
Des Nouvelles de Psychoprat N° 3 – Dossier : « Les métiers des psychologues en psychiatrie »
Quand l’institution s’interroge…
Le lien collégial
Travailler à plusieurs psychologues est une chance et un défi. Il s'agit de pouvoir se parler, c'est-à-dire trouver
un langage commun, ce qui n'est pas de toute évidence lorsque nos formations, nos orientations
thérapeutiques ne sont pas les mêmes. L'enjeu serait alors de pouvoir dépasser la menace que peut
représenter l'autre dans sa différence, pour accéder à l'enrichissement que constitue cette rencontre. Il s'agit
aussi de pouvoir adopter un fonctionnement cohérent qui signifiera aux interlocuteurs institutionnels quelque
chose de la place du psychologue et de son travail, quelque chose de l'espace psychique du patient. L'équipe
de psychologues se trouve rapidement confrontée à la question de l'identité du psychologue. Ainsi des
attaques de notre cadre nous ont amenées à nous positionner. Nous avons à ce titre posé comme règle qu'un
patient ré-hospitalisé pouvait revoir le même psychologue, considérant les ré-hospitalisations dans une
continuité, comme un processus à penser. De la même manière, nous nous sommes positionnées en faveur
d'un suivi unique, les patients ne pouvant être suivi à la fois par une psychologue d'orientation analytique et
dans le même temps engager un travail cognitivo-comportemental avec une autre praticienne.
Nous avons mené une réflexion collégiale au sein du Groupe, dans le cadre du Collège des Psychologues
Clinéa qui regroupe l'ensemble des praticiens, sur les transmissions du psychologue. Elles sont au centre des
liens que nous construisons avec les équipes.
Quelle valeur a l'espace de parole proposé au patient par le psychologue? Qu'est-ce que je choisis de
transmettre et de ne pas transmettre au médecin psychiatre et/ou à l'équipe et comment? Une psychothérapie
peut-elle se mener si l'ensemble des acteurs institutionnels connaît ce qui s'y dit? Le secret partagé va-t-il à
l'encontre de la confidentialité de l'espace thérapeutique? Comment ne pas instrumentaliser la parole du
patient dans des enjeux de pouvoirs? Qu'est ce que je dis oralement et qu'est ce que j'écris dans le dossier?
La parole du patient a-t-elle une valeur hors du contexte et de l'endroit où elle a été déposée? Avec quels
mots je communique à propos des mouvements psychiques du patient? Qu'est-ce que je transmets des
mouvements transféro/contre-transférentiels?
Autant de questions qui interrogent, elles aussi, la place du psychologue.
Le lien institutionnel
L'esquisse des enjeux et des liens présentés ci-dessus montre à quel point l'institution cherche en
permanence, et ses acteurs avec elle, à se représenter et se définir, ce d'autant que, comme nous l'avons vu,
les patients viennent sans cesse l'interroger.
En notre position de psychologue, savoir s'interroger sur sa pratique dans des espaces extérieurs de
supervision peut permettre de dégager le sens des liens créés avec les patients pour comprendre leur
fonctionnement. Probablement que se donner les moyens de penser sa place institutionnelle et les
mouvements que nous y vivons, est aussi une façon à un autre niveau d'accéder à la complexité du
fonctionnement psychique du patient.
Cet exercice est complexe, René Kaës (L'institution et les institutions, Dunod, 2003) regroupe sous trois
ensembles les difficultés que cela peut représenter.
Tout d'abord, parce qu'en tant que sujet de l'institution, nous sommes pris dans un faisceau d'identifications et
de projections personnelles. « Nous sommes pris dans le réseau du langage de la tribu et souffrons de ne pas
y faire reconnaître la singularité de notre parole ».
Ensuite, parce que faisant partie de l'institution, nous sommes soutenus et structurés par elle, mais aussi bien
désorganisés, aliénés et que nous avons ici à penser de l'irreprésentable. « Le correspondant interne de cet
espace externalisé commun indifférencié est probablement une des composantes de l'inconscient et, à ce
titre, il est à considérer comme l'arrière fond irréductible à partir duquel s'organise la vie psychique. »
Enfin, parce que penser l'institution, c'est penser « un système de lien dans lequel le sujet est partie prenante
et partie constituante [...et que cela] requiert [...] l'acceptation qu'une part de nous même ne nous appartient
pas en propre. »