Editions RESIAC 1997 – L’Eglise condamne-t-elle le profit ?
L'EGLISE CONDAMNE-T-ELLE LE PROFIT ?
TRADUCTION DU
TEXTE DE SAINT THOMAS
SOMME THEOLOGIQUE
2ème partie, tome 2
Question 77, Article 4
<< Est-il permis de vendre, au cours d’une négocia-
tion, un produit plus cher que son prix d’achat ? >>
Saint Jean Chrysostome commente
l’Evangile de Saint Mathieu, 21,12 en ces termes :
« Quiconque propose un produit afin d’en tirer profit
en le revendant sans l’avoir changé en rien, celui-là
est un de ces marchands qui furent chassés du
Temple de Dieu ». Et de même, Cassiodore, à propos
du psaume 70,15 : « ...car je ne connais pas l’art de
palabrer... » ou « ...de négocier... » (selon la version
des Septante), « qu’est ce d’autre ? » interroge-t-il,
« qu’est ce que la négociation, sinon offrir un bien de
valeur moindre que le prix qu’on en demande ? » Et il
ajoute : « ce sont de tels marchands que Notre
Seigneur a chassés du Temple ». Mais personne ne se
fait jeter hors du temple s’il n’a commis quelque
faute. Donc un tel négoce est pécher.
De plus, vendre à quelqu’un un objet plus
cher qu’il ne vaut, ou le lui acheter moins cher, est
contraire à la justice (d’après ce qu’on a dit dans un
article précédent). Mais celui qui, par pur négoce,
vend un bien à un prix supérieur à son prix d’achat,
l’a nécessairement soit acheté moins cher soit vendu
plus cher que son prix normal, ce qui ne peut se
faire sans pécher.
Enfin, Saint Jérôme a écrit : « Fuis comme
la peste le clerc qui marchande pour un argent
stérile ou pour une vaine gloriole. » Or le commerce
ne doit être interdit aux clercs qu’en raison de
quelque péché. Donc marchander pour acheter bon
marché et revendre au prix fort n’est pas sans péché.
A l’encontre, à propos du même psaume
70,15 : « ...Car je ne connais pas l’art de pala-
brer... », Saint Augustin commente : « Le marchand
âpre au gain blasphème pour léser, il ment et se
parjure pour un objet de prix. Mais ces vices sont
ceux des hommes et non ceux d’un art qui peut
s’exercer sans malversation ».
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Saint Thomas pour l’an 2000
Nous répondrons que la raison d’être du
commerçant est de permettre l’échange entre les
biens. Or, comme le montre Aristote au premier livre
de sa Politique, cet échange est de deux ordres : Soit
il est quasiment naturel et nécessaire comme le troc
d’un objet contre un autre, ou contre de l’argent afin
de pourvoir aux nécessités de la vie, et ce type de
transaction ne relève pas du négoce mais de la
responsabilité domestique ou publique, chargée de
subvenir aux besoins fondamentaux de la famille ou
de la cité. Soit il s’agit d’échange d’argent contre ar-
gent, ou de bien contre argent, non pour se procurer
ce qui est nécessaire à la vie mais pour réaliser un
profit, et ce marchandage relève bien du négoce.
Selon Aristote, le premier type d’échange est tout à
fait honorable car il permet de répondre aux besoins
matériels, alors qu’on méprise le second avec raison
parce qu’il sert un désir de profit objectivement sans
limites. C’est pourquoi le négoce, considéré en lui-
même, est vil car il n’est ordonné ni à un but noble
ni à un service nécessaire.
Pourtant si le profit recherché par la
négociation n’offre en lui-même rien de nécessaire ou
de noble, il ne comporte rien non plus de vicieux ou
de contraire à la morale. Il n’est donc pas interdit de
l’intégrer dans le cadre d’un objectif nécessaire ou
noble et de redonner alors au négoce tous ses droits.
C’est le cas par exemple de celui qui recherche dans
le commerce un bénéfice raisonnable pour subvenir
aux besoins de sa famille ou de personnes
nécessiteuses, voire même pour contribuer au bien
public dans le souci que rien ne manque à la vie de la
patrie. Le profit n’est alors pas recherché comme but,
mais comme compensation des charges assumées.
Par conséquent tout d’abord, le discours de
Saint Jean Chrysostome doit s’entendre du négoce
dont l’objectif ultime est le profit, ce qui se constate
le plus souvent lorsque quelqu’un revend un objet
plus cher qu’il l’a acheté sans lui avoir apporté de
valeur ajoutée. Si par contre il l’avait amélioré, il re-
cevrait alors le prix de son travail. Pourtant même
sans cela, il aurait le droit d’en tirer profit à
condition de ne pas le rechercher pour lui-même
mais dans un but nécessaire ou noble.
Deuxièmement, vendre plus cher qu’on a
acheté ne signifie pas nécessairement qu’on ait fait
acte de négoce, car il faut avoir acheté en vue de re-
vendre plus cher. Si quelqu’un se procure un bien
non pour le revendre mais pour en jouir, et que plus
tard il veuille s’en défaire pour une raison quelcon-
que, celui-là n’a pas marchandé même s’il revend
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plus cher. Il peut en effet le faire licitement s’il a
amélioré le bien, ou si le changement de lieu ou
d’époque en a fait croître le prix, ou à cause des
risques liés au transport ou à la livraison. Dans ce
cas ni la vente ni l’achat ne sont injustes.
Enfin le clerc doit s’abstenir non seulement
de ce qui est mauvais en soi mais aussi de ce qui peut
le devenir par certains côtés. Or c’est le cas de la
négociation qui vise un profit matériel, objet de
dédain du clerc, et qui est très souvent vicieuse
puisque selon l’Ecclésiaste (26, 28), « le commerçant
ne s’abstient qu’avec peine de paroles trompeuses ».
En outre la négociation sollicite beaucoup l’esprit
pour des soucis temporels et l’écarte ainsi des
considérations spirituelles. Saint Paul écrit pour
cette raison : « Que personne, voulant se consacrer à
la cause de Dieu, n’ait part aux affaires du siècle ! »,
II Tim 2.4. Reste qu’il est permis au clerc de se ser-
vir du premier genre d’échange, destiné aux nécessi-
tés de la vie, par la vente et par l’achat.
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MEDITATION
POUR NOTRE TEMPS
L’EGLISE CONDAMNE-T-ELLE
LE PROFIT ?
Beaucoup de chrétiens engagés dans des responsabilités éco-
nomiques, et notamment les chefs d’entreprise, éprouvent des
difficultés sérieuses à maintenir une réelle unité entre leurs devoirs
temporels et les exigences spirituelles. Les raisons expliquant ce
divorce latent semblent nombreuses. On redoute par exemple une
conception de la charité qui pourrait mettre en péril la rigueur des
équilibres économiques : refus de licenciement, augmentations de
salaires généreuses, ... . On est amené à adopter des habitudes et des
pratiques courantes du monde des affaires qui paraissent très éloignées
de la morale chrétienne : distribution d’ « enveloppes », accueil
« royal » de clients, parole sciemment reniée, documents financiers
« toilettés », ... . On se heurte à des prescriptions religieuses, telles que
l’interdiction du travail le dimanche ou les jours fériés, qui
désavantagent par rapport à une concurrence sans scrupule.
Parmi ces motifs, il en est un qui pèse lourd dans l'opinion
publique, et qui fut repris de façon théorique par un Max Weber
notamment, c'est l'attribution au Catholicisme de la condamnation du
profit. Il est fréquent d'entendre de la bouche même de dirigeants
catholiques que leur Eglise s'est lourdement trompée en vitupérant la
recherche du profit. Ils y voient une des raisons structurelles du retard
économique des pays latins, face aux anglo-saxons dont la culture
protestante au contraire, attacherait un grand prix à la poursuite du
gain.
Devant ce qu'ils estiment être un constat indiscutable, ces
responsables en viennent au mieux à accepter - à titre de « Manteau de
Noé » - d'oublier le passé, pourvu que l'Eglise s'abstienne désormais
de toute déclaration touchant de près ou de loin au secteur
économique pour des raisons d'incompétence, et les laisse, eux,
dirigeants, seuls face à leur conscience pour tous les problèmes
d'argent. Ce que bien sûr, l'Eglise, « experte en humanité », ne saurait
accepter.
Une condamnation catholique du
profit capitaliste ?
Il n'est alors pas inutile de rechercher des textes écrits par
Saint Thomas d'Aquin à ce sujet, il y a plus de sept siècles. Le
contexte économique était totalement différent, et pourtant l'auteur
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