le schéma territorial nommé « Paris et le désert français » par
le géographe Jean-François Gravier en 1947. C'est dans cette
perspective que dès les années 60, les pouvoirs publics décidèrent
d'intervenir pour renforcer les métropoles d'équilibre
potentielles qu'ils avaient identifiés : Lyon-Saint-Etienne-
Grenoble, Aix-Marseille, Lille-Roubaix-Tourcoing, Bordeaux,
Nantes-Saint-Nazaire, Strasbourg, Nancy-Metz et Toulouse.
Celles-ci furent suivies en 1973 par cinq métropoles
"assimilées" : Rennes, Dijon, Nice, Clermont-Ferrand et Rouen.
Mais alors, pourquoi ce qui est valable à l'échelle du territoire
national ne le serait pas à l'échelle des territoires régionaux ?
Autrement dit, si on transpose le schéma de « Paris et le désert
français » à plus petite échelle, comment est-ce que l'hypertrophie
d'une métropole régionale n'entraînerait-elle pas la
« désertification » de l'arrière-pays régional? De plus, cette image
nouvelle d'une métropole locomotive et non vampire occulte le
fait que le développement de la métropole reste toujours tributaire
du reste du monde pour son alimentation, son approvisionnement
énergétique ainsi que pour les matière premières nécessaires à ses
industries. A ce titre, il est intéressant de souligner que la ville de
Toulouse, dans les années 50, était encore autosuffisante en
alimentation et en énergie. On est loin du compte aujourd'hui !
Rayonnement international et compétitivité
A l'heure où les régulations étatiques s'affaiblissent et où
la guerre économique se déploie à l'échelle mondiale, Metropolia
doit grossir si elle ne veut pas mourir. Les territoires sont pris
comme jamais dans une logique de concurrence et de
marketing territorial afin d'attirer étudiants, entrepreneurs
innovants, investisseurs, touristes...Alors que pendant long-
temps, les politiques nationales et européennes ont cherché à
contrebalancer le phénomène de polarisation en intervenant en
faveur de tous types de territoires, la stratégie de Lisbonne,
formalisée par les Etats membres de l'Union européenne en 2000
marque un changement de cap. Il s'agit désormais de cibler les
crédits sur des pôles de compétitivité en vue de construire une
« économie de la connaissance » très compétitive sur le plan
mondial. De nos jours, de même que la plupart de nos élites
croient qu'une croissance économique infinie est possible dans un
monde fini, ces élites doivent sans doute croire que l'économie de
la connaissance est immatérielle et qu'il s'agit d'une citadelle
imprenable dans le contexte de guerre économique mondiale. Là
encore, les choix budgétaires du nouveau maire et président de la
communauté urbaine de Toulouse Métropole illustrent à mer-
veille cette foi dans l'économie de la connaissance. Alors qu'il a
décidé de restreindre fortement la masse salariale pour cause de
contraintes budgétaires inédites, il s'offre un encart publicitaire de
35 000 euros dans le journal « Le Monde » afin de vanter les
talents de la ville : « Toulouse et son Université rayonnent sur la
carte mondiale de l'économie grâce à Jean Tirole et son équipe.
(...) ». Sans doute que M. Moudenc arguerait qu'il n'y a pas de
contradiction en ce sens que cette dépense est un investissement
comme toute action de marketing territorial qui générera, par
effets induits, de nouvelles recettes pour la ville. Mais dans quelle
proportion ? A quelle échéance ?
En réalité, il est difficile de démêler, dans ces démarches, ce qui
relève de motivations rationnelles et ce qui relève de la soif de
prestige de nos édiles locales. Il est certain en tout cas que ce
dernier paramètre n'est pas négligeable dans le développement
des métropoles.
Concurrence sans fin
Le virage assumé dans la politique de redistribution
territoriale remet y compris en cause la doctrine des métropoles
d'équilibre. La logique de polarisation est poussée à l'extrême
en créant les conditions d'une nouvelle poussée de croissance
de l'agglomération parisienne pour asseoir son rang au niveau
mondial et ainsi...entraîner le reste de la France. Pour
mémoire, ce n'est pourtant pas comme cela que Jean-François
Gravier analysait les conséquences de l'hypertrophie de Paris.
Autres temps, autres façons de penser ? Outre les 205 km de
nouvelles lignes de VAL, la loi du Grand Paris ne prévoit rien de
moins que de doubler la production annuelle de logements en Ile-
de-France. L'alibi des retombées sur le reste du territoire n'est-il
pas une fois de plus un moyen de masquer des velléités de
prestige ? Comme le souligne Philémon dans le n°5 de l'an
02 : « On peut suivre la course sans fin entre Londres et Paris,
qui dure depuis le Second Empire : qui a le plus d'habitant-e-s ?
Qui a les transports les plus rapides ? Qui accueille le plus de
chercheurs/ses ? Le plus de sièges sociaux ? Le plus de
touristes ? »
Colosses aux pieds d'argile
Jusqu'où les métropoles grossiront-elles avant de
s'effondrer (comme l'empire romain s'est lui-même effondré) ? La
taille des métropoles les rend extrêmement vulnérables à tout
un tas de risques : vulnérabilité accrue en cas d'épidémie ou
d'attaque terroriste mais surtout extrême dépendance aux
transports et aux réseaux d'énergie.
De plus, lorsque cette polarisation se double d'une spécialisation
dans un ou quelques domaines d'activité (aéronautique,
nanotechnologies...) la vulnérabilité aux chocs économiques s'en
trouve accrue. Notre région compte elle-même quelques exemples
de villes mono-industrielles (Mazamet, Graulhet...) ayant décliné
suite à un retournement de conjoncture. A une échelle plus
importante, on peut citer la ville de Détroit, plongée dans le
marasme, vidée d'une partie importante de ses habitants et ayant
frôlé la faillite suite au déclin de l'industrie automobile. Mais les
promoteurs des pôles de compétitivité font le pari que si on
innove en permanence (l'innovation étant le maître mot), on ne
peut pas être rattrapé par les caprices du marché mondial...
Pour conclure
Alors Metropolia est-elle l'ennemie à combattre ? Ne
nous trompons pas de combat : il n'est pas nécessairement moins
écologique d'habiter dans une grande ville que dans une petite
ville ou à la campagne. L'habitant-e d'un « pôle rural » qui ne se
déplace qu'en voiture, fait deux allers-retours domicile-travail par
jour, transporte les enfants d'un lieu à l'autre, va faire ses courses
dans une zone commerciale excentrée pour acheter des produits
non locaux, hors saison et surgelés et qui habite un pavillon sans
cultiver de jardin potager a bien sûr une empreinte écologique
autrement plus lourde qu'une habitant-e de Toulouse qui ne se
déplace qu'en vélo, habite dans un appartement, achète des
produits bios et locaux,etc. Le problème se situe dans le fait
que structurellement la taille des métropoles et plus largement la
polarisation et la spécialisation des territoires à différentes
échelles entraînent un allongement des distances entre les
ressources et l'endroit où elle sont consommées, de même qu'elle
entraîne allongement des distances entre les différents « lieux de
vie » d'une même personne. A la fois résultat et support de la
mondialisation, Metropolia est la charpente d'une organisation
territoriale qui résulte à la fois de facteurs techniques (les moyens
de transports et de conservation modernes, extrême-ment
énergivores) et de facteurs institutionnels (dérégulation croissante
des échanges économiques, qui sera fortement aggravée si le
traité transatlantique est adopté). C'est cette mécanique dans son
ensemble que nous devons déjouer. Vaste programme !
Supplément « Métropolia » à la Feuille Verte n°241 - Les Amis de la Terre Midi-Pyrénées
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