C'est e dernier sursaut de l'intégrisme
L'Islam français ne suit p
Parmi les musulmans de France, partagés en courants très divers, la sagesse
et la discrétion l'emportent sur l'extrémisme
7endredi, jour
-
de prière. Dans un petit
café algérien de la rue Jean-Pierre
Timbaud, dans le quartier de Belleville,
une discussion animée s'engage entre
y' consommateurs sur la nouvelle du jour:
l'Union du Maghreb. Au comptoir, un groupe de
jeunes boivent ostensiblement des bières ; alors
qu'à la mosquée d'en face, là-bas, dans l'embra-
sure des fenêtres, se prosternent des silhouettes
vêtues et coiffées de blanc. C'est la mosquée
Omar. L'imam Mohamed Hammami se fait
appeler « Amir Dawa » («
commandeur de l'is-
lam réel »). On vient souvent de loin pour écouter
son prêche. Il appartient au courant de pensée
fondamentaliste dit « intégriste ». Il y a quelques
années les intégristes semblaient avoir le vent en
poupe en France. Les prosélytes les plus tenaces
se répandaient, il n'y a pas si longtemps encore,
sur les trottoirs du boulevard de Belleville. Ils
interpellaient les passants, nombreux le ven-
dredi, jour de grande prière...
Aujourd'hui, ils semblent avoir adopté un profil
bas. Même l'affaire Salman Rushdie ne déchaîne
pas les passions. A la mosquée de Saint-Denis,
l'imam a donné raison aux musulmans de
Bradford, en Grande-Bretagne, d'avoir brûlé les
« Versets sataniques », tout en soulignant qu'il ne
pouvait souscrire à l'«
appel au meurtre »
lancé
contre l'écrivain. Et il a conseillé aux fidèles de
« faire preuve de sagesse ».
La multiplicité des courants est telle chez les
musulmans de France qu'il est souvent difficile
de situer un interlocuteur. La tendance la plus
importante est celle de l'islam maghrébin
mélange de traditions pré-islamiques et mara-
boutiques (culte du saint) et de l'enseignement
des ulémas (docteurs de la foi). En revanche, les
sectes chiites sont politisées : Iraniens Idiomei-
nistes ou antikhomeinistes, Irakiens très souvent
opposants au régime de Saddam Hussein, Liba-
nais, Pakistanais, Indiens... Le khomeinisme en
tout cas est loin de faire recette. Pour le cheik
Abdelhamid Zbantout, installé en France depuis
1938, «
ce n'est pas à Khomeini de faire une fatwa
[décret].
Bien sûr que je suis indigné que l'on
puisse écrire que le Prophète ait reçu la révélation
de Satan et non de l'ange Gabriel. Cependant, s'il
y a un fou, ce n'est pas la peine d'être plus fou que
lui... Khomeini est peut-être le guide spirituel de
l'Iran mais pas de tous les musulmans ».
Quant à l'« intégrisme », cheik Zbantout pense
qu'il est passé de mode : «
Tout ça, c'était
superficiel. C'était du m'as-tu-vu, de la provoca-
tion
à l'adresse de
gens
qui
se
sentaient humiliés.
Le prosélytisme iranien y a été pour quelque
chose. Aujourd'hui, un courant plus profond
traverse les musulmans, reposant sur une foi plus
intérieure et plus discrète. »
Qu'en est-il advenu de la menace intégriste
décelée il y a quelques années par Pierre Mauroy
ou Gaston Defferre ? Il est vrai que leurs
déclarations intervenaient alors dans un contexte
particulier. Il y avait le conflit très dur des OS
dans l'automobile en 1983, où l'on avait cru voir
derrière chaque ouvrier maghrébin se profiler
l'ombre d'un «
intégriste musulman ».
Puis il y a
eu les attentats meurtriers de la gare Saint-
Charles à Marseille et celui du TGV, en 1984,
revendiqués par le Djihad islamique. Et après les
attentats sanglants de septembre 1986 à Paris, la
classe politique semblait frappée de « chiitite
aiguë ». Or, si quelques Maghrébins ont été
entraînés dans la dérive terroriste, aucun d'eux
n'était issu des groupes islamistes algériens,
marocains ou tunisiens existant en France.
« Personne n'est à l'abri du fanatisme
»,-explique
Selim. Ce jeune beur au look branché n'en est pas
moins un fervent musulman. Il va prier à la
mosquée de Stalingrad, dans le 19e arrondisse-
ment, parce que l'on y officie en arabe et en
français. « Des intégristes,
il
y
en
a
aussi chez les
chrétiens et les juifs,
s'énerve Selim.
Qui a brûlé
le cinéma où l'on jouait "la Dernière Tentation
du Christ" ? Mais à lire les journaux, le fana-
tisme, c'est toujours l'islam I Blasphémer, c'est
très grave,
que
ce
soit Jésus ou Mahomet.
C'est le
début de la décadence. Lisez le Coran, tout y est
dit et prévu... »
A l'Institut Alif, à Drancy, si l'on s'insurge, c'est
avant tout contre Khomeini. « C'est le dernier
sursaut de l'intégrisme,
affirme Rachid Mechidi,
un des responsables de l'association.
Après son
échec contre l'Irak, Khomeini veut apparaître
aux yeux de l'opinion publique musulmane
comme le seul défenseur de l'islam. Sa fatwa, c'est
de la démagogie pure. »
Ici, on est d'autant plus choqué que l'Institut Alif
incarne une tendance moderniste de l'islam, qui
vient de mettre le Coran sur ordinateur, einsti-
tut dispense aux enfants un enseignenieut cora-
nique traditionnel et une initiation à l'Mformati-
que. «
Notre vocation première est l'enseigne-
ii
Devant la mosquée de
Pari
ment,
explique Quachid Kechidi.
On s'inscrit
dans le message universel de l'islam, le savoir grec
transmis, les mathématiques, la médecine, la
philosophie... »
Difficile donc pour les musulmans de France de
parler d'une seule voix. Même le recteur de la
Grande Mosquée de Paris, Cheik Abbas, ne peut
s'exprimer en leur nom à tous. Sa déclaration sur
« les Versets sataniques » est l'expression d'un
compromis qui arrange les uns et les autres.
L'affaire Rushdie met une fois de plus en
évidence le problème qui se pose aux musulmans
français : celui de la création d'une structure
vraiment représentative pour l'ensemble des
croyants de la deuxième religion de ce pays.
FARID AICHOUNÉ
23 FEVRIER - 1"MAR8 1989/51