il traite avec une absence inattendue d’ironie3. Il emploie ce mythe pour étudier
comment un nom propre se crée à travers une rencontre originaire entre un mot et son
référent. La personne qui témoigne de cette rencontre expérimentera, avec une
franchise immédiate, les qualités qui, selon Lacan, seront perdues lorsque la « chose »
est affectée par la marque du trait unaire : sa présence dans les sens4. Pour Russell, le
nom propre un reste de la jouissance de cette rencontre, et à cause de son lien direct
avec son référent, il aura le statut non pas du signifiant mais du signe ; il « représente
quelque chose pour quelqu’un. »
Lacan, aborde pour la première fois l’analyse du nom propre faite par Russell ainsi
que la réponse de Sir Alan Gardiner à celle-ci dans le séminaire IX, L’identification5.
L’importance accordée par Gardiner à la matérialité du nom propre incite Lacan à
juger ses formulations plus satisfaisantes que celles de Russell. Cependant, le projet qui
entretient les relations les plus complexes avec celui de Lacan, à la fois dans ses
similitudes et dans ses divergences radicales, est bien celui de Russell. Les formulations
de Lacan concernant le nom propre pendant cette période de son travail, se trouvent
pour la première fois dans son intervention au colloque de Royaumont en 1960,
« Subversion du sujet et dialectique de désir dans l’inconscient freudien 6. » Dans ce
texte, et dans le séminaire de l’année suivante, Lacan discute du nom propre, car celui-
ci jette la lumière sur une série de problèmes liés à l’incomplétude de l’Autre. Dans
« Subversion du sujet, » lorsque Lacan parle du statut du signifiant du manque dans
l’Autre — S(Ⱥ) — il fait référence au nom propre afin d’étudier la manière dont ce
signifiant « imprononçable » fonctionne7. Ce signifiant, qui occupe une place différente
de celle de tous les autres signifiants, sera contrairement à ceux-ci, lié à la jouissance, et
3 Voir Bertrand Russell, Why I am not a Christian (London: George Allen and Unwin, 1927).
4 Lacan, Ibid., Op. cit., 6 décembre 1961.
5 Lacan, Ibid., 20 décembre 1961.
6 Jacques Lacan, Écrits (Paris: Éditions du Seuil, 1966), p. 793-827.
7 Lacan, Ibid., p. 819.
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