveau marin
s’instaure. Notamment, au Mésozoïque, le gonflement de la ride Sud-Atlantique, au
moment de la rupture entre l’Afrique et l’Amérique du Sud, provoqua une transgression
majeure sur l’ensemble des zones côtières. Plus tard, entre 65 Ma et 30 Ma (1 Ma : un
million d’années), le niveau marin, bien que toujours fluctuant, atteignit à quelques reprises
des niveaux supérieurs à deux cents mètres par rapport à l’Actuel. Puis, à 30 Ma celui-ci
chuta brusquement jusqu’à atteindre – 100 m par rapport à l’Actuel [1]. Outre le gonfle-
ment des rides en périodes d’activité tectonique intense, certaines fluctuations, d’ordres de
grandeurs moins importants, ont été associées à des collisions continentales, des affaisse-
ments de portions de rides ou des variations dans le taux sédimentation océanique [14].
Leurs impacts sont toutefois moindres, plus localisés et ponctuels.
Figure 1 : Variation du niveau d’eau selon la géométrie des bassins.
Ride basse/niveau d’eau bas, ride élevée/niveau d’eau élevé.
LES VARIATIONS RÉCENTES
Plus récemment dans l’histoire géologique, en particulier au Quaternaire, la Terre a
connu des alternances de périodes froides et chaudes (Ère glaciaire). L’effet d’échange
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de volumes d’eau entre les glaciers continentaux et la mer (cf. figure 2), lié aux varia-
tions du bilan radiatif, vint s’ajouter à l’activité tectonique rendant compte, cette fois, de
fluctuations cycliques [8, 15]. Ainsi, au moment des maximums glaciaires, des Inlandsis
ont envahi des portions considérables de l’hémisphère nord (l’Europe du Nord et le
Canada jusqu’au nord des États-Unis). À la faveur d’épisodes plus chauds (i.e. stades
interglaciaires), ces glaciers, continentaux ou marins, se sont retirés jusqu’à atteindre des
positions près de l’Actuel : à proximité du pôle. Pour l’heure, on reconnaît trois para-
mètres astronomiques à la source de ces fluctuations : l’excentricité, qui rend compte des
différentes orbites de la Terre autour du Soleil (certaines étant plus elliptiques que
d’autres), la précession, qui représente le mouvement qu’effectue la Terre autour de son
axe (un cône) et l’obliquité, une variation de plus ou moins deux degrés de l’axe de rota-
tion par rapport à l’écliptique (entre 21,8° et 24,4° ; cf. figure 3) [7].
Figure 2 : Bilan d’eau entre glaciers continentaux (Inlandsis) et océan.
En périodes glaciaires une large part des précipitations, en grande partie d’origine océanique, est stockée
sous forme de glace sur les continents. Lors des stades interglaciaires, l’eau via les fleuves et les rivières
revient à sa source.
Figure 3 : Paramètres orbitaux qui déterminent les variations de l’insolation à la surface du globe.
Lorsque la Terre se trouve au point le plus éloigné du Soleil (en aphélie), que son
axe de rotation fait un angle de 24,4° par rapport à l’écliptique (maximum calculé), que
l’été se trouve en aphélie et l’hiver en périhélie (point le plus près du Soleil), le bilan
radiatif chute, l’englacement continental débute. Une telle situation se produit à peu près
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tous les 100 000 ans [4-5-6]. Les hivers chauds, en périhélie, favorisent les précipitations
aux hautes latitudes (sous forme de neige), les étés froids ne favorisent pas la fonte des
neiges. Par ailleurs, l’albédo de la neige étant plus élevé que celle des sols ou de la végé-
tation, une grande part de l’énergie solaire se voit réfléchie vers l’atmosphère. Les tem-
pératures au sol chutent.
Les variations du bilan radiatif provoquent une suite de répercussions dont les
impacts sont ressentis au niveau planétaire. Par exemple, l’augmentation du volume des
glaces continentales provoque l’enfoncement des continents : une situation qui rend
compte, dans l’hémisphère nord, de la submersion des zones côtières et des basses terres
[12]. Cette subsidence (S) est cependant variable puisque fonction des caractéristiques
locales : l’épaisseur du glacier (h), la densité de la glace (
ρglace
) et la densité de la croûte
continentale (
ρcroute
):
ρ
ρ
Sh
glace
croute
glace
=
J
L
K
K
N
P
O
O
En Amérique du Nord, où la calotte s’étendit le plus au Sud, la subsidence atteignit
un tiers de l’épaisseur de glace (
hmaximum
: 3 km). Au moment du retrait, l’invasion marine
donna naissance à de vastes mers intérieures. Actuellement, et depuis quelques milliers
d’années, ces masses continentales sont en ré-émergence. Les vitesses de ce réajustement
sont variables selon le lieu et la nature du socle (en moyenne entre 1 et 10 mm par an).
Elle peut être imperceptible ou difficilement quantifiable. C’est le cas lorsque la vitesse
du relèvement isostatique est en phase avec celui du niveau marin. On se trouve alors en
apparence de stabilité [16].
Parallèlement, dans l’Atlantique nord, la progression vers le sud des glaces de mer
perturbe la grande circulation thermohaline des océans : le sens des courants marins
chauds en provenance de l’équateur est modifié. Le transfert de chaleur de l’équateur vers
le pôle (situation actuelle) est bloqué [17-18-19].
Inversement, lorsque l’orbite terrestre décrit une orbite plus circulaire, que l’axe de
rotation est de 21,8° par rapport à l’écliptique et que c’est l’été en périhélie et l’hiver en
aphélie, le bilan radiatif augmente dans l’hémisphère nord [4-5-6]. Les inlandsis régres-
sent, libérant du coup de vastes superficies de terre. Le niveau des océans augmente.
Les variations orbitales engendrent des boucles de rétroactions complexes, dont on
n’a pas fait l’inventaire ici, qui rendent compte d’alternances de périodes glaciaires et
interglaciaires [20]. Elles gouvernent, pour une large part, les oscillations du niveau marin
au Quaternaire.
LES VARIATIONS DEPUIS 1900
Actuellement, on observe une tendance globale au réchauffement de la planète,
peut-être liée à l’effet de serre d’origine anthropique, notamment pour tout ce qui
concerne les émissions massives de
CO2
, de
CH4
et de
NOx
. Les conséquences d’une telle
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augmentation de température sont nombreuses : fonte des calottes polaires, expansion
thermique des océans, fonte des glaciers alpins et sécheresse. Tous des phénomènes qui
contribuent, selon différentes intensités aux variations du niveau marin. Pour l’heure, sur
la base de nombreuses stations marégraphiques, on note une augmentation moyenne du
niveau marin mondial se situant entre 1 et 2 mm par an [21]. Toutefois, on constate une
grande variabilité régionale.
À titre indicatif, depuis environ l’année 1900, notamment dans le port de Brest, on
a observé une augmentation du niveau marin de 1,6 mm par an (cf. figure 4, [22]). Dans
le cas où cette augmentation se poursuivrait (et on ne voit pas très bien comment cela en
serait autrement) cette situation pourrait s’avérer catastrophique. Notons que 20 % de la
population mondiale vit à moins de trois mètres d’altitude (10 % de la population fran-
çaise est concernée par ce problème, [21]). Cependant, pour la même période dans la mer
Baltique, on a noté une diminution de 1 mm par an : une situation que l’on associe, selon
toute vraisemblance, aux variations isostatiques du socle [23].
Figure 4
a) Variations du niveau marin dans le port de Brest. Ces courbes font état de nombreuses variations.
b) Variations relatives du niveau marin au cours du dernier million d’années. Cette courbe a été obtenue
sur la base d’analyses de rapport isotopique 18O/16O [22].
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