Entretien avec " Yves Bataille "

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Entretien avec " Yves Bataille "
Yves Bataille est une des figures marquantes de la mouvance Paneuropéenne et Eurasienne. Géopolitologue, spécialiste des Balkans et
notamment de la Serbie. Pour lire quelques articles de Yves Bataille :
L'Ukraine sur le grand échiquier (2004) France : le syndrome Serbe ?
(2005) La Chine et la prochaine guerre (2006) La guerre commence
au Kosovo (2008) Yves Bataille a accepté de répondre a quelques
questions pour DISSONANCE. L'interview a en outre été publiée sur
AGORAVOX !
Yves BATAILLE, bonjour, pouvez vous vous présenter pour
les lecteurs qui ne vous connaissent pas ?
Mon profil: Fils de magistrat et petit-fils d'officier ayant traîné le sabre
du Tonkin à la Cilicie et de Madagascar à la Guyane en passant par le
Sénégal et le Bénin, je tiens peut-être de ce dernier l'attrait des grands
espaces. Descendants d'artisans catalans qui sous Louis XIV
construisirent les défenses de Vauban sur la frontière espagnole au
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temps du rattachement du Roussillon à la France, les Bataille ont aussi
un lien avec les Cardi de Sansonnetti, noblesse corse ralliée à la France
avant même que la Corse ne devienne française. Par la famille de mon
père, magistrat en Algérie puis en « Métropole », je suis un descendant
du Général Mouton Duvernay, député royaliste de la Haute Loire rallié
à Napoléon pendant les « Cent Jours » et fusillé sous Louis XVIII, et
du Général La Fayette qui fut à l'origine de la création des Etats-Unis.
Je suis un Français qui a passé sa prime enfance en Grande Kabylie et
a fréquenté un temps le Collège de Jésuites de Notre-Dame d'Afrique
d' Alger. Un Français du dehors donc - ce qui explique le nationalisme
- qui a toujours gardé le lien avec la Mère Patrie même lorsque celle-ci
le décevait profondément. Nationaliste du Limes et internationaliste
radical à la fois, j'ai épousé une serbe et la Cause serbe au début de la
guerre contre la République fédérale de Yougoslavie, une guerre vue de
très près. J'ai fait serment sur son lit de mort à Paris au Colonel Tranié,
fils du général Tranié héros du Front de Salonique, de me battre
toujours du côté des Serbes attaqués par Moloch. Formé aux
Universités françaises à l'Histoire, à la Géopolitique et à la
Communication, je me définis comme un nationaliste-révolutionnaire
de profession, partisan d'une France libre dans une Europe
indépendante intégrant la Russie et d'un Franc-Canada (Québec et
Acadie) lui aussi libre et indépendant. Je suis en définitive un
« nationaliste sans frontières » entretenant des relations de combat
avec tous ceux qui, dans l'espace européen et américain poursuivent le
même but. Dans ce cadre j'ai eu la chance de rencontrer Philippe
Rossillon, compagnon secret du Général de Gaulle, qui fut
l'organisateur de l'Opération « Vive le Québec libre! », de m'entretenir
dans les Balkans avec les héros serbes Radovan Karadzic et Vojislav
Seselj, de trinquer en Transnistie avec le président Igor Smirnov, de
partager le pain dans le Caucase avec le général Vardan Balayan,
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libérateur du Haut-Karabakh. Mon objectif, avec tous ceux qui vont
dans la même direction, est clair, c'est la libération nationale et sociale
des peuples et des nations de la domination états-unienne et
l'unification géopolitique du Grand continent eurasiatique, autrement
dit de la Grande Europe de l'Atlantique au Pacifique. Il faudra faire
aussi la jonction avec la « Presqu'Amérique »... Vous m'avez posé une
question et j'y ai répondu.
Vous êtes un expert de la Serbie, après l'intervalle
"démembrement de la Yougoslavie" (1990-1996), l'intervalle
"démembrement de la Serbie" (1999-2008), quelle est selon
vous la prochaine "étape"?
Il existe des plans pour poursuivre le morcellement de la Serbie jusqu'à
l'absurde. Dans le chef lieu du Sandjak de Novi Pazar que les Serbes
appellent « Raska » (la Rascie) où Serbes et Musulmans sont en
nombre égal, les Etats-Unis ont installé un « centre culturel
américain » qui rappelle celui qu'ils avaient créé au Kossovo en 1998.
Or Novi Pazar n'a pas besoin de centre culturel américain. Il n'y en a
pas à Belgrade. Donc ce centre culturel, comme hier à Pristina, est là
pour autre chose. En Rascie les Américains poursuivent leur jeu qui
consiste à pousser les Musulmans contre les Orthodoxes en soutenant
une revendication séparatiste de rattachement territorial à la Bosnie.
En Vojvodine la matrice de toutes les « révolutions de couleur »,
National Endowment for Democracy (NED) alimente un mouvement
autonomiste. Dans ce grenier à blé du nord où les Serbes sont
majoritaires (65% de Serbes, 14% de Hongrois, 3% de Slovaques et
d'autres ethnies en petite quantité) les Américains appuient les
minorités et spéculent sur la tendance de certains Serbes à se croire
« supérieurs » à leurs frères du Sud n'ayant pas vécu jadis sous la
coupe de l'Empire Austro-Hongrois. Ce mouvement peut être comparé
au mouvement de la « Padanie » dans le nord de l'Italie. En excitant
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des tendances centrifuges les Américains visent à réduire encore la
Serbie et à la ramener à la dimension de l'ancien Pachalik de Belgrade.
Pensez vous que l'arrestation de Radovan Karadzic, et sans
doute demain de Ratko Mladic, ait un effet bénéfique pour la
Serbie ? (limite de la casse au Kossovo ou intégration plus
rapide dans l'UE?). Quelle est la probabilité que la Serbie
intègre l'UE d'après vous ?
Les représentants de Bruxelles et de Washington qui prétendent dire
ce qui est bon pour la Serbie et lui imposer leur loi sont très arrogants.
Non seulement ils l'ont bombardée sans raison mais encore ils
prétendent lui donner des ordres et lui faire la morale. En 1999 ils
disaient que cette guerre était une « guerre du droit » et présentaient
les bombardements comme des « bombardements humanitaires ». L'
opinion en Europe a lâchement laissé faire ça. Pourtant la Serbie
n'appartient ni aux Etats-Unis d'Amérique ni à l'Union Européenne et
il revient aux Serbes de défendre les intérêts de la Serbie et non à leurs
agresseurs. Ces arrogants continuent les menaces et les pressions au
nom de la démocratie et des droits de l'homme pour contraindre
toujours plus un pouvoir pourtant installé par eux. C'est ainsi que
même l'équipe pro-occidentale au pouvoir à Belgrade refuse le vol du
Kossovo. La période dite de « transition démocratique », qui a
commencé en 2000 avec le renversement de Slobodan Milosevic, a été
une période d'intensif pillage économique. Avec les privatisations à
outrance l'Occident a fait main basse sur tout ce qui avait quelque
valeur (grandes entreprises, sidérurgie, matières premières, systèmes
de télécommunications). Aidé dans cette mise à sac par les
ultralibéraux des partis fabriqués dans les ambassades occidentales
comme le G17Plus. Dans l'esprit du peuple serbe les Etats-Unis et
l'Union Européenne, c'est la même chose, c'est « l'Ouest » (Zapad). Cet
Occident historiquement coupable de la Chute de Constantinople et
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qui veut imposer aujourd'hui « l'intégration euro-atlantique ». Cet
Occident et ses nouvelles Croisades. Car la « diplomatie coercitive » de
Madeleine Albright, le « devoir d'ingérence » de Bernard Kouchner, les
embargos commerciaux de l'Union Européenne, les crimes des
séparatistes, les mercenaires étrangers, les sanglants bombardements
de l'OTAN sont encore en mémoire. Par tradition depuis la geste
épique du haut moyen âge les Serbes sont le peuple qui a la mémoire la
plus longue. Le Tribunal de La Haye, le TPIY, est assimilé à une
Nouvelle Inquisition chargée de continuer la guerre par d' autres
moyens. Les Serbes pensent que cela ne s'arrêtera jamais, à moins que
la Russie... Le dit tribunal n'a condamné que des Serbes, plusieurs
chefs serbes sont mort dans la prison de Scheveningen et le passage à
La Haye de Bosniaques musulmans et d' Albanais du Kossovo s'est
révélé n'être que du cinéma. Qu'il s'agisse du terroriste albanais Ramuz
Haradinaj ou de son collègue bosniaque Naser Oric, ces individus n'
ont fait que de la figuration pour que l'on puisse donner le change
avant de les relaxer. Haradinaj a fait tuer tous ses témoins et en
conséquence le tribunal a estimé qu'il ne pouvait plus le juger. Le TPIY
n'a rien d'une juridicion indépendante comme il a essayé de le faire
croire. C'est un tribunal de circonstance, financé en ses débuts par
George Soros et des sociétés commerciales, un pseudo tribunal qui a
fait et continue de faire un procès politique de rituel anglo-saxon à des
Serbes qui n'ont commis qu'un seul « crime », celui de résister à
Moloch. Vous m'avez posé la question sur Radovan Karadzic. Je l'ai
rencontré en Bosnie. Il m'a reçu à Pale en 1995 et m'a même donné
une médaille. J'ai pu parler longuement avec lui. C'est un personnage
intègre, un pur. Il n'a jamais voulu le pouvoir pour le pouvoir comme
la plupart des politiciens mais le pouvoir pour défendre son peuple
agressé et menacé. Avoir osé défendre les siens et avoir résisté à ceux
qui ont détruit la Yougoslavie et attaqué la Serbie, c'est ce que « nos
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démocraties » lui reprochent. Radovan Karadzic a été et demeure
l'objet d'une diabolisation à l'anglo-saxonne, comme le général Mladic
qui n'a fait que son devoir d'officier qui était de défendre son territoire
et son peuple contre l' agression étrangère. En se faisant livrer
Karadzic par des traîtres et des kollabos, le Sanhédrin de La Haye n'a
non seulement pas entammé sa popularité mais encore il en a fait une
icône. La partie vaillante du peuple serbe pense qu' il faudra l'arracher
des griffes de l'Ogre. Je salue au passage les militants du Mouvement
Populaire 1389 qui manifestent chaque jour à Belgrade depuis
l'annonce de son arrestation, des manifestations quotidiennes
complètement passées sous silence par la presse occidentale. Il est
évident que l'arrestation et la livraison de Radovan Karadzic à La Haye
ne changeront rien aux convictions des Serbes à son égard et que cela
n'aura non plus pas d' effet sur l'adhésion à l'Union européenne. Cette
adhésion, c'est Bruxelles qui la veut et de moins en moins de Serbes y
sont favorables, d'autant plus que ceux que la Serbie profonde voit
comme un club de malhonnêtes - pour ne pas dire de bandits - ont le
culôt d'émettre sans cesse des exigences insupportables. Pour imposer
par la force leur mission EULEX après l'octroi illégal de
l'indépendance à la minorité albanaise du Kossovo, Bruxelles s'est
appuyée sur un document falsifié auquel il manquait les dix lignes les
plus importantes de la résolution 1244, celles qui stipulent que le
Kossovo autonome est et restera partie intégrante de la Serbie. Par
cette mission l'Union Européenne entend succéder à la MINUK des
Nations Unies qui est pour les Serbes un moindre mal car la mission
de l' ONU repose sur la résolution 1244 non expurgée. EULEX vise à
fournir les cadres administratifs qui manquent à la Mafia albanaise.
Mon avis est que la Serbie doit attendre qu'une autre Europe reposant
sur d'autres valeurs et une autre politique se dessine et que la Russie
devienne de plus en plus active. Cela n'empêche pas de continuer la
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Résistance, bien au contraire. Le dynamitage des deux barrages de la
ligne de démarcation et les manifestations de Kosovska Mitrovica
après la proclamation d'indépendance ont impressionné l'occupant et
c'est ce qu'il fallait faire.
L'unilatéralisme totalitaire décrété en 1991 par l'Amérique
semble être arrivé à son terme (perte générale d'influence de
l'empire, renaissance de grands espaces tels que l'Asie,
l'Orient, l'Eurasie, l'Amérique latine ..), pensez vous que l'on
doive s'en réjouir ?
L'unilatéralisme états-unien a été stimulé par l'implosion de l'Union
Soviétique. Au début des années 1990 les Américains ont cru qu'ils
pouvaient tout se permettre et que le monde leur appartenait. En
2003, dans Le Grand Echiquier, Zbigniew Brzezinski a établi le
progamme: établir un cordon sanitaire autour de la Russie, la couper
en trois morceaux et empêcher que ne se crée un bloc géopolique
européen contrebalançant la puissance états-unienne. Les deux pays
utilisés pour éviter ce cauchemar étaient la Pologne et l'Ukraine.
Spéculant sur un abaissement irréversible de la Russie, les Américains
se sont lancés dans les opérations de conquête que l'on sait, attaque de
l'Irak en 1991 et 2003, démantèlement de la Yougoslavie et tentatives
de prise de contrôle politique des anciennes républiques de l'Union
Soviétique. Ils combattaient des musulmans au Proche Orient tout en
en soutenant d'autres dans les Balkans et le Caucase. Leur but était
d'encercler la Russie et d' essayer de faire oublier leur soutien à Israël.
Le 11 septembre 2001 et la « guerre à la terreur » contre l'épouvantail
Ben Laden devaient faciliter la projection militaire en Afghanistan et
en Irak. Mais les expéditions militaires ont provoqué des réactions et
stimulé des résistances. La croisade des démocraties derrière la
bannière étoilée s'est avérée être un fiasco. Des alliés ont jetté l'éponde
en Irak, la guerre en Afghanistan s'est enlisée et la politique du
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« nation building » en Bosnie et au Kossovo a été un fiasco. Mieux, elle
a permis à la Russie de damer le pion aux Américain en Géorgie et de
rendre la monnaie de la pièce du Kossovo en reconnaissant
l'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie. La conséquence
c'est que « l'ordre juridique international » sur lequel prétendaient se
fonder les démocraties occidentales a été ruiné par ces mêmes
démocraties. C'est tout à fait moral puisqu'elles l'interprétaient à leur
façon. Le monde retourne donc à une affirmation bainvillienne des
nations et des sphères d'influence. Avec la dépréciation du dollar,
l'implosion de la bulle financière, les syncopes d'une place boursière
aussi emblématiques que Wall Sreet, se profile la fin du rêve de Projet
pour le Nouveau Siècle Américain, le fameux « PNAC » des
« néocons » . La perte de confiance chez les alliés va de pair avec
l'affirmation de nouvelles puissances émergeantes comme le Brésil,
l'Inde, la Chine qui ont leur mot à dire. En Amérique latine, chasse
gardée de l'oncle Sam, Washington a une épine dans le pied au
Venezuela, plantée par la « révolution bolivarienne » d'un Chavez qui
parle au nom de tout le Cône sud et y provoque la contagion. Riche de
son pétrole, Chavez peut défier le maître yankee et les peuples
l'Amérique latine applaudissent. La crise du capitalisme financier et de
l'économie virtuelle détruit le mythe du progrès et de l'invincibilité de
l'Occident américain au moins autant sinon plus que les échecs
militaires en Irak et en Afghanistan. « L'empire est au bord de sa fin »
explique Emmanuel Todd. Il n'est pas le seul. Aux Etats-Unis les
analystes Charles Kupchan, Thomas Fingar, Jim Lobe, Michael Lind et
maints autres commentateurs pensent que c'est le début de la fin. Le
modèle américaniste est discrédité, l'économie est en récession, le
moral est atteint. Un certain Andrew Bacevich a sorti un bestseller
intitulé « The limits of Power. The End of American Exceptionalism »
L'influence des Etats-Unis est en baisse. L'Amérique n'est plus l'avenir
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de l'Humanité. On le savait mais maintenant de plus en plus de
learders d'opinion le disent. Bref ce « colosse aux pieds d'argile »,
malgré ses 761 bases militaires à travers le monde et un budget défense
dépassant ceux de tous les autres pays réunis semble devoir s'écrouler.
Donc peu importe qui gagne les présidentielles. En s'excitant sur cette
mascarade comme si c'était l'acte fondateur du futur la presse
française montre où est sa Mecque. Que ce soit le Démocrate Obama
ou le Républicain MacCain, cela n'a aucune importance et ne change
rien à la suite des évènements. C'est le système global - « global » ce
mot maniaque des think tank états-uniens - qui est brutalement remis
en cause. Comme les tours de Manhattan la Nouvelle Carthage
arrogante et belliciste est sur le point de s'écrouler. Que l'on ne compte
pas sur la communication ou le marketing des sociétés de relations
publiques pour inverser la tendance, un monde multipolaire est en
train de surgir. Que l'on pense à tous les changements que cet ordre
nouveau et l'affirmation d'un pôle géopolitique eurasiatique vont
entraîner.
Comment situez vous l'Europe dans cette logique de grands
espaces et quelle devrait être son rôle au sein d'un monde
multipolaire ?
Les têtes officielles de l' Europe, comme José Manuel Barroso ou
Javier Solana, sont des agents américains. Venant souvent de la
gauche, ils ont été lavés et reçyclés par les services compétents pour
devenir les petits toutous aboyants de l'oncle Sam. Avec la crise,
l'Europe de Bruxelles apparaît comme ce qu'elle est, un géant
économique et un nain politique ligoté aux Etats-Unis. Depuis 1945
cette Europe, qui s'est élargie et est devenue l'Union Européenne, a été
volontairement maintenue dans un état de dépendance politique et
militaire que dénonçait il y a quarante deux ans déjà le Général de
Gaulle. Ne voulant pas subir la loi des Anglo-Saxons ce conservateur
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révolutionnaire avait sorti la France du commandement militaire
intégré de l'OTAN et démantelé les bases américaines. Les atlantistes
prétendent que c'est le passé mais la sortie de l'OTAN et le
démantèlement des bases militaires US sont au contraire l'avenir de
l'Europe. Nos amis serbes pourront ainsi assister au démontage des
bases américaines des entités fantoches, à la fin de Camp Bondsteel et
de tous les Camp Monteith et autres Able Sentry. L'industrie
d'armements européenne y gagnera. Les Etats européens qui auront le
moins collaboré y gagneront. Le zèle des marionnettes de l'Amérique,
de ces entités qui ont donné des boulevards à Clinton et à Bush sera
sanctionné. Les juges d'aujourd'hui seront les accusés de demain. Pour
avoir une idée de ce que sera cette Europe il faut lire les écrits de Jean
Thiriart en les replaçant dans le contexte de notre temps.
La Russie semble sortir d'une longue hibernation et se
préparer a être un acteur de premier plan. Pensez vous que
ce pays a les moyens de surmonter les défis en cours ?
(démographie, santé, provocations militaires occidentales,
immigration chinoise très forte en Sibérie...) ? Comment jugez
vous globalement la nouvelle administration Russe depuis
1999 ?
Il y a une grande différence avec la période Eltsine. Un pouvoir fort
apte à la décision, une économie qui se porte mieux, une armée qui se
reconstruit. Au dedans le tandem Poutine-Medvedev fonctionne bien
et a gagné en popularité, au dehors la Russie est non seulement crainte
et respectée mais encore elle est devenue un espoir pour tous ceux qui
ne supportent plus l'hégémonie des Etats-Unis. La Russie est perçue
comme la puissance susceptible de briser le monopole de Washington.
Idéologiquement critiquable, le libéralisme étatique russe est un
moyen pour développer une économie viable. La solution à terme étant
un nouveau socialisme national de champ continental. On peut espérer
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que les perspectives démographiques s'améliorent. Les mesures
natalistes prises par Vladimir Poutine vont dans le bon sens. Elles
devraient être renforcées. L'immigration chinoise en Sibérie
correspond à un flux de main d'oeuvre difficile à éviter. Il faut le
contrôler. Les Occidentaux qui font mine de s'inquiéter d'un « péril
jaune » en Sibérie feraient bien de balayer devant leur porte, eux qui se
sont montrés incapables de résoudre la question de l'immigration chez
eux. La crise systémique où nous sommes peut faciliter la résolution de
ce problème et tarir les flux migratoires, ne serait-ce que si les « pays
d'accueil » deviennent moins attractifs pour des raisons économiques.
L'agressivité de l'OTAN qui depuis la fin de l'Union Soviétique cherche
à encercler la Russie de la Baltique aux « Balkans d'Eurasie » en
passant par les rives de la Mer Noire, aura été finalement « un mal qui
entraine un bien ». Elle aura fait prendre conscience au Kremlin de la
nécessité de se doter de moyens de défense à la hauteur des nouveaux
défis et de nouer de nouvelles alliances. Les associations comme
l'Organisation de Coopération de Shangaï (OCS) ou Brésil Russie Inde
Chine (BRIC) s'inscrivent dans cette perspective. Il était temps de
contre-attaquer à ce niveau car la Russie a perdu du temps et des
opportunités en particulier dans les Balkans avec la Serbie trahie sous
Eltsine et mal soutenue sous Poutine jusqu'à l'affaire récente du
Kossovo. Le Kossovo semble avoir été l' électrochoc d'une Russie restée
trop longtemps passive et qui commettait l'erreur de se cantonner à la
diplomatie. Les Occidentaux ont longtemps pris cela pour de la
faiblesse jusqu'au réveil estival de l' « Ours Russe » en Géorgie. Une
réaction liée à l'affaire du Kossovo. « Quand je dis « Kossovo » je pense
« Caucase » » déclarait Poutine le 31 janvier 2006.
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La grand bouleversement du prochain siècle sera
probablement double : leadership mondial, économique
asiatique (Chinois ?) et explosion démographique du monde
musulman. Comment estimez vous compatible / incompatible
ces deux éléments ?
La Chine est un monde et se considère comme le centre de la planète.
Cela a toujours été ainsi et c'est la signification du terme « Empire du
Milieu ». A Pékin j'ai demandé à des dirigeants chinois des instances
suprêmes du Parti et de l'Etat ce qu'ils voulaient. La réponse a été
claire. Nous voulons, m'ont-ils répondu, dépasser le Japon et devenir
la puissance prépondérante en Asie. Ils veulent récupérer Taïwan. Ils
m'ont dit aussi souhaiter une Europe plus forte et moins dépendante
des Etats-Unis. Ils ont une certaine fascination pour l'Allemagne qui
travaille fort et est disciplinée. Les Français sont sympathiques mais
peu efficaces. Les Arabes ne sont jamais à l'heure (...). Les Angloaméricains sont les continuateurs des Guerres de l'Opium. On peut
s'entendre avec les Russes. L'Organisation de Coopération de Shangaï
est une sécurité pour les deux. Voilà, en résumé, comment ils voient le
monde. On a beaucoup glausé sur le nombre de Chinois, prétendu
qu'ils allaient se répandre dans l'univers. La Chine n'est pas un long
fleuve tranquille. Sa population d'un milliard trois cent millions
d'hommes à ce que l'on dit - personne n'a vérifié mais ce qui est sûr
c'est qu'ils sont nombreux... - lui pose de gros problèmes.
Démographes et prévisionnistes estiment que le nombre de Chinois
devrait chuter aux alentours de 2030. Ses 53 ethnies – il n'y a pas que
le groupe majoritaire Han , la superficie des régions séparatistes
ethniques et religieuses convoitées comme le Tibet, le Xinkiang et la
Mandchourie, le fait que la majorité des Chinois soient concentrés
dans la partie est du pays, tout cela nécessite le maintien d'une
direction politique forte, une augmentation quantitative et qualitative
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du budget de la Défense et une industrialisation qui ne soit pas limitée
aux seules régions côtières du Pacifique. Avec tous ces problèmes, dont
un développement trop rapide et polluant n'est pas l'un des moindres,
la Chine a d'autres chats à fouetter que de se lancer dans une aventure
extérieure. La question la plus importante pour elle étant maintenant
d'avoir accès aux énormes sources d'énergie nécessaires à son
développement. Ces dernières se trouvent au Proche Orient et en
Afrique. Pour ce qui est de l'expansion démographique du monde
musulman, elle est là aussi d'abord un problème pour ce monde
musulman qui est, par ailleurs, loin d'être homogène. Les musulmans
se tournent tous vers La Mecque pour prier et se soumettent aux règles
du Coran, mais ces musulmans sont très différents. Il faut tenir compte
des oppositions entre Sunnites et Schiites, ne pas confondre l'Islam
avec l'intégrisme wahabbite qui vient d'Arabie Séoudite, savoir que les
Arabes, qui contrôlent les principaux lieux saints de l'Islam, sont
minoritaires dans l'Oumma. La majorité est faite d'autres ethnies,
d'Indonésiens, de Pakistanais, de Malais, de Perses, de Turcs. Même
s'ils se tournent vers La Mecque les musulmans de Russie ont aussi
leurs particularités et l'on trouve chez beaucoup de musulmans une
compréhension et une sympathie envers un monde orthodoxe qui n'est
pas sans points de ressemblance avec l'Islam. Donc il ne faut pas se
faire d'ennemis dans le monde musulman sous prétexte que certains
s'y comportent mal. La direction russe l'a compris, qui a fait entrer la
Fédération dans l'Organisation de la Conférence Islamique (OCI),
collabore avec les musulmans du dedans et tend la main aux
musulmans du dehors, entretenant de bonnes relations avec les pays
les plus importants de l'Islam, la Turquie, l' Iran, l' Indonésie, le
Pakistan et même l' Arabie Séoudite.
La France (aux commandes de l'UE), et son tandem SarkozyFillon, semble jouer sur un rapprochement très fort et avec la
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Russie et avec l'Amérique. Jugez vous cette double orientation
crédible, et quel est d'après vous son sens profond ?
« Sarközy l'Américain », comme il s'est qualifié avant son élection,
incarne une France amnésique, déboussolée, affaiblie par le
capitalisme financier, la démocratie libérale, l'ingérence étrangère et
une immigration colonisation de peuplement porteuse de conflits. A la
fiche des ministres le gouvernement Sarközy-Fillon n'est pas le
gouvernement de la France mais un gouvernement de l'étranger.
Comme Iouchtchenko en Ukraine, Sarközy a été élu avec l'aide des
Américains. La sous secrétaire d'Etat US, Karen Huyghes, l'a
publiquement reconnu il y a un an avant d'être licenciée, comme
l'anglais Gordon Brown et le turc Erdogan, Sarközy a fait partie d'un
« programme ». On sait que sa campagne électorale a été élaborée par
Boston Consulting Group, les sondages favorables étaient distillés dans
la presse par OpinionWay et les résultats du ministère de l'intérieur,
avant publication officielle, étaient filtrés par Level 3 Communications,
une société basée à Denver, Colorado. Il faut se souvenir de ce qu'avait
dit la Secrétaire d'Etat Condoleeza Rice au début 2003 après le refus
du précédent gouvernement Chirac-de Villepin de participer à la
guerre américaine contre l'Irak: « Nous allons punir la France, ignorer
l'Allemagne et pardonner à la Russie ». Le pardon à la Russie était
hypocrite. Dans cette période de l'après 11 septembre 2001 les EtatsUnis faisaient semblant de croire à la participation de la Russie à la
« guerre à la terreur ». Et avaient besoin de Moscou pour alimenter via
la Russie leur corps expéditionnaire à Kaboul. En revanche ils en
voulaient vivement à la France jusqu'à faire vider les bouteilles de vin
français dans les canivaux et à rebaptiser leurs French fries « Freedom
fries ». C'était l'époque où l'on évoquait la possibilité d'un axe ParisBerlin-Moscou, un axe que Washington voulait à tout prix empêcher
de voir naître pour les raisons décrites par Zbigniew Brzezinski.
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Toujours est-il que Sarközy, aussi mauvais soit-il, est autant conduit
par la France qu'il la conduit. Malgré ses allégeances atlantistes,
malgré l'influence négative des lobbies, Sarközy dispose d'un véhicule
soumis à une réalité géographique, à une constante historique et à des
pesanteurs sociologiques, qui s'appelle la Nation française. Superficiel
mais doué pour la communication, l'individu est opportuniste et peut
très bien, s'il le juge conforme à son intérêt, changer de discours
politique. On l'a vu dans l'affaire géorgienne où, à l'opposé de
l'activisme forcené d'un Kouchner (aussi russophobe qu'il est
serbophobe et sans doute aussi francophobe) en faveur de Saakachvili,
le président de la France, président en exercice de l'Union Européenne,
a arrondi les angles avec la Russie au grand dam de la Grande
Bretagne, de la Pologne et des Pays Baltes. Sans doute les
considérations énergétiques jouent-elles un rôle dans ce
comportement mais elles n'expliquent pas tout. Malgré son penchant
américaniste, Sarközy se rend bien compte, lui aussi, du déclin étatsunien, il connait l'impopularité de Washington dans le monde et, sur
un plan psychologique, c'est quelqu'un qui est impressionné par la
force. Or aujourd'hui la force déclinante ce sont les Etats-Unis et la
force montante, encore plus visible depuis la contre-attaque russe en
Géorgie, c'est la Russie. L'Europe est entre les deux, géographiquement
plus proche de la Russie que des Etats-Unis, et la France n'a pas fini de
subir l'héritage des idées-force gaulliennes. Sarközy, malgré sa
fascination pour Bush, n'a pas été très bien traîté par la presse anglosaxonne qui le caricaturise en petit Napoléon à talonnettes et se moque
de lui. En revanche il a été correctement accueilli par les dirigeants et
la presse russes. Tout cela explique la déclaration de Sarközy au World
Policy Center de l'IFRI à Evian début octobre en présence de Dmitri
Medvedev, à savoir la désignation publique de la Géorgie de
Saakachvili comme l'agresseur.
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Le Pentagone semble vouloir aspirer l'Ukraine dans l'OTAN
(après l'échec géorgien) et installer sa flotte dans la mer
Noire. Ajouté aux remous politiques en cours et aux
échéances électorales proches en Ukraine, peut on imaginer
un "conflit" dans ce pays et une scission en deux ou trois
entités, à la manière yougoslave ?
L'Ukraine me fait penser au Liban et à la Yougoslavie à la veille de
leurs guerres civiles. On présentait ces deux derniers pays comme des
modèles de cohabitation et de fraternité entre ethnies et religions et
puis on sait ce qui s'est passé. On ne peut donc pas exclure un
morcellement de l'Ukraine à la faveur d'une crise plus grave que les
autres. Mais l'intérêt de la Russie n'est pas de faire éclater ce pays mais
de voir accéder au pouvoir une direction politique qui ne soit pas
hostile, c'est-à-dire qui ne fasse pas adhérer l'Ukraine à l'OTAN. Car
plus que pour la Géorgie une adhésion de l'Ukraine à l'OTAN serait un
casus belli pour la Russie et pour s'en convaincre il suffit de regarder
une carte. La Mer Noire deviendrait un lac de l'OTAN. L'Ukraine dans
l'OTAN, ce serait le départ obligatoire de la Flotte russe de Crimée. A
ce moment là nous aurions les mouvements suivants: sécession
immédiate de la Crimée majoritairement russe et qui a manifesté
massivement contre l'OTAN ces derniers mois. Sécession de l'Est de
l'Ukraine, des régions de Karkhov et dе Donetsk. Sécession de la côte
autour du port d'Odessa. La jonction serait établie avec le
Pridnestrovie, cette bande de territoire « russophone » appartenant
aux « conflits gelés », qui longe le Dniestr sur 400 kilomètres et qui,
sous le nom connu de Transnistrie, trace la frontière avec les pays
roumains. Kiev pourrait se trouver dans la situation de Belgrade avec
un territoire réduit et des entités qui lui échappent. On peut même
imaginer que la région de Lvov (Lviv) se tourne vers la Pologne. Ce
serait tout le plan des Brzezinski qui volerait en éclat. Ce plan soutenu
16
par Soros et les fondations pour la « révolution orange » ne visait pas
simplement à installer un pouvoir antirusse à Kiev, il visait aussi à
souder l'Ukraine à la Pologne pour en faire un puissant cheval de Troie
occidental contre la Russie. Et contrebalancer le « couple francoallemand » jugé peu sûr et en permanence suspecté de loucher sur la
Russie.
Pourriez vous conseiller aux lecteurs cinq ouvrages clefs à
lire, cinq sites / blogs a consulter ?
Les livres que j'apporterais sur une île déserte? Le Fil de l'Epée de
Charles de Gaulle, le Traité de Sociologie Générale de Vilfredo Pareto,
Le Viol des Foules par la Propagande Politique de Serge Tchakotine,
les Réflexions sur la Violence de Georges Sorel et Les Conséquences
Politiques de la Paix de Jacques Bainville. Pour les sites français, je
consulte fréquemment : dedefensa réseau voltaire zebrastationpolaire
toutsaufsarkozy Dissonance
Avez-vous quelque chose à ajouter?
Oui, j'observe de près les affaires serbes et je voudrais déplorer le fait
que les Patriotes serbes aient raté à plusieurs reprises cette année le
coche de l'Histoire. J'avais déjà remarqué les profondes carences du
Mouvement nationaliste serbe, qui peuvent se résumer en deux points:
1°) Le Mouvement nationaliste serbe souffre de l'absence d'une pensée
révolutionnaire et d'une direction révolutionnaire. D'une direction
capable de faire l'analyse concrète d'une situation concrète et d'en tirer
tous les enseignements. 2°) Egaré dans les stériles jeux parlementaires
et les manifestations métapolitiques, le Mouvement nationaliste s'est
montré incapable de tirer parti de situations qui pouvaient permettre
de chasser du pouvoir l'oligarchie pro-occidentale de Tadic et de lui
substituer un Gouvernement national populaire. Il y a d'abord eu les
élections présidentielles perdues de très peu par la direction du Srpska
Radikalna Stranka, le Parti radical (SRS) le 3 février, direction qui ne
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devait pas en contester le résulat comme elle l' aurait dû. Mieux, le
candidat Tomislav Nikolic félicitait son « adversaire » à 21 h 00, sur la
base des évaluations d'une ONG américaine spécialisée dans les « exit
polls », les sondages sortie des urnes. Pour le second tour, des
individus du Parti démocratique avaient distribué aux abstentionnistes
des billets de 50 euros et un bulletin de vote au nom de Tadic. Les
ambassadeurs occidentaux ne s'étaient pas gênés non plus pour
s'inviter dans la campagne électorale et menacer. Le vote était
intervenu quinze jours avant la proclamation de l'indépendance du
Kossovo le 18 février. A partir de ce moment-là un puissant
mouvement patriotique de masse conduit par la jeunesse déferla dans
les rues, les ambassades occidentales furent prises pour cible et la
principale, l'ambassade des Etats-Unis, attaquée deux fois, était
finalement incendiée. Je dois dire que ce fut une énorme erreur de la
part des jeunes dirigeants nationalistes d'arrêter net les manifestations
après l'incendie emblématique de l'ambassade US et des McDo. Il
fallait au contraire lancer un mouvement sans retour, non seulement
intensifier les manifestations mais encore lancer comme aurait dit
Sorel la « vague dévastatrice », créer les conditions de l' insurrection
nationale, détruire les concessions occidentales, décréter la grève
générale, occuper physiquement les centres vitaux du pays, les
ministères, le parlement, les mairies sans oublier les radios et les
télévisions qui insultaient les Patriotes, les traitant de « hooligans ». A
ce moment-là le pouvoir était vacant, il était à prendre. Mais, effrayés
par l'audace des plus décidés, les dirigeants du Mouvement
nationaliste laissèrent filer le mouvement . Quant à la direction
radicale, complètement absente des manifestations de rues, elle devait
se montrer au-dessous de tout, n'organisant rien et commettant la
faute de participer à la manifestation de récupération « patriotique
« de Vojislav Kostunica devant le parlement. Ce 21 février Tadic était
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parti se réfugier en Roumanie. La direction radicale avait tourné le dos
au mouvement populaire et noyé le Parti radical dans un Front
conservateur. Politicien de type Quatrième République, le premier
ministre Kostunica allait provoquer la dissolution du parlement et
appeler à des élections législatives anticipées. Aux législatives du 11
mai, le Parti radical devait essuyer un demi échec en ne réussissant pas
à capitaliser sur son nom le puissant mouvement de protestation de
masse qui s'était déversé dans la rue. Cet échec était dû à la
pusillanimité de ses dirigeants et à leur fourvoiement dans le camp
conservateur qui avait repris et même dépassé leur réthorique
patriotique. Toutefois malgré cet échec, le Parti radical pouvait encore
accéder au pouvoir et prendre la tête d'un nouveau gouvernement à
majorité SRS (radicaux) avec la coalition DSS-NS (« populistes ») et
celle du SPS (socialistes). Malgré ces erreurs et ces fautes il y avait en
effet toujours danger pour le Parti démocratique de Boris Tadic car sa
« Coalition pour l'Europe » n'avait pas réussi à obtenir la majorité.
Dans les jours qui suivirent les législatives certains leaders proaméricains prirent peur et menacèrent de faire descendre leurs troupes
dans la rue. Certains songeaient à un coup d'Etat. Sur ordre des
Occidentaux, les Etats-Unis et la Grande Bretagne en tête, le pouvoir et
les oligarques serbes (ils existent) comme Miroslav Mišković
élaborèrent toutefois une stratégie plus sournoise, celle d' acheter le
Parti socialiste et ses satellites et de leur proposer des postes dans un
gouvernement dominé par le Parti de Tadic. Cette manoeuvre de
corruption entraîna de longues tractations qui durèrent deux mois et
qui indiquent les difficultés, les hésitations et les pressions. Hésitant,
le chef du Parti socialiste, Ivica Dacic, avait commencé par se rendre à
Moscou le 16 mai où un émissaire du Kremlin, le chef du Parti Russie
Juste, Serguei Mironov, l'avait assuré qu'en cas de formation d'un Bloc
patriotique SRS-DSS-SPS ,la Russie soutiendrait à fond la formation
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de ce nouveau gouvernement. Mais les Occidentaux tenaient à tout
prix à faire capoter cette possibilité. Pour cela ils poussèrent les deux
maillons faibles de la coalition du SPS, Markovic Palma, un ancien
troisième couteau d'Arkan, à peine alphabétisé et ayant du mal à se
déplacer à cause de son embonpoint, à qui l'ambassadeur de Grande
Bretagne promit d'implanter dans son fief de Jagodina, une petite ville
du centre de la Serbie, rien moins que « l'Eurodisneyland des
Balkans »! Le grotesque président d' Unité de la Serbie (JS), formation
infrapolitique à 1%, fut même invité en à Eurodisneyland-France pour
lui mettre l'eau à la bouche. La contrepartie était qu'il se répande en
déclarations péremptoires pour exclure toute alliance avec les
Radicaux et empêcher un gouvernement « patriotique », ce qu'il fit,
mettant Ivica Dacic dans une situation délicate. L'ambassadeur de
Grande Bretagne devait pousser le zèle jusqu'à se déplacer à Jagodina
où « Palma », flatté de tant d'honneurs, le reçut en grande pompe.
L'autre maillon faible de la coalition du SPS n'était autre que Jovan
Krkobabic, le filiforme et narcissique chef du Parti des retraités (PUPS)
qui avait du apporter 2% au maximum à la coalition SPS. Ces deux
sous partis totalisaient 7 députés, ce qui avec le ralliement de quelques
députés des « minorités », suffisait à faire pencher la majorité
parlementaire vers le Parti démocratique. Mais l'opération « sauvetage
de la démocratie » comportait un second volet concernant tout
particulièrement le Parti socialiste. D'abord les Américanooccidentaux firent savoir à Dacic que toute participation à un
gouvernement d'Unité patriotique entraînerait de lourdes sanctions
contre les dirigeants du Parti et qu'ils avaient tout à y perdre. Après la
menace du bâton, ces ambassadeurs intimement liés aux services de
renseignements de leurs pays respectifs, l'américain Cameron Manter,
précédemment en poste à Mossoul, et le britannique Stephen
Wordsworth, ex chargé d'affaires à Moscou, mirent la carotte sur la
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table: réhabilitation du Parti socialiste par la « communauté
internationale », réintroduction du Parti dans l'Internationale
Socialiste (IS), parrainage auprès de Tadic pour obtenir des ministères
importants dans le gouvernement à former, dotation de postes de
direction dans de grandes entreprises, enfin une somme d' argent était
attribuée à tous les députés et à tous les membres de la direction du
Parti. Chacun d'eux devait toucher, selon Mihailo Markovic, un ex
numéro deux du Parti passé à la scission du Mouvement Socialiste à
cause de cela, la somme de 50.000 euros. Le 23 mai, Ivica Dacic
rencontrait à Athènes le chef de l'Internatinale socialiste, George
Papandreou, membre de Bilderberg, qui confirmait la « proposition
amicale » des Anglo-Saxons. Mais durant toute cette période, Tomislav
Nikolic avait aussi tout fait pour dégouter les socialistes de former un
gouvernement d'Union Patriotique avec les Radicaux et les
« Populistes » (DSS-NS). Ce comportement devait permettre aux
Socialistes (qui n'avaient que 7,9% des voix mais constituaient
l'incontournable groupe charnière) de hisser la barre très haut pour
obtenir le maximum d'un Tadic aux abois. Pis encore, la Mairie de
Belgrade, puisqu'il y avait eu aussi des municipales, devait
normalement revenir au numéro deux du Parti radical arrivé en tête et
majoritaire avec ses « alliés ». Un accord avait été signé entre
Alexandre Vucic et ses partenaires populistes et socialistes. Eh bien
non seulement l'accord ne devait pas avoir de suite mais encore Vucic
et la direction radicale ne réagissaient pas au maintien de l'ancien
maire à son poste, la direction radicale ne tentait même pas d' occuper
la mairie, laissant cette dernière encore une fois au parti de Tadic.
Donc il y a eu d'abord la trahison des dirigeants socialistes qui ont été,
répétons-le, vulgairement achetés, le Parti socialiste collaborant avec
ceux qui avaient livré et tué son fondateur Slobodan Milosevic à La
Haye, et il y a eu ensuite le comportement inexplicable des dirigeants
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radicaux Nikolic et Vucic. Dès ce moment-là toutefois certains
murmuraient que les Radicaux ne voulaient pas prendre le pouvoir et
que leurs chefs avaient été eux aussi achetés pour ne rien faire et
continuer de se vautrer dans une confortable et tranquille opposition.
Le soir du 29 juillet j'étais à deux mètres de la tribune lorsque le Parti
radical poussé par la rue a organisé avec dix jours de retard une grande
manifestation de protestation (30.000 participants) contre
l'arrestation de Radovan Karadzic. Encore une fois le Parti radical
devait opter pour le Front conservateur, invitant à la tribune des
politiciens patriotards qui n'avaient rien à y faire. Fixée à 19h00 Place
de la République la réunion devait être longue, pénible (trop
d'orateurs) et quand vint le tour du dernier, Nikolic, ce fut le bouquet.
Cétait tard, 11 heures du soir, et le discours du numéro un par intérim
du Parti fut interrompu en plein milieu par des explosions répétées et
une ondulation dangereuse de foule. C'était la police qui, sous prétexte
de la présence de perturbateurs à 400 mètres de là, attaquait le
meeting autorisé, gazant des centaines, des milliers de participants,
matraquant à tour de bras (un membre du Parti devait d'ailleurs
mourir dans ces violences). Eh bien non seulement le service d'ordre
du Parti radical, qui avait pour mission de protéger d'abord les
journalistes, se montrait ce soir-là incapable de protéger ses propres
partisans et sympathisants mais encore Nikolic et sa suite
abandonnaient la tribune et s'enfuyaient comme des rats au lieu de
faire front à la tête des partisans comme l'aurait fait Seselj. Dans la
nuit, alors que, gazé, je prenais la tangente par des rues adjacentes
avec l'ami Radenko pour échapper aux violences policières, tout ce que
j'avais pensé sur la conduite de la direction du Parti radical ces
derniers mois me revenait à l'esprit. Ce laisser-aller, cette
pusillanimité, cette mollesse, et même cette complaisance envers
l'ennemi, cette absence dans la rue aux moments décisifs devaient
22
prendre tout leur sens quand on voyait en septembre Nikolic et Vucic
faire scission du Parti radical pour créer un nouveau parti
parlementaire de « centre droit » (sic) avec l 'agrément du Parti
démocratique et des ambassades des Etats-Unis et de Grande
Bretagne! Habitués aux honneurs et aux blablabla du parlement, ces
politiciens en complet veston ont fini par se vautrer définitivement
dans la fange de la politique politicienne. Ils ont pris le chemin opposé
du fondateur et chef du Parti radical, Vojislav Seselj, en prison à La
Haye depuis février 2003, le chemin du déshonneur et de la trahison.
Il y avait un DSS machine à faire perdre les Patriotes. Maintenant il y
en a deux. Je l'avais dit en juin dans un entretien à l'hebdomadaire
Pečat, la Serbie a besoin, parallèlement au Parti radical (et pas contre
lui) d'un Mouvement nationaliste révolutionnaire conséquent, d'un
mouvement qui ne dissolve pas dans les jeux politiciens et
parlementaires les aspirations de libération nationale et sociale du
peuple. Dans cette interview, j'avais aussi critiqué les carences de la
plupart des chefs de groupes nationalistes hors Parti radical, qui se
sont montrés incapables de faire monter la pâte et de donner naissance
à une structure nationale révolutionnaire extraparlementaire,
consciente et organisée. Sauf exception, ces mouvements ont confondu
manifestations politiques et processions religieuses se perdant à
l'Eglise et substitué aux nécessités concrètes des luttes actuelles les
nostalgies et le folkore du passé. La meilleure chose qu'auraient à faire
maintenant ces dirigeants s'ils en avaient la capacité, ce serait de lire
Lénine, Gramci, Sorel, Blanqui et d'adapter leur enseignement à la
situation d'aujourd'hui. Il devraient aussi jetter un oeil sur le
Catéchisme Révolutionnaire de Netchaïev qui, plus qu'un programme,
indique la mentalité nécessaire à l'action. Après l' interview qui a été
très commentée, j'ai rédigé un petit texte intitulé « Nécessité d'un
Mouvement nationaliste révolutionnaire en Serbie » (NDLR : texte
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reproduit ci après) , que j'ai gardé sous le coude en attendant que les
choses se décantent. Il contenait la critique objective de ce qui n'allait
pas et la trame de ce qu'il faut faire. Је voudrais maintenant insister sur
l'importance de la Question serbe et du lien Serbie-Russie. Le
démantèlement de la Yougoslavie, et à l'intérieur de cette Yougoslavie
la réduction territoriale de la Serbie par les Etats-Unis et leurs
complices, ont servi de modèle pour s'en prendre à la Russie. Dans
l'esprit des Occidentaux la fin de l'Union Soviétique n'était qu'une
première phase consistant à détacher la périphérie (Ukraine, Caucase,
Pays baltes, Moldavie, Républiques d'Asie centrale) du centre russe. La
seconde phase devait être le découpage de la Fédération de Russie en
trois morceaux et la réduction de la Russie à la Moscovie. A Moscou
toutefois avec Vladimir Poutine une nouvelle équipe a succédé à
l'équipe de faillite Gorbachev-Eltsine et a enrayé ce mouvement de
déclin en reconstruisant un cadre et une force. Plus petite et plus
exposée, par sa « résistance de retard », la Serbie a permis à la Russie
de prendre conscience de ce qui l'attendait si elle ne réagissait pas. A
partir du début des années 1990 la Serbie a rendu un service immense
à la Russie en fixant l'OTAN dans les Balkans, en dévoilant les plans
séparatistes de Washington et de Bruxelles – le nouveau Drang nach
Osten, la Conquête de l'Eurasie – et en démasquant l'action subversive
des Organisations Non Gouvernementales (ONG). L'aide diplomatique
russe aux Serbes a été tardive et insuffisante. Avoir laissé le champ
libre à l'OTAN dans les Balkans n'a pas pour autant dissuadé le pacte
atlantique de continuer à encercler la Russie. On l'a vu avec l'adhésion
des pays baltes à l'OTAN, avec l'installation d'un pouvoit hostile en
Ukraine et, cet été, avec l'agression de Saakachvili en Géorgie. Il faut
bien se dire que les Occidentaux guidés par les Etats-Unis ne
connaissent qu'un seul langage, celui de la force. Mais l'Occident est
loin d'être un bloc homogène. Si les Russes savent tirer parti de
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l'affaiblissement américain et des clivages européens, ils pourront non
pas reconstruire leur sphère d'influence comme on disait au XIXème
siècle mais établir au delà des anciennes limites de l'Union Soviétique
des relations étroites avec les pays européens aspirant à
l'indépendance, des relations fondées sur le respect mutuel, l'entente
et la coopération. Mais allons plus loin et parlons de la Révolution
Européenne. Dans une seconde phase il faudra songer à donner
consistance à cet Axe Paris-Berlin-Moscou déjà évoqué. Avant d'en
arriver là, il apparaît absolument nécessaire que se constitue avec la
Russie une Centrale internationale destinée à populariser dans les
cercles influents l'idée d'un Bloc Géopolitique paneuropéen et à
impulser dans tous les pays un mouvement d'avant-garde pour la
libération nationale et l'unification de l'Europe. Il est évident que je ne
parle pas ici de la petite Europe institutionnelle de l'Atlantique à la
Mer Noire, qui n'est qu'une colonie américaine, mais de cette Grande
Europe dont le coeur se trouve, au propre comme au figuré, en Russie
et qui s'étend géographiquement de l'Atlantique au Pacifique, ou pour
reprendre la formule de Jean Thiriart, de Vladivostok à Reykjavik.
Dans cette attente, dans toute l'Europe résistante, nos camarades et
amis suivent avec le plus grand intérêt le développement des forces qui
ont déjà à leur actif le fait d'avoir fourni un cadre géopolitique
conceptuel à la direction de la Russie. Ces forces doivent aller plus loin
et mettre sur pied avec d'autres les structures d'un nouveau Komintern
adapté aux défis des temps actuels.
Merci Yves Bataille d'avoir accepté de répondre aux questions
d'Alexandre Latsa.
http://alexandrelatsa.blogspot.com/2008/11/entretien-avec-yvesbataille.html
4 novembre 2008
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