Analyse
Bien plus qu’une simple comédie, cette pièce apparaît comme une fable caustique sur le
comportement humain où l’on s'efforce de comprendre chacun sans épargner personne :
flagornerie, servilité, abus de pouvoir d’un petit patron en bout de course, opportunisme
petit-bourgeois, tous ces travers sont épinglés par l’auteur, masquant le désarroi de
chacun, et engendrant paradoxalement générosité, tolérance, solidarité et
reconnaissance.
Pudeur des sentiments, maladresses, malentendus, préjugés, commérages, idées
préconçues et quiproquos aident à construire l’action pour la mener avec efficacité vers
son dénouement attendu.
L’intrigue amoureuse n’étant finalement qu’une illustration de la peur de la solitude
engendrée par cette forme d’individualisme qui est notre modèle social. Les thèmes présents
sont d’une actualité déconcertante, aujourd’hui où nous avons le sentiment de plonger dans
une crise aussi dévastatrice que celle de 1929.
Avec finesse, mais sans esquiver la profondeur, le texte nous offre de ces petits moments de
bonheur, toujours à notre portée, qui peuplent notre quotidien et que nous ne savons pas
toujours reconnaître.
Une satire sociale ?
Tout d’abord, contrairement à nombre de comédies hollywoodiennes des années 1930, celle-ci
ne repose pas sur une différence de catégorie sociale entre les protagonistes : tous les deux
appartiennent à la working class. L’effet "conte de fée" ne joue donc pas ici. Au contraire, l’un
et l’autre sont à la fois conscients et préoccupés par la précarité de leur situation. Ils
réaliseront que l’intégrité ne suffit pas à assurer sa position dans un monde du travail marqué
par la crise mondiale et la toute-puissance d’un patronat libre de congédier sans autre forme
de procès. Au détour d’une conversation, on découvrira même sur un ton badin une allusion
au problème du harcèlement sexuel des femmes sur leur lieu de travail, visiblement
omniprésent.
Avons-nous pour autant affaire à une oeuvre engagée ? On peut y voir plutôt une peinture
ironique, légèrement cynique, de la bonne conscience bourgeoise incarnée par le patron,
Monsieur Matutschek. Ce dernier exerce sa tyrannie joviale et peu subtile en s’abritant
derrière le masque d’une philanthropie paternaliste qui le pousse à engager plus d’employés
qu’il n’en a réellement besoin. En retour, il exige d’eux l’affection qu’il ne trouve pas dans sa
propre famille.
Le virage pris par l’histoire en son milieu, qui révélera la fragilité de Matutschek, changera la
donne et finira, avec une certaine tendresse, par transformer cette entreprise en une famille
recomposée. Cette fin quelque peu moralisante est peut-être la seule faiblesse de cette fable
sociale. Mais elle a l’avantage d’apporte un souffle d’espoir dans une époque empreinte de
désespoir. Les aspirations de Klara et de Kralik finiront par se fondre dans le bonheur d’une
entreprise prospère.
Heureusement, le culot de Pépi, le coursier du magasin, permet de dispenser un sourire
malicieux et souligner l’art délicat de l’opportunisme innocent, là où la fourberie d’un Vadas
avait été sanctionnée.