ÉTHIQUE ET ENTREPRISE : QUESTIONS, CONTRAINTES, COMPROMIS 4
l’emporter sur les convictions personnelles.
D’autres logiques peuvent sous-tendre les décisions de ce type. Si on admet à la base la sincérité
des intentions des deux décideurs, c’est-à-dire que chacun a pris sa décision en se sentant
engagé, l'un d’un point de vue individuel, l'autre d’un point de vue collectif, on ne peut pas dire que
l’un ait plus d’éthique que l'autre.
Très souvent, qui se porte juge du comportement de quelqu'un évalue la situation par rapport à
des frustrations individuelles. Dans les deux cas, que ce soit dans la position de l'équipe ou dans
la position de l'individu qui a été écarté, quelqu’un peut se dire que ce n'est pas juste, que ce n'est
pas éthique de se comporter de cette manière-là. Dans l'esprit des deux décideurs, il y a pourtant
bien eu une réflexion et une dimension éthique, un choix entre l'individu et la collectivité. Le fait
que ces deux dimensions interviennent a créé un conflit. Au moment où on doit prendre une
décision, il y a effectivement toujours quelqu'un qui sera frustré. Le but de l'éthique n'est pas de
contenter tout le monde. Et ce n’est pas parce qu'on a contenté tout le monde qu'on a été éthique.
Il existe des cas où on peut très bien contenter beaucoup de gens et être complètement
« inéthique ».
L'individu ne peut pas se référer seulement à son éthique individuelle. L'éthique est avant tout un
problème collectif, de rapport aux autres, de vie "ensemble". Une éthique de composante
strictement individuelle supposerait que chacun se mette en accord avec sa conscience. Dans
l’entreprise, l'individu ne peut pas se référer seulement à son éthique individuelle, car il a un
certain nombre de responsabilité vis-à-vis des personnes présentes dans l’entreprise. Il est
engagé et rémunéré pour cela, et il est porteur de ses responsabilités.
2. Convictions personnelles et contraintes fixées par l’entreprise
L’entreprise peut définir des valeurs. Même lorsqu’elle n’en définit pas, elles transparaissent dans
ses objectifs. Suivant l'entreprise, suivant les convictions de ses dirigeants, elle va fixer ou elle ne
va pas fixer de limites. Toute personne en situation professionnelle travaille dans un cadre, fait de
règles plus ou moins claires. Quand on regarde un petit peu ce qui se passe et quels sont les
cadres dans lesquels les gens interviennent au nom de l'entreprise, on voit une grande disparité
des pratiques. On peut en qualifier quelques-unes.
D'abord, les dirigeants peuvent très bien ne pas fixer volontairement de règles éthiques. Dans la
distribution, il y a des dirigeants de magasins dans les groupes indépendants dont l'objectif avoué
est de gagner un maximum d'argent en un minimum de temps, puis de revendre leur magasin une
fois qu'il a été bien exploité, d'acheter un bateau et d'aller faire le tour du monde en famille. Dans
ce type de situation, les questions éthiques n'interviennent pas forcément. En termes clairs, on
s'en fiche. L'objectif est de gagner un maximum d'argent et c’est ce qu’on demande aux personnes
qui travaillent dans ce type d’entreprise. Elle ne va pas fournir de cadre à l'individu sur la façon de
se comporter ; le seul cadre est constitué de l'objectif de résultat économique.
L’entreprise peut avoir des engagements sélectifs. C’est le cas d'une entreprise du bâtiment qui a
toujours refusé d'exporter sur le marché africain, parce que les convictions religieuses des
dirigeants interdisaient qu'on fournisse des call-girls aux acheteurs. La position de l'entreprise a
toujours été claire là-dessus. Il n'empêche que la même entreprise a été impliquée dans des
affaires de corruption et d’entente illicite à l'intérieur du territoire français. Les valeurs s'appliquent
sélectivement, l’entreprise en fixe certaines, elle n’en fixe pas d'autres. Là où on n’en fixe pas, il se
passe des choses qui ne sont pas forcément éthiques.
L’entreprise peut avoir à certains égards un comportement hypocrite. Un cadre, qui a travaillé pour
une entreprise française sur le marché asiatique, disait que cette entreprise avait une très forte
éthique. Chaque cadre savait que l’entreprise ne voulait pas entendre parler de corruption. Si un
cadre était impliqué dans une affaire de corruption, l’entreprise annonçait clairement qu’elle ne le