La sécurité du médicament, pourquoi, comment ? « Tous les

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Progrès en urologie (2013) 23, 1213—1215
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ScienceDirect
www.sciencedirect.com
La sécurité du médicament, pourquoi, comment ?
« Tous les médicaments sont dangereux, certain sont
utiles aussi »
Drug safety. Why and how? All drugs are dangerous, some are also useful
MOTS CLÉS
Médicament ;
Effet indésirable ;
Pharmacovigilance
KEYWORDS
Drugs;
Side effects;
Pharmacovigilance
Les médicaments sont des produits destinés à modifier les fonctions humaines, dans le
but de traiter ou prévenir des maladies ou des symptômes. Ils vont donc interagir avec
différents éléments de la cellule ou d’organes, dans différents endroits de l’organisme.
Idéalement ils n’agiraient que sur le mécanisme pathogène, sans aucun autre effet ailleurs.
Ceci est sauf dans de très rares cas illusoire, et tous les médicaments sont susceptibles
d’entraîner des effets indésirables ou adverses. Ceux-ci peuvent être liés aux propriétés
pharmacologiques des produits (type A) et apparaître en cas de surdosage absolu ou relatif. Cette dernière notion peut s’appliquer en raison d’une dose inadaptée (par exemple
en raison d’un poids faible chez l’enfant ou chez la femme), ou d’une sensibilité particulière aux effets du produit, par exemple du fait de l’âge pour les psychotropes interférant
avec la cognition, ou de pathologies sous-jacentes comme une hypertrophie prostatique
en cas d’utilisation d’un psychotrope ayant des effets anticholinergiques. La notion de
surdosage relatif peut aussi s’appliquer aux variabilités génétiques des cibles des médicaments, ou de leur métabolisme. Dans tous ces cas, les effets observés sont en rapport
avec les propriétés des produits et peuvent s’anticiper par la connaissance de la pharmacologie. La deuxième grande catégorie d’effets indésirables est en rapport avec des
manifestations immuno-allergiques, qui peuvent s’exprimer même en l’absence de tout
effet pharmacologique (type B). Il s’agit des atteintes cutanées du rash au syndrome de
Lyell, d’atteintes hématologiques ou hépatiques (hors toxicité directe comme des anticancéreux ou du paracétamol en surdosage). Ces effets indésirables sont plus difficiles à
anticiper, sauf si bien sur le patient a déjà eu des réactions allergiques au même produit
ou à la même famille chimique de produits. Il arrive que ces manifestations allergiques
puissent être favorisées par une prédisposition génétique, comme c’est le cas pour les réactions d’hypersensibilité à l’abacavir et le type HLA B*5701 [1]. Un troisième type d’effets
(type C) est l’augmentation de la fréquence d’une pathologie déjà présente dans la population (par exemple augmentation du risque de mort subite chez les patients traités par
anti-arythmiques après infarctus, ou augmentation du risque d’infarctus du myocarde chez
les patients arthrosiques (donc âgés) prenant des anti-inflammatoires non stéroïdiens).
1166-7087/$ — see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.
http://dx.doi.org/10.1016/j.purol.2013.09.008
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La plupart des effets indésirables des médicaments sont
de type pharmacologique (type A) et pourraient être anticipés ou évités par un choix raisonné des prescriptions et
la surveillance des patients, voire des mesures préventives
(potassium avec diurétiques, ou inhibiteurs de la pompe à
protons chez le patients traités au long cours par les AINS).
Ils représentent environ 13 0000 hospitalisations par an en
France [2] et plus de 3 millions de consultations annuelles.
On considère qu’environ 6 % des hospitalisations sont dues
aux effets indésirables, et que si on compte les effets survenant en cours d’hospitalisation environ 10 à 20 % des lits
hospitaliers sont occupés en raison d’effets indésirables
de médicaments, dont l’immense majorité sont de type
A et seraient potentiellement évitables [3—5]. Les effets
immuno-allergiques sont beaucoup plus rares, moins évitables et souvent plus graves. Bien sur ceci ne s’applique pas
par exemple aux médicaments anticancéreux, qui ont une
très forte proportion d’effets indésirables de type A graves à
très graves, qui représentent une cause très importante de
morbi-mortalité dans une maladie par ailleurs gravissime,
ce qui justifierait la toxicité des produits utilisés pour la
traiter. La mortalité tous effets considérés hors cancer est
de l’ordre de 2 %, représentant plusieurs milliers de morts
annuelles.
Ces effets indésirables sont pour la plupart connus avant
la mise sur le marché des produits, soit du fait de la surveillance lors des essais cliniques précédant la mise sur
le marché, soit par la connaissance des effets de classe
(par exemple, tous les hypolipémiants, statines ou fibrates,
sont associés à des manifestations musculaires, qui sont
dose-dépendantes). Les événements plus rares peuvent
cependant ne pas avoir été détectés avant la mise sur le
marché, ne serait-ce que pour des raisons statistiques : la
loi de Poisson dit que pour avoir 95 % de chances de voir un
effet lié à un produit il faut que sa fréquence réelle soit
supérieure au tiers de la population étudiée : en d’autres
termes, il faut avoir étudié 3000 patients pour avoir 95 % de
chances de voir un cas d’un effet dont la fréquence est de
1/1000. Il n’est donc pas surprenant que les événements ou
effets dont la fréquence est inférieure à 1/1000 ne soient
pas identifiés avant la commercialisation et l’utilisation à
grande échelle des produits.
Une fois le produit commercialisé, il sera soumis à une
surveillance qui peut être ciblée ou non. La surveillance
ciblée entre dans ce qu’on appelle les plans de gestion des
risques : les risques identifiés ou présumés (par analogie
avec d’autres produits de la même famille pharmacothérapeutique) seront particulièrement surveillés et le cas
échéant des études seront en mises en place pour quantifier
le risque plus précisément en situation réelle d’utilisation.
D’autres études pourront également évaluer la manière
dont le produit est utilisé, de par sa prescription par les
médecins, ou du fait de l’utilisation par les patients. Si
l’on identifie un mésusage (erreurs de prescription ou prescription à risque ou inadaptée, ou mauvaise utilisation par
les patients), des mesures correctives peuvent être prises
(information des patients ou des prescripteurs). La surveillance non ciblée sera de la responsabilité des systèmes
de pharmacovigilance, publique ou de l’industriel, qui a
pour objectif d’identifier les nouveaux effets indésirables,
ou de surveiller la survenue d’effets graves, qui peuvent
entraîner une hospitalisation ou mettre la vie du patient en
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danger, voire être mortels. D’autres perspectives plus épidémiologiques se font progressivement jour, utilisant les bases
de données populationnelles ou des dossiers médicaux.
Ces méthodes pharmaco-épidémiologiques restent encore
mieux adaptées à la quantification d’un risque démontré ou
suspecté qu’à la découverte de nouveaux risques jusqu’alors
inconnus. Pour l’identification de nouveaux problèmes touchant des médicaments récents ou plus anciens, la capacité
humaine de reconnaissance de schémas et de « patterns »
pour identifier l’inhabituel ou l’anormal dans la réaction
d’un malade à un médicament reste encore plus forte et
plus efficiente que bien des systèmes automatisés [6].
Le rôle des médecins prescripteurs dans ce schéma de
surveillance est de déclarer au centre régional de pharmacovigilance dont ils dépendent et dont la liste est au
début du Vidal, les effets indésirables des médicaments,
dont il auraient pu avoir connaissance ou qu’ils pourraient
suspecter, et tout particulièrement les effets graves (hospitalisation ou menaçant la vie), et les effets inattendus
(non décrits dans le résumé des caractéristiques du produit
(Vidal) ou que le médecin ne connaissait pas [7]. En cas de
doute, le plus simple est de contacter le centre régional de
pharmacovigilance, y compris pour avoir des réponses aux
questions qu’ils pourraient se poser sur ces médicaments,
souvent nouveaux.
Mais le rôle principal et ce en quoi les sociétés savantes
peuvent avoir un rôle très important, est celui du bon usage,
et de la qualité de la prescription et de la surveillance : ne
pas prescrire un médicament hors AMM tant que son utilité
n’a pas été scientifiquement établie, et ses risques mesurés. L’exemple du Mediator est là pour nous le rappeler,
comme celui des pilules de troisième génération : dans un
cas comme dans l’autre la majeure partie des problèmes et
du scandale ne relève pas seulement des effets indésirables
qui étaient connus et décrits, mais bien d’une prescription abusive exposant inutilement des patients à des risques
avérés et pour lesquels le prescripteur porte toute la responsabilité de la prescription et de ses conséquences. Il
revient donc aux sociétés savantes, en plus des autorités
réglementaires de préciser les modalités de ce bon usage.
Mais il revient encore plus aux prescripteurs de respecter
ces recommandations, et de se former sur les risques et les
bénéfices des produits commercialisés [6].
Déclaration d’intérêts
L’auteur n’a pas transmis de déclaration de conflits
d’intérêts.
Références
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N. Moore a,∗,b
a
Inserm U657, université Victor-Segalen
Bordeaux-II, réseau de pharmaco-épidémiologie,
CHU Inserm CIC 0005, France
b Service de pharmacologie, hôpital
Pellegrin-Carreire, 33076 Bordeaux cedex, France
∗ Correspondance.
Adresses e-mail :
[email protected],
[email protected]
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