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LES CONSÉQUENCES IDÉOLOGIQUES
DE LA CRISE DES SUBPRIMES
By
Sandye Gloria-Palermo
Discussion Paper n. 0905
1
Les conséquences idéologiques de la crise des subprimes
Sandye Gloria-Palermo
Professor of economics
University of the French West Indies
Summary
The aim of this article is to analyse the ideological impact of the current financial and
economic crisis upon the neoliberal values which predominate since the end of the 70s. The
specificity of this economic crisis leads to a process of questioning on these values. This is far
from being insignificant because cultural hegemony is reached when value judgements
transform into assertions perceived as unquestionable, universal and natural. Up to now, there
is no such a thing as an ideological revolution because all the economic interventions are
justified on the ground of pragmatism. But at least, the current crisis allows the fundamental
assertions of neoliberalism to come back to their value judgment status. Another important
consequence of the crisis is that alternative value judgements also gain in legitimacy and
audience. These conclusions are reached through an analysis of the various interventions
actually implemented by governments and central banks and through the presentation of a
selection of representative alternative visions of the current financial capitalist order.
Introduction
La période économique troublée que nous vivons en ce moment amène différents types
d’interrogations et de réflexions. Il s’agit aujourd’hui bien sûr de comprendre les origines de
la crise financière, les mécanismes de transmission vers les réalités économiques et sociales ;
il s’agit également d’analyser les différents moyens à notre disposition pour agir sur
l’économie et pallier les insuffisances du libre marché à s’autoréguler afin de trouver un
chemin de sortie de crise. Mais si la crise est avant tout financière, puis économique et bientôt
sociale, elle est aussi fondamentalement idéologique. C’est que le cataclysme financier a cette
fois secoué non pas un lointain pays en transition négociant difficilement ses mutations
institutionnelles ou un pays en développement écrasé par le poids de sa dette au sein d’un
continent exsangue mais bel et bien le coeur de la finance internationale et le berceau du
néolibéralisme. Les déclarations fracassantes se succèdent de toutes parts annonçant ici le
retour du keynésianisme, là, la fin du capitalisme, illustrant les errements idéologiques de
prophètes à la recherche d’une nouvelle doctrine.
L’objet de cet article est de mesurer l’ampleur des changements idéologiques que la crise
financière est susceptible d’amener. La réponse de l’économiste et prix Nobel Joseph Stiglitz
à cette interrogation est sans appel :
Dans cette crise, nous voyons les institutions les plus favorables au libre marché au sein du pays
le plus favorable au libre marché courir demander de l’aide au gouvernement. Tout le monde
dira maintenant que c’est la fin du fondamentalisme du marché. En ce sens, la chute du mur de
2
Wall Street est pour le fondamentalisme du marché ce que la chute du mur de Berlin a été pour le
communisme. (17 décembre 2008, interviewé par N. Gardels, The Huffington Post)1
Quels sont les credo idéologiques malmenés par la crise financière (section 1) ? Que révèlent
sur le plan idéologique les remèdes de sortie de crise avancés (section 2) ? Vers quelle
régulation économique et financière ces différentes solutions nous mènent-t-elles (section 3) ?
Les réponses à ces différentes questions sont de complexité croissante. Il ne fait aucun doute
que la crise remet en discussion le credo néolibéral autour duquel s’est organisé, depuis la fin
des années 70, l’hégémonie culturelle américaine. Le propre d’un jugement de valeur est
d’être l’objet de confrontation et non d’un consensus ; le consensus politique et économique
autour de l’idée de la capacité des marchés à s’autoréguler – proposition centrale du projet
néolibéral – en marque la domination culturelle, le passage du statut de jugement de valeur à
celui de dogme. La crise remet en cause ce consensus, les solutions mises en œuvre pour
endiguer la perte de confiance des acteurs économiques remet sur le devant de la scène le rôle
de l’état et la nécessité de réguler – au moins – la sphère financière. Mais un mythe est
difficile à faire vaciller, comme l’illustre l’échec des crises précédentes à remettre en
discussion le credo libéral. La situation actuelle est différente, l’importance des interventions
et divers plans de sauvetage mis en œuvre par les états marque une rupture dans la pratique
néolibérale qui se traduit bel et bien par une remise en question idéologique, celle-ci rendant
légitimes les interrogations relatives aux scenarii alternatifs au néolibéralisme. Certes
l’exercice est délicat, mais de plus en plus d’intellectuels, de décideurs économiques et
d’hommes politiques s’y essaient. Les scénarii balaient une large palette de possibilités, allant
du simple retour à une réglementation plus morale de la finance jusqu’à la fin du capitalisme.
1. Le constat : hégémonie culturelle du néolibéralisme
Le néolibéralisme est un ensemble de jugements de valeur traduisant un vision du monde
particulière dans laquelle le marché devrait être le mode privilégié de coordination des
activités économiques et le rôle de l’état réduit au minimum. Au-delà de cette définition très
générale, l’idéologie néolibérale se scinde en une multitude de courants qui se distinguent par
le degré de confiance, respectivement de défiance, envers l’institution du marché
concurrentiel, respectivement envers l’état. Ainsi, l’aile dure néolibérale argumentera en
faveur de l’extension de la logique marchande à l’ensemble des sphères économiques et
sociales (privatiser l’éducation, la police, les monnaies) alors que les néolibéraux plus
conciliants accepteront parfois, dans des circonstances bien délimitées et précises, une
intervention ciblée de l’état lorsque la logique marchande aboutit à des inefficiences. La
doctrine néolibérale est également modulée en fonction des intérêts en jeu. On distinguera
ainsi l’idéologie libéral-conservatrice défendue par les classes moyennes et les dirigeants de
PME du libéral-modernisme défendu par le grand patronat. Le premier courant traduit le
1 Notre traduction.
3
désenchantement vis-à-vis de l’état providence d’après-guerre dont la classe moyenne a
principalement supporté les coûts en termes de fiscalité ; le libéral-conservatisme prône de
plus la méritocratie, le désengagement de l’état, la liberté individuelle et célèbre la main
invisible qui permet la régulation spontanée des marchés. Dans sa version libéral-moderniste,
le néolibéralisme s’apparente plutôt à un keynésianisme de droite, donnant un grand rôle à
l’état sensé organiser le dialogue au niveau international afin de contribuer à l’infléchissement
des politiques commerciales en faveur des multinationales et du grands patronat. La main
visible de l’état est ici indispensable au bon fonctionnement des marchés et permet en outre la
socialisation de certains coûts de production tout en assurant la privatisation des profits.
L’ambiguïté et la force de l’idéologie néolibérale provient du décalage entre le discours
dominant, qui puise son inspiration dans le libéral-conservatisme, et la pratique politique et
économique, qui au contraire est la manifestation du libéral-modernisme.
Le néolibéralisme se développe à l’issue de la seconde guerre mondiale pour s’imposer sans
partage à la fin du 20ième siècle comme l’idéologie dominante, cumulant les succès sur le plan
politique, économique et culturel, et posant les bases d’une véritable hégémonie culturelle des
Etats-Unis sur le reste du monde.
Au sortir de la seconde guerre mondiale, la lutte contre le communisme dicte la politique
étrangère des Etats-Unis. Elle s’énonce sous la forme de la fameuse doctrine Truman, centrée
autours de la défense de la liberté individuelle et de la démocratie. « Je crois », déclarait
Henry Truman devant le Congrès américain le 12 mars 1947, « que les États-Unis doivent
soutenir les peuples libres qui résistent à des tentatives d'asservissement (...). Je crois que nous
devons aider les peuples libres à forger leur destin (...). Je crois que notre aide doit consister
essentiellement en un soutien économique et financier (...) afin de maintenir la liberté des
États du monde et à les protéger de l'avancée communiste ». Concrètement, la doctrine
Truman, ou politique dite de l’endiguement, reposait sur une offre d'assistance militaire et
financière américaine, s'adressant aux pays décidés à s'opposer aux pressions communistes.
La guerre froide est ainsi une bataille idéologique qui oppose le néolibéralisme aux valeurs
socialistes ou encore le marché à la planification, et qui connaît un tournant décisif dans les
années 80. Le succès électoral de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne en 1979 et de
Ronald Reagan aux Etats-Unis en 1980, montre l’étendue du soutien des idées néolibérales
dans l’opinion publique occidentale et la désillusion envers les politiques keynésiennes
incapables de lutter contre la situation stagflationniste généralisée des années 70 ; la mise en
application des préceptes néolibéraux sera radicale comme l’annonce d’entrée de jeu Reagan
dans son discours à l’investiture : « L’état n’est pas la solution, c’est le problème ».
Les gouvernements anglais et américain utilisent le mandat démocratique pour mener une
politique de l’offre agressive qui se traduit par des baisses d’impôt, une réduction des entraves
à l’activité économiques grâce à la dérèglementation, une réduction drastique de
l’interventionnisme avec le démantèlement des programmes publics et la réduction des
déficits publics keynésiens, l’affaiblissement du pouvoir des syndicats à la suite d’un bras de
fer impitoyable (répression de la grève des aiguilleurs du ciel en 1981 aux Etats-Unis et des
mineurs en 1984 en Grande-Bretagne) et la modération salariale systématique pour prévenir
4
l’inflation. Ces politiques sont relayées au niveau international par les organismes
internationaux, FMI, OMC et Banque Mondiale, qui conseillent systématiquement ces mêmes
recettes pour aider les pays en développement à décoller économiquement et sortir de la
spirale de l’endettement. Cette idée selon laquelle le néolibéralisme est la solution universelle
au développement est connu sous le nom de Consensus de Washington et fait écho à l’idée
vulgarisée par Thatcher sous l’acronyme de TINA (There is no Alternative – to neoliberalism)
selon laquelle le néolibéralisme est l’unique voie possible d’organisation économique,
quelque soit le contexte culturel, social, historique. La Reaganomics se propage ainsi au-delà
des frontières occidentales et le néolibéralisme se construit une dimension universelle.
Le succès politique du néolibéralisme pose ainsi les bases de la mondialisation économique
qui s’organise autour des idées de libre échange, dérégulation et désengagement des états,
désintermédiation bancaire au profit des marchés financiers dérèglementés, baisse des impôts
et privatisations. Le succès politique va de pair avec une domination académique sans appel
qui nourrie et justifie en retour les politiques appliquées. Le néolibéralisme est la doctrine
sous-jacente au paradigme théorique néoclassique dominant en sciences économiques,
dominant en termes de publications scientifiques, de nombre de prix Nobel célébrés par la
Banque Centrale de Suède et d’influence au sein des organisations internationales. Le
paradigme néoclassique cherche à formaliser le mécanisme de la main invisible et à
démontrer l’efficience de la décentralisation (et accessoirement, l’inefficience de la
planification). Il est basé sur l’hypothèse de l’individualisme méthodologique qui veut que
tous les phénomènes économiques soient le résultat de l’interaction individuelle spontanée
d’agents rationnels, c’est-à-dire motivés uniquement par leurs intérêts propres. La
macroéconomie, traditionnellement keynésienne, n’y échappe pas et a été l’objet d’un
processus d’absorption dans la logique néoclassique à travers une reconstruction de ses
fondements microéconomiques. Le nouveau keynésianisme en est le résultat. Dans les années
70 en effet, des auteurs issus de la Nouvelle Ecole Classique comme Robert Lucas (1972),
Thomas Sargent et Robert Wallace (1976) remettent en question de nombreux préceptes de la
révolution keynésienne et ouvrent la voie aux politiques de l’offre ; le label de nouveaux
keynésiens décrit les économistes qui, dans les années 80, répondent à ces critiques en
ajustant les fondements keynésiens par la prise en compte de rigidités structurelles qui
empêchent l’économie d’arriver spontanément à un équilibre efficient. Le glissement
idéologique par rapport à Keynes est marqué : pour Keynes, le fonctionnement normal du
capitalisme peut aboutir à des équilibres inefficients (équilibre macroéconomique de sous-
emploi) ; pour les nouveaux keynésiens, la croyance en l’efficience du libre marché est
restaurée : si le marché aboutit à un équilibre inefficient, c’est en raison d’imperfections qui
viennent fausser le jeu concurrentiel. Ainsi le fossé entre nouveaux classiques et nouveaux
keynésiens est pratiquement comblé et d’ailleurs, dans les années 90, on assiste à une
nouvelle synthèse entre les idées des deux courants. Cette nouvelle synthèse décrit l’économie
comme un système d’équilibre général dynamique qui dévie toutefois, en raison de rigidités
diverses et autres imperfections de marché, d’une allocation optimale des ressources. Cette
synthèse constitue le fondement intellectuel sur lequel reposait jusqu’à aujourd’hui la
politique monétaire de la banque centrale américaine.
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