Migros Magazine entretien Luc Mary
le parti des Hannonides,défavorable à
un conflit ouvert. Cet antagonisme aura,
à mon sens,une grande importance dans
l’échec d’Hannibal en Italie.
Quant à leur structure militaire, tout les op-
pose: armée de circonscription longue et gé-
néraux à la gloire éternelle côté romain, mer-
cenariat et méfiance envers les hauts mili-
taires côté carthaginois…
Absolument. D’une certaine façon, les
chefs d’armée puniques ont le choix
entre la mort – tout faux pas militaire
étant passible de la peine capitale – et
l’exil; puisque le Sénat de Carthage, ap-
pelé le Conseil des 104, se méfie des gé-
néraux trop puissants. Quant aux soldats
puniques,ce sont des mercenaires issus
d’une mosaïque de peuples du pourtour
de la Méditerranée, des Gaulois aux
Africains en passant par les Libyens et
les célèbres cavaliers numides.Alors
qu’à Rome les citoyens devaient jusqu’à
vingt-cinq ans de leur vie au service mi-
litaire.
Et puis, en -264,Rome prend prétexte de l’ap-
pel de ses alliés marmetins bloqués parles
Carthaginois en Sicile pour entrer en guerre
contre sa grande rivale…
Officiellement pour venir en aide à ses
«frères de race», selon les propos tenus
au Sénat romain. Cependant il s’agit
aussi et surtout de conjurer la menace
maritime punique. Faisant figure de
guerre préventive,la première guerre
punique a donc aussi des motifs écono-
miques,puisque le contrôle de la Sicile
aurait permis à Carthage de prendre pied
en Italie du Sud. Elle dure près de vingt
ans,et après une issue longtemps incer-
taine: la supériorité terrestre des Ro-
mains répond à celle des marins pu-
niques.Elle finit quand même par la vic-
toire de la République romaine. Carthage
perd la Sicile, se voit interdire d’attaquer
Syracuse, alliée de Rome, et est aussi
contrainte de verser une importante in-
demnité de guerre. Incapable de payer
ses mercenaires,elle devra faire face pen-
dant plus de trois ans à leur révolte et à
une guerre interne dont Hamilcar,le père
d’Hannibal,viendra difficilement à bout.
Troisième fils d’Hamilcar,Hannibal grandit
donc dans la haine de Rome...
Il a 10 ans lors de la guerre des merce-
naires. Un de moins lorsque son père lui
fait prononcer sonfameux serment de
rester à jamais un ennemi de Rome. Il a
juré de venger l’honneur de Carthage.
Peut-on le décrire physiquement?
On dit qu’il ressemblait à son père: le
teint mat, barbu, les cheveux bouclés,
d’assez haute stature. Il perdra un œil
durant la traversée des marais toscans.
Il est donc nommé chefdes armées à 26 ans…
Par acclamation du peuple, et succédant
non pas à son père,mais à son beau-frère
Hasdrubal le Beau, mort en 221 av. J.-C.
Son armée se compose d’un ensemble
multiethnique de 100 000 mercenaires,
qui vont s’élancer dans une folle épopée
pour porter la guerre jusqu’en Italie.
En mai 218av.J.-C., soit vingt-trois ans après
la fin de la première guerre punique, Hannibal
décide de s’yrendre non pasparmer,mais par
voie terrestre,et c’est le début d’un fameux
périple de sept mois passant parles Alpes, qui
assoit sa légende…
Mais avant les Alpes,il faut déjà que
cette immense armée traverse une Es-
pagne peu pacifiée, où elle subit de mul-
tiples attaques de peuplades hostiles.Si
bien que de nombreux hommes meurent
avant même le franchissement des Pyré-
nées.Hannibal doit en laisser plus de
10 000 sur place pour assurer la domi-
nation carthaginoise. Le long de la Mé-
diterranée, ils font ensuite face aux har-
cèlements des Gaulois.Si bien qu’au
moment où il arrive devant la chaîne des
Alpes,ses effectifs ont fondu de moitié.
Vient ensuite la célèbre traversée…
Un épisode horrible qui dure quinze
jours, dans la neige, le harcèlement des
tribus montagnardes,les chutes,les
éboulements. Autant de dangers qui
provoquent la mort quotidienne d’un
millier de soldats! Et la descente côté
italien sera aussi meurtrière,
5000 hommes supplémen-
taires y laissant la vie. Ce ne
seront finalement que 20 000
guerriers bien fatigués qui
parviendront jusqu’en Italie.
Deux déceptions à ce sujet en li-
sant votre livre: les éléphants ne
sont pastous morts en montagne, et Hanni-
bal ne serait paspasséparle col du Petit-
Saint-Bernard…
En fait, la plupart des pachydermes (ils
étaient 37 au départ) mourront dans les
marais toscans,noyés.Quant au col,
l’historien Tite-Live cite Hannibal qui
galvanise ses troupes au sommet en leur
montrant l’Italie. Cela correspond plu-
tôt au Mont-Clapier,entre les Alpes-
Maritimes et le Piémont italien.
Malgré cette déroute, la perte des trois
quarts de ses troupes et de ses éléphants,
Hannibal va pendant deux ans remporter
quatre victoires contre Rome, dont la pre-
mière a pour cadre le Tessin. Comment l’expli-
quer?
Par le génie tactique – plutôt que stra-
tégique – d’Hannibal, assurément. Les
généraux romains semblent aussi trop
sûrs d’eux, arrogants, et tombent dans
les pièges tendus par le Carthaginois.
«La plupart
des éléphants
se noient dans les
marais toscans.»
Hannibal traverse le Rhône avec ses éléphants. Peinture d’Henri-Paul Motte après 1878.