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© Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 19 April 2017
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En réalité, il existe de nombreux niveaux et types de bilinguisme. Une distinction importante concerne l'âge
d'introduction de la 2ème langue. Ainsi, le « bilinguisme précoce ou simultané » se réfère aux enfants qui ont
appris les 2 langues en même temps ou, du moins, avant l'âge de 3 ans. C'est le cas lorsque leurs parents sont
d'origine différente et leur parlent chacun dans sa langue maternelle. C'est aussi le cas dans la situation typique
des familles qui vont vivre à l'étranger et où l'enfant baigne rapidement dans la langue du pays d'accueil. Le
« bilinguisme séquentiel », lui, concerne des enfants qui apprennent la seconde langue après l'âge de 3 ans.
On parlera en outre de « bilinguisme séquentiel tardif » si l'apprentissage de la seconde langue n'a commencé
qu'après l'âge de 10 ans.
Retournement de situation
Jusqu'au début des années 1960, la conception dominante était que le bilinguisme est dangereux pour
le fonctionnement mental. Les toutes premières recherches sur les liens entre bilinguisme et cognition
soutenaient d'ailleurs cette conception négative. Les chercheurs montraient entre autres que le quotient
intellectuel des bilingues était significativement inférieur à celui des monolingues. Mais voilà, ces recherches
péchaient par leur méthodologie. « En les examinant de plus près, on s'est aperçu qu'elles comparaient des
individus provenant de milieux socioculturels différents, que les bilingues, généralement issus de l'immigration,
étaient défavorisés par leur origine, indique Martine Poncelet. En outre, les tests de quotient intellectuel (QI),
par exemple, étaient proposés dans la langue majoritaire, que les immigrés maîtrisaient peut-être moins bien
que leur langue maternelle. Enfin, ils avaient une forte connotation culturelle. »
La donne changea en 1962, année où les chercheurs canadiens Elisabeth Peal et Wallace
Lambert renversèrent complètement la vapeur en soulignant les erreurs méthodologiques des études
antérieures et en apportant des données convaincantes selon lesquelles les bilingues n'étaient pas inférieurs
aux monolingues dans un certain nombre de domaines relevant de la sphère cognitive. Dans la foulée, la
communauté des psychologues s'intéressa davantage au bilinguisme et à la manière de bien évaluer les
bilingues, en particulier dans leur première langue. Eu égard aux résultats des études entreprises, la tendance
fut alors de considérer qu'il n'y avait pas de désavantage à maîtriser deux langues.
À partir des années 1980-90, une autre chercheuse canadienne, Ellen Bialystok, de York University
à Toronto, commença à montrer, à travers de nombreux travaux(1&2) relatifs à différents aspects du
développement cognitif, que les enfants bilingues bénéficiaient, en moyenne, de meilleures capacités que les
autres, essentiellement dans le domaine des fonctions attentionnelles et exécutives, celles qui nous permettent
d'inhiber des informations non pertinentes, de planifier nos actions, d'élaborer des stratégies, etc. « Par la
suite, de nouvelles études d'Ellen Bialystok ont fait apparaître que cet avantage s'étendait aux adultes, y
compris aux personnes âgées, précise Martine Poncelet. Mieux encore : le bilinguisme retarderait l'entrée dans
la maladie d'Alzheimer. Pourquoi ? Parce que, parlant deux langues, les personnes concernées auraient
entraîné davantage leurs fonctions exécutives et attentionnelles tout au long de leur vie, se constituant ainsi
ce qu'il est convenu d'appeler une "réserve cognitive". »
Toutefois, on ne comprend pas encore très bien les mécanismes intimes qui conféreraient un avantage cognitif
aux bilingues. Selon la chercheuse de l'ULg, on suppose que le fait de parler deux langues oblige à inhiber
sans cesse l'autre langue et, par ailleurs, que « switcher » d'une langue à l'autre nécessite une importante
flexibilité mentale. Les capacités d'inhibition et la flexibilité mentale, deux domaines où les bilingues s'avèrent
vraiment supérieurs aux monolingues d'après les travaux d'Ellen Bialystok, s'en trouveraient renforcées.