rend d'ailleurs désuets la plupart des arguments contre la responsabilité sociale avancés par
Friedman et Lévitt vingt ans plus tôt.
Si l'on peut dire, à l'instar de certains, que la responsabilité sociale corporative et l'éthique des affaires
sont devenues la sagesse conventionnelle des milieux d'affaires (Stark. 1993, p. 39), on peut se
demander si la réponse qu'elles prétendent apporter au questionnement éthique et social de
l'entreprise est en réellement une.
En fait, il appert que les prétentions du concept de responsabilité sociale corporative reposent sur une
compréhension incomplète, restrictive et même erronée de la réalité de l'entreprise. D'une part,
celle-ci n'a pas la latitude d'encourager en son sein des comportements éthiques et des actions en
faveur du bien commun puisque son existence et sa performance reposent sur la mise en œuvre
d'une éthique particulière dédiée à des objectifs organisationnels précis et contraignants (Brenkert,
1995; Jones, 1996). D'autre part, la finalité organisationnelle ne découle pas de la volonté des
dirigeants, ni d'ailleurs de celle des actionnaires, mais est inscrite au cœur même du système
économique capitaliste. Si bien que la mission d'accumulation du capital de l'entreprise et les
tactiques auxquelles elle donne lieu dans l'arène économique ne sauraient céder le pas à des
comportements moraux et socialement bienveillants sans renoncer du même coup au système
capitaliste dans son ensemble et à la bienveillante main d'Adam Smith. À l'opposé, les ratés du
système économique actuel en termes d'environnement ou de répartition de la richesse illustrent
assez clairement que contrairement à ce que postule l'approche utilitaire, le bien de l'entreprise
ne coïncide pas toujours avec le bien commun, et qu'il va même jusqu'à s'y opposer dans maintes
circonstances.
Compte tenu de cette compréhension limitée de la réalité de l'entreprise et de la portée du
questionnement dont elle fait l'objet, il n'est pas surprenant que sur le plan empirique, les thèses
de la responsabilité sociale ne semblent pas avoir réussi à solutionner les nombreux problèmes
sociaux auxquels elles prétendaient remédier. Leur peu d'emprise sur le milieu réel s'explique assez
bien par leur forte orientation normative. Face à la rationalité économique stricte et à la finalité
lucrative inchangée de l'entreprise, les thèses de la responsabilité sociale semblent appartenir
davantage à l'ordre du discours qu'à un véritable programme de réforme. Cette idée est d'autant plus
convaincante lorsque l'on sait que l'un des principaux objectifs des tenants de la responsabilité
sociale corporative est de lui éviter le plus possible la réglementation en mettant de l'avant l'idée
d'une autoréglementation.