L’ECRITURE CEREMONIEUSE CHEZ LES ENFANTS: QUELQUES EXEMPLES D’INTEGRATION GRAMMATICALE FEDERIC SABIO Université de Provence – Equipe DELIC Abstract: Formal register in children’s texts: some instances of grammatical cohesion. Beyond a traditional sociolinguistic perspective, which generally opposes formal to informal variants of language in terms of pure alternatives of register, this study considers some texts of French elementary school children, written in a markedly formal tone, on a grammatical point of view. The analysis of the syntactic resources used by these young children when they wish to imitate the adult literary style, reveals interesting procedures of grammatical cohesion which it would be worth teaching in a more overt and explicit way, in order to show their communicative efficacy. Keywords: Formal written register – Children’s texts – Grammatical cohesion. L’OPPOSITION ENTRE LANGUE QUOTIDIENNE ET LANGUE CEREMONIEUSE Les études descriptives consacrées aux productions linguistiques enfantines montrent que les jeunes locuteurs développent précocement une conscience sociolinguistique qui favorise, lorsque la situation langagière s’y prête, l’emploi de tournures réputées cérémonieuses. Cela a notamment été illustré à travers diverses situations de jeux de rôles, dans lesquels il était proposé aux enfants de se mettre dans la peau d’un personnage amené à prendre la parole dans une situation formelle. Les corpus oraux établis à l’Université de Provence confirment pour le français le recours aux formes de langue prestigieuses, comme dans ce passage qui met en scène des enfants d’une dizaine d’années en train de parodier un journal télévisé: Revenons à l’actualité: les tremblements de terre en Turquie ont eu lieu en août septembre. Il y a eu des m- des m- plus de vingt mille morts et des milliers de blessés, des familles détruites et beaucoup de dégâts. Comment vont-ils passer Noël? On relève ici plusieurs caractéristiques typiques de la “langue du dimanche”, telles que l’emploi d’un sujet lexical (“les tremblements de terre en Turquie”), le recours à une forme prestigieuse d’interrogation (“vont-ils”), . SLOSBERT ANDERSEN (), BLANCHE-BENVENISTE (à paraître). . BLANCHE-BENVENISTE, ROUGET et SABIO eds. (). . BLANCHE-BENVENISTE (). . Dans les conversations quotidiennes que nous avons recueillies, les sujets purement lexicaux sont assez peu fréquents: on trouve en revanche beaucoup de tournures en “il y a” (par exemple: “il y a eu des tremblements de terre”); ainsi que des réalisations dans lesquelles l’élé- Federic Sabio et le choix du verbe “avoir lieu”, rarement utilisé dans la langue parlée quotidienne. Comme dans toutes les sociétés lettrées, c’est, en français, l’usage écrit de la langue qui illustre le plus régulièrement la capacité des jeunes scripteurs à sélectionner les tours les plus cérémonieux. Cela est notamment le cas dans les textes narratifs auxquels les enfants ont à coeonner un caractère nettement littéraire. Les exemples de tournures grammaticales raffinées auxquels on pense le plus généralement sont ceux qui se laissent ramener à une opposition duelle entre la forme jugée familière ou fautive et la forme cérémonieuse qui peut lui être substituée en situation de langue surveillée; ces oppositions peuvent se manifester par la présence ou l’absence d’un trait linguistique donné: par exemple, dans un énoncé négatif, l’absence de “ne” sera ressentie comme familière, sa présence comme prestigieuse; dans une construction comme “les enfants ils arrivent”, la présence du pronom sera perçue comme lourde et “redondante”, son absence comme élégante. Dans la plupart des cas, l’opposition entre forme cérémonieuse et non cérémonieuse est liée au choix de la “bonne” tournure, lorsque deux sont disponibles: c’est ainsi qu’en situation formelle, “nous”, “lorsque” ou “car” feront meilleure figure que “on”, “quand” ou “parce que”; de même, dans de nombreux énoncés interrogatifs, la postposition du pronom sujet (“vont-ils venir?”) est préférée à son antéposition (“ils vont venir?”); dans les récits littéraires, l’usage du passé simple a un effet incomparablement plus raffiné que celui du passé composé... Les récits écrits par des élèves de l’école primaire (entre et ans) illustrent la capacité des enfants à délaisser les tours jugés trop familiers au profit de tournures plus prestigieuses; en voici quelques exemples: . La présence du “ne” antéverbal, dans les tournures négatives: il ne ressorti jammais plus jammais de son terrier. ( ans) il naime pas les reine con lui a aporté apar la seule prinsesse con lui amène. mé sé sa fille. et elle ne ve pas se marié avec luis. ( ans) [il n’aime pas les reines qu’on lui a apportées à part la seule princesse qu’on lui amène. mais c’est sa fille. et elle ne veut pas se marier avec lui.] . La postposition du sujet, dans les interrogations: En quoi vas tu te déguiser ? (CE) Je vais chez ma mère-grand ve tu m’acconpagné. ( ans) ment lexical est suivi d’un pronom à valeur de sujet (“les tremblements de terre, ils ont eu lieu”). . Sauf mention contraire, les énoncés seront donnés avec leur graphie d’origine. Les exemples les plus difficiles à lire seront suivis de la version orthographiée. L’Ecriture ceremonieuse chez les enfants Mais quoman se fait til, que tu soa genti ( ans) [Mais comment se fait-il que tu sois gentil] pourquoi est tu sortie de la maison sans nous avertir ( ans) dans l’introduction de paroles rapportées: “En quoi vas tu te déguiser pour le carnaval de l’école ?” dit Pierre “Je ne sais pas trop- répond Marc. ( ans). Je vais la tuér dis le prince non dis la princesse ( ans) après certains adverbes ou compléments de lieu et de temps: Le lendemain a eu lieu une manifestation! ( ans) Savais-tu ma fille que sur la colline se trouvait un château abandonné ( ans. Orthographe corrigée) Peut être l’as-tu oublier en classe ( ans) à paine avait-il touché le volcan qu’il était bleu ( ans) . L’usage de “nous” comme forme de sujet: Nous aimerion que vous nous prêtez un peut d’argens F pour allés voir nos correspondants. Ensuite nous vous les rendront. Nous adendon inpassiamen votre réponses. A très bientôt chère Madame. ( ans) . L’emploi du passé simple, dans les textes narratifs: Il y avait t’un mesieur qui construisé des voiture. Un jour il désida de construir un robo qu’il l’appela Croque note parse qu’il mangé de tout le landemain il lanmena à l’école. En classe il chanté des note la maîtresse n’aité pas contente, alor elle le méta à l’apporte mes il n’arrété jamais de chanté alor les sotre se mir à chanté [...]. ( ans) [il y avait un monsieur qui construisait des voitures. Un jour il décida de construire un robot qu’il appela Croque Notes parce qu’il mangeait de tout le lendemain il l’amena à l’école. En classe il chantait des notes la maîtresse n’était pas contente, alors elle le mit à la porte mais il n’arrêtait jamais de chanter alors les autres se mirent à chanter] . L’usage de sujets lexicaux: cete petite fille voulé bien mai ses parents lui disait pas question ( ans) . L’usage du pronom “y” comme complément de lieu, avec certains verbes: Un jour, ses parents, sa soeur et elle allerent dans la forêt voisine pour y ramaser des champignons ( ans) . PAZERY (). . SABIO, sous presse. Federic Sabio Camille va touts les matins dans la forêt pour y ceuillir des fleurs, des fruits, etc... ( ans) En marchant il trouva une maison, elle était abandonnée, et curieux il décida d’y entrer pour voir ce qu’il y avait dedans. ( ans) . L’emploi de “car”: Il voulait lit allé car sa mère la chate était prisonière ( ans) je t’atendait car je savais que tu allait t’arrêter chez moi, et tu as bien fait car si tu avait continuée dix mètres de plus, la foudre se serait abatue sur toi car j’avais oublier de te donner la formule magique. ( ans) Cette pratique de la conversion, qui repose sur l’alternance entre deux formes jugées concurrentes au plan sociolinguistique, a de tout temps été encouragée par les grammairiens sous la forme d’injonctions du type “dites..., mais ne dites pas...”. Nos propres observations confirment d’ailleurs que les jeunes enseignants en cours de formation universitaire s’en tiennent bien souvent à cette conception étroitement “oppositive” de la correction grammaticale: comme si le fait de bien écrire revenait essentiellement à remplacer toutes les formes fautives ou familières d’un texte par les formes normatives ou cérémonieuses correspondantes. Pourtant, il existe bien d’autres ressources grammaticales qui contribuent à donner aux productions linguistiques un caractère de formalité. Certaines d’entre elles reposent sur des procédés syntaxiques plus complexes que ceux que nous avons illustrés ci-dessus, et paraissent de ce fait plus difficiles à repérer par les jeunes enseignants. Nous voudrions en donner trois illustrations dont le caractère littéraire est pour nous saisissant. Seront évoqués successivement: Le phénomène de mise en facteur commun du sujet grammatical; Un type spécifique de constructions à sémantisme temporel introduites par “quand” ou par “lorsque”; Les participes et adjectifs détachés en début d’énoncés. Les sujets placés en “facteur commun” Parmi les langues romanes, le français a la particularité d’exiger la réalisation du sujet du verbe. Il existe cependant un cas bien connu qui autorise la non réalisation du sujet: lorsque plusieurs constructions syntaxiques se succèdent et qu’elles partagent un même “sujet sémantique”, il est possible de n’exprimer le sujet que dans la première des constructions. Par exemple, l’énoncé .a- Marie entra et elle s’approcha de Paul pourrait être donné sous la forme: .b- Marie entra et s’approcha de Paul. Plusieurs analyses ont été proposées pour rendre compte de ce phénomène: L’Ecriture ceremonieuse chez les enfants l’une des plus courantes revient à dire que dans la seconde construction, le sujet aurait subi une élision, ce qu’illustre, dans la présentation suivante, le recours à un élément “zéro” noté par “Ø”: [Marie entra] et [Ø s’approcha de Paul] Nous éviterons quant à nous d’invoquer l’effacement du sujet, et préférerons considérer que dans l’énoncé b, le sujet “Marie” est commun aux verbes “entrer” et “s’approcher”. Cet effet de “mise en facteur commun” apparaît clairement si l’on adopte une présentation sur deux axes, qui distingue la progression syntagmatique des énoncés (représentation horizontale) et les effets de listage paradigmatique (représentation verticale): Maria entra et s’approcha de Paul La mise en facteur commun du sujet produit un effet fortement cérémonieux: c’est là un procédé que l’on ne rencontre quasiment jamais dans les corpus de français parlé conversationnel, mais dont les jeunes scripteurs usent très fréquemment pour décrire une série d’actions successives à l’intérieur d’un récit. Il est essentiel de relever que, contrairement à d’autres tournures de prestige, la mise en facteur commun du sujet ne semble faire l’objet d’aucun enseignement explicite de la part des maîtres: la plupart de ceux que nous avons consultés ont avoué n’avoir prêté aucune attention particulière à cette tournure avant que nous leur ayons signalé sa présence; par contre, une fois informés, tous ont été très étonnés par l’engouement qu’elle suscitait auprès de leurs élèves ! Voici quelques exemples: Un jour, il tomba à l’eau et se noya ( ans) Les abeilles sortes des ruches et vons dans les préts ( ans) [Les abeilles sortent des ruches et vont dans les prés] Mme March revint à elle, relut le message et annonça à ses filles (...) ( ans) Certains élèves recourent à ce procédé de façon récurrente, comme cet enfant de huit ans qui en fait ici un usage systématique: Le lapin sortie fair une promenade est partie très loin et vu un chasseur. Le petit lapin couru dans son terrier, et reveil les parants et dit “papa maman j’ai vu un chasseur dans la foret qui parté et le policier arriva et vu le chasseur qui parté et dit au chasseur” vous avez pas le droit de chasser dans la forêt. Dans ce court extrait, chaque sujet nominal (“le lapin”, “le petit lapin” et “le policier”) est lié à trois verbes différents, ce qui donne un total de trois sujets exprimés pour neuf verbes constructeurs. En adoptant la disposition en grilles syntaxiques présentée plus haut, (et en corrigeant la graphie et la morphologie des verbes pour plus de lisibilité), on obtient la représentation suivante: Le lapin sortit faire une promenade Federic Sabio partit très loin vit un chasseur. Le petit lapin courut dans son terrier, réveille les parents dit “papa maman j’ai vu un chasseur dans la foret qui partait le policier arriva vit le chasseur qui partait dit au chasseur “vous avez pas le droit de chasser dans la forêt. Bien entendu, pour que la mise en facteur commun soit correctement interprétable, il faut que les agents sémantiques des verbes successifs soient identiques: or, les erreurs en ce domaine ne sont pas rares; c’est le cas dans la séquence soulignée suivante, qui laisse entendre que c’est le fermier qui rentre dans son nid: Le fermier recueille le caneton blessé et le soigna près de la cheminée. Et quand il est soigné, il le relâcha et rentra dans son nid, heureux de retrouver sa famille ( ans – orthographe corrigée) Dans l’énoncé suivant, on pourrait penser que c’est la petite fille Camille (et non le lapin) qui “se transforma en être humain”: Camille fixa le doigt sur le lapin et se transforma en être humain. ( ans) Ces deux derniers exemples posent un problème assez similaire d’inclusion sémantique: dans Ils rentrère dedent sa niche et lui aprena a aboyer ( ans) on passe d’un agent pluriel (“il rentrère”) à un agent qu’on ne peut interpréter que comme un singulier. Dans l’énoncé suivant, c’est le contraire: on passe d’un sujet singulier dans la première construction à un agent marqué par le pluriel dans la seconde (vécure). De longues années passèrent et il se maria avec une jeune lapine très belle et vécure avec plein de petit lapinou. ( ans) Ces erreurs illustrent la nécessité de distinguer entre deux niveaux différents de maîtrise langagière: d’une part, les jeunes élèves manifestent une réelle connaissance de la valeur linguistique de ce tour et ont parfaitement assimilé les bénéfices stylistiques qu’ils peuvent en tirer. En revanche, sa mise en discours peut faire difficulté. Il nous semble intéressant de citer à ce sujet cette réflexion de C. Blanche-Benveniste (article à paraître): “Pour juger du langage de prestige choisi par ces enfants, il faut séparer le projet linguistique qu’ils ont formé et la réalisation qu’ils ont pu en donner. Le projet a, la plupart du temps, une valeur linguistique très bien adaptée (...). Ils en apprécient fort bien la valeur. Mais la réalisation morphologique qu’ils en donnent est affaire d’expérience. Pour en avoir une réelle expé- L’Ecriture ceremonieuse chez les enfants rience, il faudrait avoir manipulé souvent ces formes et avoir eu l’occasion d’en peser les bonnes et les moins bonnes réalisations. Or ce sont des formes qu’ils utilisent très rarement dans leur langage ordinaire, de sorte qu’ils en ont peu d’expérience dans leur langue parlée”. i Quelques séquences temporelles remarquables La forme “quand” connaît plusieurs fonctionnements grammaticaux bien distincts: dans son usage le plus fréquemment décrit par les grammairiens, elle introduit ce que la nomenclature scolaire désigne par “complément de temps”. Par exemple, dans Quand les enfants sont sortis ils ont vu le monstre derrière les feuilles. ( ans. L’orthographe a été corrigée) il ne fait aucun doute que la séquence soulignée constitue un authentique complément, c’est-à-dire qu’elle est sous la dépendance syntaxique du verbe constructeur; on le vérifie notamment par la possibilité de la mettre en relation avec un pronom interrogatif: Quand les enfants ont-ils vu le monstre derrière les feuilles ? – Quand ils sont sortis. On le vérifie ensuite par la possibilité de réaliser une extraction sur le syntagme temporel, c’est-à-dire de l’isoler à l’intérieur d’une séquence en “c’est... que”, afin de lui donner une valeur rhématisante: C’est quand les enfants sont sortis qu’il ont vu le monstre derrière les feuilles De même, on admet généralement que les compléments de temps (comme l’ensemble des compléments dits “circonstanciels”) peuvent être assez librement disposés soit en début, soit en fin d’énoncé; c’est bien le cas de notre exemple, dans lequel on peut facilement déplacer la séquence introduite par “quand”: les enfants ont vu le monstre derrière les feuille quand ils sont sortis Enfin, une dernière propriété que partagent l’ensemble des compléments régis par un verbe est de pouvoir développer un contraste de modalité: ils ont vu le monstre quand ils sont sortis, et non pas quand ils sont entrés L’ensemble de ces propriétés atteste que la séquence introduite par “quand” est bien sous la dépendance grammaticale du verbe constructeur; on dira qu’elle appartient à la construction verbale régie par le verbe “voir”: Federic Sabio [les enfants ont vu le monstre derrière les feuille quand ils sont sortis] construction A côté de ce fonctionnement banal, les textes écrits par les jeunes enfants présentent des séquences introduites par “quand” ou par “lorsque” que l’on ne peut absolument pas analyser comme des compléments et qui relèvent d’un registre littéraire. Si l’on observe l’énoncé: Un bouledogue faisait sa niche, lorsqu’il entendit un bruit énorme ( ans) on constate que la réduction à un pronom interrogatif, l’extraction, le déplacement en début d’énoncé ou encore l’expression d’un contraste de modalité sont ici peu recevables: ?Quand un bouledogue faisait-il sa niche ? – Lorsqu’il entendit un bruit énorme. ?C’est lorsqu’il entendit un bruit énorme qu’un bouledogue faisait sa niche. ?Lorsqu’il entendit un bruit énorme, un bouledogue faisait sa niche. ?Un bouledogue faisait sa niche lorsque il entendit un bruit énorme et non pas lorsque le silence se fit autour de lui. Les séquences temporelles de ce type n’ont pas le statut de complément: les tests syntaxiques pratiqués plus haut indiquent qu’elles ne sont pas sous la dépendance du verbe qui les précède, si bien qu’on pourrait qualifier de “parataxique” la relation établie entre les deux blocs verbaux, entre lesquels l’élément “quand” ou “lorsque” possède la valeur d’un genre de connecteur temporel: Un bouledogue faisait sa niche construction lorsqu’il entendit un bruit énorme construction Ce type de tournure est le plus souvent utilisé pour exprimer la concomitance de deux actions, la première étant saisie dans le cours de son déroulement et donnant une sorte de “cadre temporel” (“un bouledogue faisait une niche”), la seconde survenant de manière soudaine à l’intérieur de ce cadre temporel (“il entendit un bruit énorme”). Le procédé est fréquent chez les écrivains, par exemple: Son coeur semblait calmé, je le voyais sans armes, quand soudain, attachant ses deux mains sur ses yeux: “Prévenons, a-t-il dit, l’injustice des Dieux”. (P. Corneille, ) Ce combat simulé durait déjà depuis dix minutes, quand soudain les combattants s’arrêtèrent. (J. Verne, ) Je courais presque, quand soudain, loin devant moi, je l’aperçus. (A. Gide, ) Les enfants adoptent volontiers ce tour: . Dans ces constructions, “quand” ou “lorsque” pourrait d’ailleurs commuter avec “et”, “et soudain”, “et alors”... ce qui ne serait pas possible pour les authentiques compléments temporels. L’Ecriture ceremonieuse chez les enfants Marie parti en chantant quand soudain elle vue une petite fille assise sur un tronc d’arbre ( ans) Deux jours passèrent quand une petite camionnette qui passait par là pour prendre des sapins de Noël et les vendres vit notre petit sapin de Noël (école primaire. âge inconnu) Mais celui-ci est très malin, il avait un couteau dans sa botte gauche quand soudain Foufouille intervient en lui donnant un coup de baton sur la tête. ( ans) L’énoncé suivant, écrit par une enfant de ans, présente successivement les deux usages de “quand”: d’abord comme complément du verbe “décider”, puis dans son usage parataxique: Quand elle prit la route, elle décida quand même de s’arrêter chez le magicien qui lui avait donné son pouvoir magique, quand elle sonna à la porte ( ans). Il est fréquent que la séquence en “quand” ou en “lorsque” initie une nouvelle phrase graphique, comme dans: Tous les deux partirent dabord regarder à côté des maisons, ensuite dans la forêt. Quand à ce moment ils entendirent du bruit!!! C’était Cornin Bruchon qui courait après une jeune fille. ( ans). J’était dans une famille tout-à fait normale, j’avais un père, une mère, un frère et une soeur. Quand une nuit par un ciel très étoilé, j’entendais quelqu’un, très tard dans la nuit, qui frappait à la porte ( ans) tous se passait bien. Quand crac. CRAAAAAC! Mon panier se troua. ( ans) Un jour Camille se promenait en ville avec sa maman. Lorsqu’elle appercut une vieille dame qui venait de ce faire voler son sac à main. ( ans) Dans l’exemple suivant, “quand soudain” est totalement isolé au sein d’une phrase graphique autonome: tout le monde est très content. quand soudain. Mais ou est mon pistolet. ( ans) De tels détachements graphiques n’ont bien sûr rien de fantaisiste mais illustrent de manière éclairante le statut grammatical particulier de ces structures: étant disjointes du bloc verbal qui les précède en termes syntaxiques, il n’est guère étonnant que les séquences temporelles que nous examinons puissent être traitées comme de petits “isolats” au plan graphique. D’ailleurs, ce type de segmentation n’a rien de typiquement enfantin, comme le montrent ces énoncés produits par des écrivains: La conversation était fort animée et fort gaie, on parlait de tout et très-bien, vous au. Et on relève en outre que la deuxième partie de l’énoncé est formée d’un passage au discours direct, ce qui est une autre spécificité de ce type de structure. Le procédé apparaît aussi chez les écrivains: “Nous fendions la foule des internes quand soudain: “Schreiber, tu veux venir ?” (B. SCHREIBER, ); “J’étais assis dans le bus (...) Quand soudain, “...Mais ce jeune homme va certainement se faire un plaisir de vous céder sa place” (BAYON, ). Voir aussi l’énoncé de Montherlant donné dans le corps du texte. Federic Sabio riez dit une partie de plaisir; quand soudain, dans l’escalier, nous entendîmes des pas sourds. (J. Janin, ) Ils s’endormirent aussi. Quand soudain le sergent les éveilla. (R. Benjamin, ) Un étudiant est penché sur sa table couverte de cahiers, de livres, il prépare son examen... quand soudain derrière son dos un rideau de velours sombre s’entrouvre. (N. Sarraute, ) Même le fait d’isoler l’élément “quand soudain” à la fois de ce qui précède et de ce qui suit, dont nous avons donné plus haut un exemple enfantin, est attesté chez un écrivain comme Montherlant: Ils étaient donc chez lui, ce soir-là, dans cette chambre qu’il appelait “le tombeau de la femme inconnue”. Quand soudain... Qui donc sonne ici si tard, compagnons de la Marjolaine? () Comme on l’a évoqué plus haut au sujet de la mise en facteur commun du sujet, les enfants ont beau maîtriser la valeur et les effets littéraires liés à cette tournure temporelle, la réalisation qu’ils en donnent s’écarte parfois de l’usage normé: c’est ainsi que l’emploi du passé simple en première partie d’énoncé peut sembler maladroit: Marie parti en chantant quand soudain elle vue une petite fille assise sur un tronc d’arbre ( ans) elle décida quand même de s’arrêter chez le magicien qui lui avait donné son pouvoir magique, quand elle sonna à la porte. ( ans) Inversement, l’usage de l’imparfait dans la seconde partie de l’énoncé convient souvent assez mal: J’était dans une famille tout-à fait normale, j’avais un père, une mère, un frère et une soeur. Quand une nuit par un ciel très étoilé, j’entendais quelqu’un, très tard dans la nuit, qui frappait à la porte ( ans) Les adjectifs et participes détachés Les adjectifs et les participes passés détachés en début ou en fin de phrase sont extrêmement rares dans les conversations courantes: il est probable que personne ne dirait spontanément “fatigué de ma journée, je me suis couché tôt”, mais plutôt “comme j’étais fatigué de ma journée, je me suis couché tôt” ou encore “j’étais fatigué de ma journée, alors je me suis couché tôt”. Or, les textes d’enfants présentent régulièrement de tels phénomènes de détachements, tout particulièrement en début de construction, qui sont une caractéristique nettement cérémonieuse des récits écrits; voici quelques exemples dans lesquels un syntagme dont le verbe est au participe passé se trouve placé en début de construction: Arrivée je prends une paire de jumelles, mon appareil photo, et ma trousse de médecine. ( ans) L’Ecriture ceremonieuse chez les enfants arrivé en camargue on est allé à une réserve de chevaux (...) arrivé à un endroit on a vu un vol de flamanrose ( ans) Arriver dans la rue je sentis des picotements aux pieds ( ans) Rentré chez elle, ses parents voulèrent bien le garder ( ans) en un clei d’oei elle se transforma en canard pui en écurei! Et redevenu comme avant une petite voi lui dit (...). ( ans). [en un clin d’oeil elle se transforma en canard puis en écureuil! Et redevenue comme avant une petite voix lui dit] Les participes présents non précédés de “en” sont également très cérémonieux, comme dans: Se souvenant de la guirlande, il la brancha sur une prise élèctrique. ( ans) Les adjectifs peuvent connaître le même type de disposition: Alors, honteu, devant deux mémés qui avaient suivies la scène, je rentra. ( ans) En marchant il trouva une maison, elle était abandonnée, et curieux il décida d’y entrer pour voir ce qu’il y avait dedans. ( ans) Pendant le vol, Jean-Marc vit une planète qui ressemblait à la terre. Super content, il dit à Mariane d’appuyer sur le bouton vert, pour faire atterrir la fusée. ( ans) Ettoné Camille s’avança vers la lueur. ( ans) Cette courte étude avait pour unique objet de montrer que, dans leurs écrits cérémonieux, les jeunes scripteurs ont à coeur de produire des énoncés élaborés, qui font appel à une structuration syntaxique plus sophistiquée que ne le laisserait prévoir la conception oppositive classique où les formes linguistiques se trouvent distinguées deux par deux, l’une constituant en quelque sorte le versant raffiné de l’autre. Les trois illustrations proposées montrent une volonté très nette d’intégration syntaxique: ainsi, disposer un sujet en facteur commun revient-il à rompre l’ordre linéaire le plus banal afin d’intégrer au sein d’une seule unité phrastique une petite série de procès verbaux différents. L’usage des structures en “quand soudain” permet d’exprimer une relation chronologique originale entre deux séquences successives, la première servant de cadre temporel à la seconde. Enfin, l’emploi de participes ou d’adjectifs détachés permet de présenter sous un format particulièrement économique plusieurs unités d’informations qui, sous une forme moins intégrée, se trouveraient délayées en une série de plusieurs constructions verbales. Les données que nous avons recueillies montrent que de nombreux élèves de l’école primaire développent assez naturellement un goût prononcé pour ces tournures, dont ils perçoivent bien le caractère prestigieux. En revanche, l’usage effectif de ces structures dans les productions écrites peut donner lieu à des maladresses, liées par exemple à l’emploi des temps verbaux ou à l’expression de la co-référence. Il paraît donc essentiel que les enseignants prennent soigneusement en considération tous ces faits langagiers qui contribuent à l’intégration syntaxique, afin de pouvoir encourager les enfants à en tirer le meilleur parti. Federic Sabio BIBLIOGRAPHIE BLANCHE-BENVENISTE, C. (). “La escritura del lenguaje dominguero”, in E. FERREIRO et M. GÓMEZ PALACIO (eds.). Nuevas perspectivas sobre los procesos de lectura y escritura, México: Siglo XXI Editores, pp. -. BLANCHE-BENVENISTE, C. (à paraître). “L’oral des adultes parodié par les enfants”. BLANCHE-BENVENISTE, C., ROUGET, C. et SABIO, F. (). Choix de textes de français parlé: extraits, Paris: Champion. PAZERY, N. (). “Les enfants de l’école primaire et le passé simple”, Recherches sur le français parlé, , pp. -. SABIO, F. (sous presse). “Les compléments de lieu réalisés par y: description des usages”, Recherches sur le français parlé, . SLOSBERT ANDERSEN, E. (). Speaking with style. 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