Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - nos 5-6 - mai-juin 2012
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dossier thématique
Cuisson des aliments,
nutrition et santé
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Cuisson et cancer : pourquoi pas ?
Cooking and cancer: why not?
Jean-Michel Lecerf*
points forts
Highlights
»
Lorsque de la viande est cuite à température élevée et/ou grillée,
des amines hétérocycliques se forment (viande bien cuite).
»Ces molécules sont expérimentalement cancérogènes.
»
Les études épidémiologiques montrent nettement leur rôle dans
l’apparition du cancer colorectal, mais aussi du cancer du sein, de
la prostate, du poumon, de la vessie et du pancréas. Cela pourrait
en partie rendre compte du lien entre une consommation élevée
de viande et la survenue d’un cancer.
»
Des facteurs génétiques modulent les effets de leur consom-
mation.
»
Leur apparition dépend de nombreux facteurs culinaires et peut
être limitée par certains usages.
»
Des recommandations diététiques et culinaires pratiques doivent
être élaborées pour la prévention des cancers.
Mots-clés : Cancer – Amines hétérocycliques – Viande – Cuisson –
Cancer colorectal
On high-heated or grilled meat cooking, heterocyclic amines
occurr (well-done meat).
These molecules have a cancerogenic effect.
Epidemiological studies have shown that they have a role in
the colorectal, breast, prostate, lung, bladder, and pancreatic
cancer risk.
This could partially explain the relationship between high
meat consumption and cancer.
Genetic factors may modulate the effect of heterocyclic
amines on that risk.
Their occurrence in foods depends from many cooking factors
and may be decreased with some uses.
Practical dietary and culinary recommendations must be
made for cancer prevention.
Keywords: Cancer – Heterocyclic amines – Meat – Cooking
– Colorectal cancer
*Service de nutrition,
institut Pasteur, Lille.
Le rôle de certaines habitudes alimentaires dans
la survenue des cancers est évoqué depuis les
travaux de D. Burkitt et ceux de H. Trowell, et
cette notion a été soutenue par une étude de R. Doll
et R. Peto (1), célèbres épidémiologistes britanniques.
En 1997, puis en 2007, le rapport du World Cancer
Research Fund (WCRF) a rendu des avis graduels sur le
risque de cancer lié à l’alimentation. Alors quil n’est pas
convenu de parler d’aliment anticancer, des études ont
conduit à évoquer un risque attaché à un aliment précis,
la viande. Ainsi, le WCRF concluait en 2007 que ce risque
était convaincant pour la viande, avec un risque relatif
de cancer colorectal de 1,29 (IC
95
: 1,04-1,60) par 100 g
consommés par jour. Si les méta-analyses permettent
de fournir ces chiffres, les données ne sont homogènes
ni selon les études, ni selon les populations. En effet,
la viande ne peut pas être considérée, d’un point de
vue alimentaire, indépendamment de l’alimentation
globale dans laquelle elle s’inscrit, et des procédés de
transformation quelle subit. C’est le cas de la cuisson.
Celle-ci peut générer l’apparition de substances – les
amines hétérocycliques (AH) – dont on sait quelles
s’avèrent mutagènes sur les tests de Ames/Salmonella,
et sont cancérogènes chez l’animal. La présence des
AH ne pourrait-elle pas rendre compte en partie des
différences en termes de risque de cancer selon les
études et de la relation entre la consommation de
viande et la survenue, outre les cancers colorectaux,
d’autres cancers ?
Données expérimentales
Les dérivés des AH produits par le métabolisme humain
provoquent des mutations dans différents types de
cellules. Ils se lient à l’ADN au niveau de sites riches en
base GC (guanine et cytosine) en formant des adduits
(2). Chez les rongeurs, leur administration par voie orale
entraîne la formation de tumeurs dans de nombreux
organes cibles : foie, poumon, côlon, intestin, peau,
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glandes mammaires (3). Chez les singes, le composé IQ
induit des tumeurs hépatiques dans 65 % des cas après
7 ans d’exposition à des doses de 10 à 20 mg/kg 5 jours
sur 7 (4). Le PhIP provoque plutôt des lymphomes, ainsi
que des cancers du côlon et des glandes mammaires
chez le rat (5). Les nouveau-nés de souris sont encore
plus sensibles ; or, le PhIP peut passer de la mère au
fœtus à travers le placenta durant les derniers jours
de la gestation, et le lait maternel constitue une autre
voie d’exposition aux AH (6).
La nourriture représente chez l’homme la principale
source d’AH : on en retrouve ainsi dans les urines de
volontaires humains ayant une alimentation normale,
mais pas dans celles d’individus nourris par voie paren-
térale (7). Cependant, les doses testées en toxicologie
sont beaucoup plus élevées que celles auxquelles les
sujets sont soumis dans le cadre d’une alimentation
courante.
Les AH sont retrouvés en quantité faible, mais signifi-
cative, lors de la cuisson des viandes et des poissons,
d’autant plus que la température de la poêle s’élève
(pour une même température de 70 °C au cœur de la
viande) et ce pour des cuissons brèves (30 minutes),
et en quantité même très élevée dans les sauces, les
extraits de viande, les arômes de viande, les résidus de
poêles, etc. Seules les études épidémiologiques peuvent
apporter des éléments plus formels.
Nous n’aborderons que très peu la problématique dif-
férente et bien établie du caractère cancérogène des
hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) issus
de la cuisson au feu de bois, au charbon, au contact
des flammes, de la fumée (type barbecue). Nous abor-
derons également brièvement la question de l’acryla-
mide, composé de Maillard, et de son éventuel rôle
cancérogène.
Les composés néoformés lors de la cuisson
Les composés néoformés lors de la cuisson sont de
4 types : les composés de Maillard, les amines hétéro-
cycliques, les produits d’oxydation et les hydrocarbures
aromatiques polycycliques.
Les produits de la réaction de Maillard
Les produits de la réaction de Maillard résultent de
l’interaction entre des sucres réducteurs (hexoses) et
des acides aminés, suivie d’un ensemble complexe
d’étapes donnant naissance à des composés variés,
dont les principaux sont les composés carbonylés :
N carboxyméthyllysine (CML), hydroxyméthylfurfural
(HMF) et acrylamide.
La principale source d’acrylamide est représentée
par les produits tels que les frites, les chips, le pain,
les céréales transformées. On en retrouve peu dans
la viande. Lacrylamide présente dans les tissus bio-
logiques provient aussi du tabagisme.
Les produits d’oxydation
Les produits d'oxydation sont des molécules issues
des réactions de thermo-oxydation des corps gras,
notamment insaturés. Ils ne sont pas spécifiques de la
viande. Ils sont surtout liés au chauffage excessif des
graisses de cuisson, notamment des lipides riches en
acides gras insaturés.
Les hydrocarbures aromatiques polycycliques
Les HAP sont issus de la combustion incomplète de sub-
stances organiques à partir des radicaux libres générés au
cours des réactions de pyrolyse et de pyrosynthèse (8). La
température très élevée, la cuisson au feu de bois, au char-
bon, au contact de la flamme ou de la fumée entraînent
l’apparition de substances telles que le benzo(a)pyrène,
le dibenzo(a)pyrène, le dibenzo(a)anthracène et plus
de 100 autres composés. Ces molécules hautement
cancérogènes sont essentiellement produites lors de la
cuisson sévère des aliments gras au contact du bois et
des hydrocarbures fossiles et confèrent à l’aliment carbo-
nisé une croûte noire qui y adhère. Les sources directes
principales de ces HAP sont le tabagisme, la pollution et
l’exposition professionnelle, tous susceptibles d’agresser
directement la peau et la muqueuse respiratoire.
Les amines hétérocycliques
Plus de 25 AH ont été isolés et identifiés comme poten-
tiellement mutagènes. Tous contiennent de 2 à 5 cycles
aromatiques, avec 1 atome d’azote (N) ou plus dans ce
noyau, et habituellement un groupement aminé non
cyclique (8-10).
Les AH sont constitués lors de la cuisson. Leur formation
dépend de la température, qui détermine 2 familles
d’AH : ceux formés à une température comprise entre
100 et 300 °C et appelés AH thermiques, du type IQ
(indoles quinolines ou indoles quinoxalines), qui
sont des amino-imidazo-aza-arènes et des composés
polaires ; et ceux formés à de plus hautes températures
(supérieures à 300 °C), appelés AH pyrolytiques, de type
non IQ, qui sont des amino-carbolines et des composés
non polaires.
Les premiers sont générés à partir de la réaction entre
des acides aminés libres (la créatine et la créatinine) et
des hexoses, et donc à partir des composés de Maillard,
conduisant à des pyridines et pyrazines hétérocycliques,
puis aux IQ.
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Cuisson et cancer : pourquoi pas ?
Les seconds apparaissent au-delà de 250 à 300 °C à par-
tir de la dégradation des premiers à travers la réaction
de pyrolyse entre les acides aminés et les protéines.
Les principaux amino-imidazo-aza-arènes sont DMIP,
PhIP, iso IQ, IQ, MeIQ, IQx, MeIQx, Di MeIQx, etc.
Les principaux amino-carbolines sont α, β, γ et δ car-
bolines, Phe-P-1, Orn-P-1 Cre-P-1, Lys-P-1, etc.
Les niveaux d’AH formés lors de la cuisson des viandes
varient entre 0,2 et 650 μg/g selon le mode de cuisson
utilisé ; PhIP représente dans tous les cas l’AH majori-
taire (11). La formation des AH, surtout lors de la cuis-
son des viandes et des poissons, a été décrite pour la
première fois en 1964 (12), et leur caractère cancéro-
gène chez l’animal a été établi en 1987 (13). En 2009,
une importante revue de la littérature se prononçait
nettement en faveur de l’augmentation du risque de
cancer lié à la consommation de viande “bien cuite
(well-done) [14].
Cancer et adénome colorectal
Une coloscopie réalisée chez 807 femmes asymptoma-
tiques a mis en évidence 158 adénomes colorectaux (15).
Le risque d’adénome colorectal était de 1,72 (IC
95
: 0,96-
3,07) pour la consommation de viande cuite à la poêle
(p = 0,01) et de 1,90 pour les apports estimés en amines
hétérocycliques (MeIQx).
Dans l’étude prospective EPIC-Heidelberg sur
25 540 sujets, 516 adénomes colorectaux ont été
dénombrés (16). Le risque relatif d’adénome colorec-
tal était de 1,47 (IC
95
: 1,13-1,93) pour les apports de
PhIP, avec une forte significativité (p = 0,002) pour les
petits adénomes et adénomes distaux ; il s'élevait à 1,27
pour les apports de MeIQx, à 1,18 pour les apports de
Di MeIQx, et à 1,36 (IC95 : 1,05-1,76 ; p = 0,04) pour la
consommation de viande “bien cuite”.
Deux études cas-témoins ont montré une corrélation
entre la préférence pour les parties fortement grillées
(surface brune) des viandes et le risque de cancer du
côlon (17, 18).
En 2005, une revue de la littérature ayant analysé
15 études épidémiologiques a montré un risque de
cancer colorectal accru (de 1,3 à 8,8 fois plus important)
dans 12 études où l’information était présente pour la
consommation de viande “bien cuite” (9).
Cependant, dans l’étude cas-témoins de K. Augustsson
et al., aucun lien n'a été fait entre les apports en AH et
le risque de cancer (19). De même, une autre étude
cas-témoins n’a pas mis en évidence de lien entre la
consommation de viande “bien cuite” et le risque de
cancer colorectal (20).
Cette étude cas-témoin australienne a observé une
relation inverse (OR = 0,73 ; IC
95
: 0,55-1,01) entre la fré-
quence de consommation de viande rouge cuite et le
risque de cancer colorectal (20) ; toutefois, en tenant
compte de la taille des portions, puis du caractère bien
cuit de la viande, cette association inverse persiste mais
nest plus significative. Les auteurs considèrent que,
dans la plupart des études, la mesure de l’exposition
à la consommation de viande nest pas assez précise
quand il s’agit de prendre en considération le mode de
cuisson. Il faut en effet noter que, dans la plupart des
études, les apports en AH sont estimés sur la base des
apports en viande et des teneurs en AH dans les tables
de composition selon le degré et le mode de cuisson,
et ne sont pas mesurés.
Autres cancers
Cancer du sein
Létude de Shangai chez 3 015 femmes âgées de 25 à
64 ans a montré une association positive (OR = 1,92)
entre la consommation de viande rouge et le cancer
du sein, dans le cas d’une viande “bien cuite” ou cuite
en friture (21).
Dans un échantillon de 35 644 sujets âgés de 35 à
75 ans de l’étude EPIC, le mode de cuisson à haute tem-
pérature semble expliquer l’hétérogénéité des résultats
entre les pays (22) : il concerne 15 % des sujets en Italie
du Nord et 49 % aux Pays-Bas ; la cuisson par friture, grill
et barbecue représente 12 g de viande par jour dans
le sud de l’Espagne et 91 dans le nord. Dans la popu-
lation féminine de cette étude (319 826 femmes âgées
de 20 à 70 ans), répartie entre 10 pays et 23 centres
européens, la relation entre cancer du sein et consom-
mation de viande rouge (pour 150 g/j) est élevée (HR =
1,16 ; IC95 : 1,03-1,32) dans les pays où la proportion
de viande cuite à haute température est forte, alors
qu’elle nexiste pas (HR = 0,82 ; IC95 : 0,63-1,07) dans
les pays où cette proportion est faible. On observe par
ailleurs une interaction significative entre la viande
rouge cuite à haute température et le cancer du sein
(p = 0,017) [23].
Une étude cas-témoins aux États-Unis n’a pas mon-
tré de relation entre le risque de cancer du sein, les
apports en AH et lestimation de l’activité mutagène
de la viande (24).
Dans une étude prospective américaine auprès de
52 158 femmes âgées de 55 à 74 ans, le risque de can-
cer du sein invasif est accru en cas de consommation
plus élevée de MeIQx (HR = 1,26 ; IC95 : 1,03-1,55), mais
pas de Di MeIQx (25).
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Cuisson des aliments,
nutrition et santé
Dans l’étude de la Swedish Mammography Cohort
auprès de 61 433 Suédoises suivies pendant 17,4 ans,
il existe une interaction avec des facteurs hormonaux,
puisque le risque de cancer invasif est accru pour la
consommation de viande grillée ou poêlée chez les
patients ayant des récepteurs aux estrogènes ER+ et
des récepteurs à la progestérone PR− (26).
Dans une revue de la littérature analysant 7 études
prospectives, on constate, lorsque les données sont
disponibles (6 études sur 7), que le risque relatif de
cancer du sein est accru en cas de consommation de
viande grillée ou “bien cuite” : il passe de 1,92 à 4,6 (9).
Cela a été observé dans l’étude Iowa Womens Health
Study auprès de 41 836 femmes âgées de 55 à 69 ans,
chez qui une relation de type dose-réponse entre la
consommation de viande “bien cuite” et le risque de
cancer du sein a été mise en évidence (27).
En ce qui concerne l’acrylamide, issu principalement des
céréales, du pain et des pommes de terre, les premières
études ont été menées sur la base d’une estimation
des apports. Deux études cas-témoins et une étude
prospective (28-30) n’ont pas montré de corrélation
entre l'apport en acrylamide et le risque de cancer du
sein, mais une étude fondée sur le taux d’acrylamide
et de son métabolite, la glycinamide, et les adduits sur
l’hémoglobine N terminale a montré, après ajustement
sur le tabac, une relation entre ce paramètre biologique
et le risque de cancer du sein récepteur aux estrogènes
récepteur + (31).
Cancer de la prostate
Dans l’étude américaine NIH-AARP Diet and Health Study
auprès de 175 343 hommes âgés de 50 à 71 ans et suivis
pendant 9 ans, le risque de cancer de la prostate est
modérément élevé en cas de consommation de viande
grillée/barbecue (HR = 1,11 ; IC95 : 1,03-1,19) ou d’apports
élevés en benzo(a)pyrène (HAP) [HR = 1,09 ; IC
95
: 1,00-
1,18], mais le risque de cancer avancé est beaucoup plus
élevé (respectivement HR = 1,36 et 1,28) [32].
Chez 1 294 hommes ayant eu un cancer de la prostate et
suivis pendant 2 ans en moyenne, la progression (décès,
métastases ou augmentation du PSA) nest observée
que pour une consommation élevée de poulet avec (et
non pas sans) la peau (HR = 2,26 ; IC95 : 1,36-3,76 ; p =
0,003) [33]. Or, la viande de poulet “bien cuite”, grillée,
est plus riche en HA que les autres viandes, et le poulet
avec la peau est beaucoup plus souvent cuit grillé.
Cancer du poumon
Une étude cas-témoin italienne rapporte une corréla-
tion entre les apports en AH et en benzo(a)pyrène et
le risque de cancer du poumon (34).
Létude de la cohorte NIH-AARP Diet and Health Study
auprès de 278 380 hommes suivis pendant 8 ans a éga-
lement montré une corrélation entre la consommation
de viande rouge “bien cuite” ou “très bien cuite (HR =
1,20 ; IC95 : 1,04-1,38 ; p = 0,04) et le risque de cancer
du poumon ; une relation identique a été observée
avec les apports en MeIQx (HR = 1,25 ; IC95 : 1,07-1,45 ;
p = 0,02) [35].
Cancer du pancréas
J. Zhu et al. ont montré que la teneur en adduits ADN/
PhIP était associée à une augmentation du risque de
cancer du pancréas et à la préférence pour la viande
“bien cuite” (36).
Une étude cas-témoin a montré une corrélation entre
les apports en amines hétérocycliques et le risque
de cancer du pancréas pour PhIP (OR = 1,8 ; IC95 : 1,0-
3,1), Di MeIQx (OR = 2,0 ; IC95 : 1,2-3,5) et MeIQx (OR =
1,5 ; IC95 : 0,9-2,7) et pour le benzo(a)pyrène (OR = 2,2 ;
IC95 : 1,2-4,0) [37].
Cancer de la vessie
Au cours de l’étude prospective NIH-AARP Diet and
Health Study, 854 cas de cancer de la vessie ont été iden-
tifiés lors du suivi pendant 7 ans de 300 933 hommes et
femmes. Le risque relatif de cancer de la vessie était de
1,19 (IC95 : 0,95-1,48 ; p = 0,06) pour les apports estimés
en PhIP (38).
Dans une récente étude cas-témoins, le risque de cancer
de la vessie était très augmenté pour les deuxième, troi-
sième et quatrième quartiles dapports en AH, avec un
OR respectif de 1,47, de 2,58 et de 3,32 (p < 0,001) [39].
Facteurs déterminant la teneur en AH
La température, la durée et la méthode de cuisson
affectent la teneur en AH ; il existe une relation avec
le degré de température, mais elle nest pas linéaire
pour tous les AH. Au-delà de 200 °C, la quantité d’AH
augmente dramatiquement, alors qu’en dessous de
150 °C, elle n’est pas détectable.
Le type de viande intervient également. La peau (de
poulet) est un facteur mécanique protecteur pour la
viande ; certains AH (PhIP) sont plus facilement formés
dans la viande de poulet, tandis que d’autres (8-MeIQx)
le sont moins que dans le viande de bœuf et de porc.
La teneur en créatine et celle en glycogène peuvent
être déterminantes. Cette dernière dépend de facteurs
génétiques propres à l’animal : l’allèle RN– confère à la
viande une teneur plus forte en glycogène, une couleur
plus foncée et une moindre formation de certains AH
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Cuisson et cancer : pourquoi pas ?
malgré une couleur brune en surface. Tout cela peut
expliquer certaines discordances épidémiologiques.
La durée de cuisson joue un rôle : en deçà de
5 minutes, certains AH n’apparaissent pas ; au bout
d’un certain temps, un plateau apparaît, car des AH
peuvent être détruits.
Selon la teneur en graisse de la viande, la durée néces-
saire pour atteindre la température souhaitée peut être
raccourcie : en effet, le gras permet un bon transfert de
la chaleur, ce qui permet de générer moins d’AH. La
formation de certains AH peut aussi venir de la pyro-
lyse de gouttelettes de jus de viande qui tombent sur
les flammes, sont transportées avec la fumée et se
déposent sur la viande.
Le mode de cuisson intervient : la cuisson au micro-
ondes peut entraîner l’apparition d’AH du type carbo-
lines, la friture celle d’IQ et de carbolines. La cuisson
bouillie, rôtie ou en bain de friture induit une tempé-
rature plus basse et donc moins d’AH. La cuisson en
friture plate (contact avec une poêle), au grill ou au
barbecue génère le plus d’AH en raison du niveau de
température et de la perte en eau.
L’ajout de sucre en excès retarde la formation d’AH
du fait d’une interaction avec la réaction de Maillard :
dans ce cas en effet, les produits de Maillard sont plus
rapidement formés ; ils interagissent avec la créatine
ou la créatinine, ce qui conduit à réduire la teneur en
glucose. En présence d’un excès de sucre, les acides ami-
nés ne participent pas à la réaction non enzymatique
de brunissement (réaction de Maillard), ce qui les rend
moins disponibles pour la formation d’AH. De plus, les
produits de Maillard peuvent réagir avec les molécules
mutagènes, ce qui réduit encore la teneur en AH.
Le fait de faire mariner la viande pendant 6 à
24 heures dans du vin ou de la bière diminue la for-
mation d’AH. L’utilisation d’épices réduit également
l’apparition d’AH, sans doute en raison des antioxy-
dants quelles contiennent, ce qui inactive les radi-
caux libres générés comme intermédiaires dans la
réaction de Maillard. C’est le cas aussi des marinades
contenant des épices riches en antioxydants polyphé-
noliques. Les composés phénoliques qui inhibent le
plus la formation d’AH semblent être le thé et l’huile
d’olive (vierge), ainsi que la naringénine des agrumes.
Les composés soufrés de l’ail exercent également un
effet favorable, de même que les caroténoïdes de la
tomate ! L’ajout d’huile de maïs augmente la forma-
tion d’AH du fait des lipoperoxydations induites ;
la cuisson à l’huile de coprah, avec du lard ou de
l’huile de soja induit aussi cette formation. Mais c'est
surtout dans les fonds de poêle que l’on retrouve
le plus d’AH après l'usage de matières grasses, de
façon moindre cependant en cas d’utilisation d’une
margarine contenant un peu de lait.
Facteurs de variation des AH
ou de leurs effets in vivo
Des apports élevés en légumes crucifères (tel le
chou) pendant 12 jours réduisent l’excrétion urinaire
de 8-MeIQx et de PhIP (40). Cela est vraisemblable-
ment dû à l’augmentation du métabolisme des AH
et à l’activation de systèmes de détoxication via les
cytochromes par les crucifères. On sait par ailleurs qu’il
existe des phénotypes variables d’acétyleurs des AH
pouvant expliquer des différences selon les individus
et les populations. Un risque accru de cancer du côlon
a été observé chez les acétyleurs rapides NAT2 (41).
Le double phénotype rapide pour CYP1A2 et NAT2
augmente ainsi considérablement le risque de cancer
du côlon en cas de consommation de viande cuite
(OR = 6,45) [42]. Une autre étude montre que le phé-
notype CYP1A2 affecte le risque de cancer colorec-
tal lié au tabagisme, mais pas celui engendré par la
consommation de viande rouge, quel que soit le mode
de cuisson (43). Le rôle du double polymorphisme
génétique rapide NAT2 et CYP1A2 prédisposant à une
plus grande sensibilité aux carcinogènes délivrés par
une cuisson à haute température a été suggéré dans
les études comparant des Japonais vivant à Hawaï et
des Hawaïens de naissance (44), et confirmé dans une
étude américaine montrant que le risque de cancer
colorectal associé à la consommation de viande rouge
“bien cuite était plus élevé avec les 2 variantes CYP1B1
et SULTA1 (45). Une étude n’a pas montré de variation
du risque de cancer du sein selon le génotype NAT2
et les apports en AH (24).
Limpact d’autres facteurs nutritionnels a été analysé
de la façon suivante dans l’étude EPIC-Heidelberg : si
l’apport en flavonols (polyphénols) est inférieur aux
apports médians, l’effet de PhIP sur le risque d’adénome
colorectal est plus élevé, puisque le RR passe de 1,47
à 1,76 (IC95 : 1,17-2,65) [16]. On sait que les produits
laitiers réduisent le risque de cancer du côlon ; le rôle
des ferments lactiques pourrait intervenir : chez le rat,
Lactobacillus diminue l’excrétion urinaire des AH, ce
qui pourrait signifier quils sont moins absorbés (46).
Conclusion
Lensemble des données expérimentales et épidémiolo-
giques est en faveur du rôle des amines hétérocycliques
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