Partie V - La qualité de vie des malades
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Ces travaux ont donc un objectif pragmatique: rendre les interventions médicales plus
pertinentes. Ils s’inscrivent d’ailleurs dans une démarche d’ensemble, visant à accroître la
proportion des décisions médicales qui reposent sur des informations scientifiquement
vérifiées (
evidence based medicine
) [Fagot-Largeault, 1991].
De la mesure de l’état de santé à celle de la qualité de vie
Historiquement, la recherche scientifique sur les indicateurs de mesure de la santé perçue
est liée à celle d’indicateurs de résultats dans le secteur de la santé. Depuis le début des
années 1990, les études utilisant des questionnaires remplis par les patients eux-mêmes
ou leurs mandataires ont connu un développement spectaculaire [Bowling, 1991; Wilkin
et al.
, 1992]. Ces questionnaires peuvent porter sur des aspects purement physiologiques,
mais aussi sur la capacité à retourner au travail ou sur des questions complexes relatives
aux activités sociales et aux problèmes psychologiques [Bruchon-Schweitzer, 2002].
Pour quantifier la santé des sujets, un certain nombre d’instruments valides et fiables ont
été initialement développés aux États-Unis ou au Royaume-Uni pour mesurer, par exem-
ple, la souffrance perçue, l’impact de la maladie [Bergner
et al.
, 1976], le fonctionnement
physique et la satisfaction vis-à-vis de l’existence [Stewart et Ware, 1992]. D’autres outils
destinés à mesurer l’état de santé étaient élaborés à partir de questions portant sur des
symptômes physiques et psychologiques [Elinson et Siegmann, 1976]. Tous ces instru-
ments n’étaient cependant pas construits de la même manière; ils présentaient des points
de vue divers et leurs résultats étaient plus ou moins fiables.
En cancérologie, une échelle destinée à quantifier les performances des patients souffrant
de cancer a été mise au point en 1948 [Karnofsky
et al.
, 1948]. Depuis lors, l’intérêt pour
l’évaluation systématique de la santé de patients à partir de questionnaires auto-adminis-
trés ne s’est pas démenti en cancérologie [Rodary
et al.
, 1998].
Au début des années 1990, est apparue la volonté de mesurer la qualité de vie. Il n’exis-
tait pas d’outils directement disponibles car, jusqu’alors, les recherches n’avaient porté
que sur la mesure subjective de l’état de santé.
Le terme de «qualité de vie liée à la santé» fut alors proposé pour justifier l’utilisation des
mesures disponibles dont on changerait seulement le nom [Patrick et Erickson, 1993]. Le
raisonnement était le suivant: puisque ces questionnaires sont centrés sur les aspects de
l’existence qui sont affectés par une mauvaise santé, ils doivent aussi nous donner des
indications sur l’impact de la maladie sur la qualité de la vie. Cette argumentation impli-
que que l’on puisse analyser distinctement les composantes «liées à la santé» de la qua-
lité de la vie et ses composantes «non liées à la santé».
Cette hypothèse a été critiquée car elle ne tient pas compte de ce qui relève à la fois de
l’état de santé et d’autres aspects de l’existence, tels que les variations de l’image de soi,
des habitudes de vie, des relations et stratégies personnelles, des responsabilités, du sta-
tut professionnel et des revenus. Ces interconnexions rendent peu vraisemblable le projet
de mesurer spécifiquement la qualité de vie liée à la santé [Leplège et Hunt, 1997].
Pour échapper à ces critiques, le terme encore plus vague de
Patient Reported Outcome
(PRO) a été récemment proposé pour qualifier ces mêmes instruments utilisés par des
consultants de l’industrie pharmaceutique [Acquadro
et al.
, 2003]. Cette terminologie ris-
que d’accroître la confusion car elle ne distingue plus dans les réponses des questionnai-
res le point de vue des sujets et celui des experts ou des professionnels.