Nouveaux projets de recherche 3
auto-immune de l’apoL1 mutée contre les
cellules des reins. Publié dans la revue Science
en 2010, ce travail établit pour la première fois
une cause génétique à l’insuffisance rénale
et reste l’un des articles les plus cités dans le
domaine de la néphrologie "et l'un des plus
populaires de ma carrière", précise Etienne Pays.
Aujourd’hui, pour son projet ERC, le chercheur
souhaite faire la synthèse de toutes ces
recherches, en mettant au défi les capacités
d’adaptation de "son parasite favori" (comme
il le désigne lui-même). L’hypothèse est
ingénieuse : si le trypanosome a réussi, au fil de
l’évolution et jusqu’à aujourd’hui, à contourner
les défenses immunitaires naturelles de
l’homme, il y a de fortes chances qu’il y arrive
de nouveau. "Le trypanosome est un organisme
primitif qui s’adapte extrêmement vite à son
environnement", explique Etienne Pays, "Nous
allons donc soumettre les parasites résistants à
des doses contrôlées et de plus en plus grandes
d’apoL1 mutée. En réaction à cette pression
évolutive dirigée, nous espérons que certains
d’entre eux parviendront à synthétiser un nouvel
antidote contre cette protéine".
IMPLICATION DE L’ARN POLYMÉRASE I
La capacité d’adaptation et d’évolution du trypanosome tient notamment au fait que
certains gènes dont la fonction est de varier pour s’adapter, tels que ceux codant pour
les antigènes de surface ou les protéines de résistance comme SRA, se trouvent aux
extrémités des chromosomes, des zones propices aux mutations. Curieusement, la
synthèse d’ARN messager à partir de ces gènes est effectuée par l’ARN polymérase I,
normalement dévolue à la production d’ARN ribosomique : ceci est une exception
unique dans la nature, car c’est toujours l’ARN polymérase II qui remplit ce rôle.
Dans une publication récente dans le journal Molecular Microbiology, l’équipe du
laboratoire de Parasitologie moléculaire explique l’importance de cette polymérase
dans le processus d’adaptation du trypanosome. Alors que les parasites s’adaptent
normalement en une quinzaine de jours, le processus ne fonctionne plus lorsqu’on
remplace l’ARN polymérase I par l’ARN polymérase II pour la transcription des gènes
adaptatifs. La polymérase I est donc bien un facteur indispensable à l’adaptation
rapide du trypanosome à son environnement.
Les chercheurs expliquent cela par le fait que cette enzyme est destinée à synthétiser
rapidement de très grandes quantités d’ARN, et qu’elle possède donc une efficacité
beaucoup plus élevée que l’ARN polymérase II. Cette activité intense entraîne un
déroulement important de l’ADN situé à l’extrémité des chromosomes, ce qui rend les
gènes dans cette région plus accessibles aux enzymes déclenchant les recombinaisons
et favorise donc l’inventivité adaptative.
N.J.
RETRAITÉ ACTIF
Si le chercheur parvient à ses fins, la nouvelle
molécule qui émergera de l’expérience pourrait
ouvrir la voie à de nouveaux traitements contre
l’insuffisance rénale : "Actuellement, la protéine
SRA neutralise l’apoL1 par contact direct",
explique Etienne Pays, "Nous pouvons donc
imaginer que le nouvel antidote fera de même
contre l’apoL1 mutée, ce qui empêcherait la
réaction auto-immune contre les cellules rénales
et donc la maladie". L’idée est novatrice, le
projet ambitieux et le sexagénaire optimiste :
"J’ai confiance en la capacité du trypanosome à
produire quelque chose de neuf pour continuer
à survivre. Les premiers résultats du laboratoire
soutiennent cette hypothèse… Mais cela
implique que je vais rester encore quelques
années au laboratoire", ajoute-t-il en souriant.
Natacha Jordens