embryon humain passe par un stade poisson, puis
reptile, puis singe...). Selon cette théorie, dite de
la récapitulation, l'évolution procédait en rajou-
tant de nouveaux stades au développement préna-
tal et postnatal. Mais Haeckel soutenait que cela
était vrai non seulement des espèces, mais aussi
des races au sein des espèces. Autrement dit, selon
lui, il était visible que la race noire était moins
évoluée que la race blanche parce qu'elle en était
restée à un stade que les « Blancs » ne présentent -
que transitoirement durant l'enfance. Et, bien
entendu, d'innombrables travaux prouvèrent que
physiquement et intellectuellement les « Noirs »
étaient équivalents à des enfants de « Blancs ».
En 1920, l'anatomiste néerlandais Louis Bolk
soutint une théorie exactement inverse : révolu-
tion procédait, dans le cas de certaines espèces,
par ralentissement du développement pré- et
postnatal. Selon cette théorie, dite de la néoténie,
De Darwin au début du xr siècle, non seule-
ment tous les scientifiques admettaient la hiéràr-
chie des races blanche, jaune et noire, mais aussi
la plupart reconnaissaient, au sein de la race
blanche supérieure, une ou plusieurs races d'élite.
Pour Darwin, la palme de la supériorité dans
l'intelligence revenait aux Anglais. Pour Haeckel
c'était plutôt aux Allemands. Et pour l'anthropo-
logue et disciple français de Darwin Georges
Vacher de Lapouge, c'était non pas les Français,
comme on aurait pu s'y attendre, mais la dee
aryenne, appelée aussi « nordique)) (qui compre-
nait les Scandinaves, les Allemands...) qui étaitja
race supérieure; Pour affirmer cela, Vacher de
Lapouge se fondait non seulement sur l'ouvrage
du comte de Gobineau (« Essai sur l'inégalité dés
races humaines », 1854), mais aussi sur des
arguments craniométriques inspirés de Broca : lés
; Aryens avaient un crâne volumineux et dolichô-
Homo erectus
'
et celle-ci ayant donné finalement
Homo sapiens).
En gros, la race blanche serait
descendue d'une race européenne d'Homo
erec-
tus,
la jaune d'une race asiatique d'Homo erectus,
et la noire d'une race africaine
d'Homo erectus.
Comme l'espèce
Homo erectus
est apparue il y a
1,5 million d'années, les aptitudes biologiques des
races humaines actuelles auraient largement eu le
temps de se différencier. Et, selon Coon, les
ancêtres des races blanche et jaune, qui avaient
toujours vécu sous des climats froids, avaient été
poussés par la sélection naturelle à développer une
intelligence fondée sur le sens de l'innovation
technique (puisque l'invention
-
d'outils et de
techniques permettait de faire face aux conditions
de vie difficiles sous ces climats). De sorte que les
« Blancs)) et les)) Jaunes» auraient biologiquement
aujourd'hui une intelligence supérieure à celle des
« Noirs». Cette théorie a été reprise dans les années
l'espèce humaine serait née d'une mutation géné-
tique ayant ralenti le programme de développe-
ment du grand singe ancestral. De fait, il est exact
qu'un homme adulte possède de nombreux carac-
tères présentés par le foetus de chimpanzé ou
même le bébé chimpanzé, et la théorie de la
néoténie est probablement en grande partie
exacte. Mais Bolk soutint aussi que sa théorie de
l'évolution par ralentissement du développement
s'appliquait également aux races. Il affirma donc
que la race blanche était la plus évoluée puisque,
selon lui, elle gardait jusqu'à l'âge adulte des traits
juvéniles, tandis que les « Noirs » les perdaient
au-delà de l'adolescence !
Au début du xr siècle, la théorie darwinienne
fut invoquée pour soutenir encore un point de vue
différent. Selon des anthropologues allemands
(Klaatsch et Hartl) ou anglais (R. Gates), les races
humaines ne descendaient pas toutes de la même
espèce de grand singe. Le chimpanzé était l'ancê-
tre des « Blancs »; le gorille, celui des « Noirs » ;
l'orang-outang, celui des « Jaunes l>. (Bien en-
tendu, le-chimpanzé paraissait le plus intelligent
des grands singes, et le gorille, le plus primitif.)
Cette théorie dite polyphylétique (rappelant le
polygénisme) fut réfutée dans les années 1930 par
l'anthropologue français Henri Victor Vallois
l'espèce humaine descend d'une seule espèce de
grand singe, et sa diversification en races se serait
réalisée bien longtemps après sa naissance (ce qui
a été confirmé par les travaux scientifiques
contemporains).
Mongolie
céphale (allongé). Bien entendu, ses thèses tron-
vèrent un écho favorable surtout en Allemagne,
et il publia quelques articles « scientifiques » sons
le régime de Hitler, avant de mourir en 1936.
Après la Seconde Guerre mondiale et les
horreurs racistes des nazis, il n'y eut plus beau-
coup de scientifiques à oser affirmer l'existence
d'une hiérarchie des races. La notion même de
races a été mise en doute par les recherches en
génétique. Car, comme le dit S.J. Gould, s'il est
vrai que des variations biologiques existent dans
les populations humaines mondiales, il n'en
découle pas qu'il soit possible de délimiter des
ensembles de populations qu'on puisse appeler
« races ». En tout cas, les recherches modernes en
génétique et en taxinomie ne permettent sûre,
ment pas de parler de « Blancs », de « Jaunes » ou
de « Noirs ».
Néanmoins, en 1962, un anthropologue arnéri,
cain réputé, qui fut même président de la Société
américaine d'Anthropologie, Carleton S. Coon,
publia une théorie dite de l'origine polycentrique
des races humaines. Selon lui, les races blanche;
jaune et noire ne s'étaient pas formées à partir des
mêmes races de l'espèce immédiatement ances-
trale
d'Homo sapiens,
c'est-à-dire
Homo erectus
(on sait aujourd'hui, en effet, que l'espèce singé
ancestrale n'a pas donné directement l'espèce
humaine actuelle
Homo sapiens,
mais d'abord
une espèce d'australopithèque, laquelle a donne
ensuite la première espèce du genre
Homo
c'est-à-dire Homo habilis, qui, à son tour, a donné
Norvège
i970 par le généticien sud-africain J.D. Hofmeyr
et des biologistes français d'extrême droite.
Ceux-ci ont publié sous un pseudonyme, en 1977,
un livre intitulé e Race et intelligence)>, dans lequel
ils écrivaient que la sélection naturelle avait
favorisé en Afrique «
les individus les moins
actifs »,
ce qui n'avait pas pu «
jouer en faveur du
développement biologique de l'intelligence »
contorsion stylistique pour ne pas faire ouverte-
ment état de leur point de vue raciste selon lequel
les « Noirs » seraient congénitalement paresseux
et, donc, moins intelligents.
Les recherches les plus récentes en génétique,
comme celles de Luigi Luca Cavalli-Sforza
(voir
l'article de Michel de Pracontal)
ou d'A.C.
Wilson, prouvent que la théorie polycentrique de
Coon est erronée : les populations mondiales de
l'espèce humaine actuelle dérivent toutes d'une
même population originelle
d'Homo sapiens,
apparue en Afrique il y a 200 000 ans environ. Et
puis les recherches ont montré que les différences
génétiques sont trop faibles entre les populations,
la diversité génétique trop largement distribuée
entre elles, pour que certaines se soient spéciali-
sées sur le plan intellectuel et qu'elles soient plus
adaptées que d'autres à la civilisation technico-
industrielle.
MARCEL BLANC
Auteur des.« Héritiers de Darwin », Seuil, 1990.
(1) Stephen Jay Gould, « la Mal-mesure de l'homme»,
Ramsay, 1983.
23-29 JANVIER 1992/15
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