Dominique Pradelle / Critique phénoménologique de l’éthique kantienne
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sa critique husserlienne telle qu’elle est exposée à deux
reprises : d’une part, dans un important appendice aux Leçons
sur l’éthique et la théorie de la valeur comportant des textes
assez anciens de 1897 et 1902/03 (Hua XXVIII, 381-418) ;
d’autre part, au chapitre 9, intitulé « L’éthique kantienne de la
raison pure », de l’Introduction à l’éthique rédigée dans les
années vingt (Hua XXXVII, 200-243). Or si cette dernière, dite
« seconde éthique », est considérée comme étant l’éthique
proprement phénoménologique de Husserl, par opposition au
point de vue formel qui caractérise les Leçons sur l’éthique des
années dix – centré sur le parallélisme entre logique, axiologie
et éthique formelles, et sur les caractères formels du champ
axiologique –, on ne peut qu’être frappé par une chose : la
constance des critiques adressées par Husserl à l’éthique
kantienne – comme si ces dernières avaient été élaborées assez
tôt et une fois pour toutes, et comme si sa conversion à
l’idéalisme transcendantal en 1906/07 n’avait rien modifié
d’essentiel à ses positions en éthique. Cela semble indiquer que
le champ de la philosophie éthique serait indifférent à
l’adoption d’une thèse métaphysique réaliste ou idéaliste.
Pourquoi cela ? Y a-t-il, dans le domaine spécifique de l’éthique,
quelque élément spécifique qui le rende indifférent à la
distinction entre idéalisme et réalisme ?
De surcroît, les critiques fondamentales adressées par
Husserl à la philosophie kantienne
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s’appliquent-elles ou non au
domaine de l’éthique ? Ainsi, bien que Husserl entérine le
renversement copernicien entendu comme retour du monde
constitué à la subjectivité constituante, il en récuse un second
sens : celui qui pose que les structures a priori des objets
connaissables se règlent sur les structures invariantes du sujet
connaissant ; que, par conséquent, la nature de l’étant
accessible se règle sur l’opposition fondamentale entre Dieu et
homme, intuitus originarius et intuitus derivatus, et que la
spatio-temporalité et les structures catégoriales de l’étant se
règlent pour l’homme sur les formes a priori de la sensibilité et
les concepts purs – ce qui conduirait à une position
anthropologiste. La récusation de ce sens précis de la révolution
copernicienne, ainsi que de l’anthropologisme qui en découle, a-
t-elle ou non des conséquences dans la sphère pratique ?