NE PAS DÉCIDER POUR AUTRUI 95
orientation de cette équipe serait à exécuter par d’autres institutions, ce
qui n’est pas forcément acquis. Même au sein de l’EMPP, le poids de la
hiérarchie médicale est très relatif, comparativement à ce qui se passe à
l’hôpital. Les rôles techniques spécifiques des professionnels sont
suspendus car il ne s’agit ni de prescrire, ni de distribuer des médicaments,
ni d’établir un diagnostic précis, par exemple. Les patients peuvent être
suivis uniquement par les infirmiers ou le psychologue, avec éventuelle-
ment la participation de l’assistant social, mais sans jamais rencontrer le
médecin. Souvent, les décisions sont prises au quotidien par les profes-
sionnels qui suivent le patient, mais les situations dites de crise sont discu-
tées en équipe, avec ou sans la participation des partenaires. Les
discussions et décisions sur les interventions ont lieu dans des contextes
divers, allant de la réunion formelle aux discussions très informelles.
C’est pourquoi, dans ce contexte, le rôle du médecin dans les prises de
décision est à relativiser et, en l’absence de la famille, la question de la
pertinence des acteurs de la décision est un aspect crucial. Enfin, l’analyse
en termes de travail politique met en évidence le fait que c’est la qualifi-
cation des situations complexes, imbriquant plusieurs dimensions (social,
ordre public, somatique, psychiatrique), qui est au cœur de l’interaction
entre les acteurs afin de déterminer leur légitimité à intervenir ou non, et
ce notamment lors des moments-clés des prises en charge, dont les situa-
tions dites de crise sont l’exemple extrême. Ainsi, si au cours de leurs
interactions les acteurs finissent par considérer l’aspect psychiatrique
comme étant inexistant ou limité, une non-intervention de la psychiatrie
sera légitimée et, à l’inverse, son intervention serait assimilée à une forme
de psychiatrisation du social ou, autrement dit, à du sur-intervention-
nisme. Si, au contraire, l’aspect psychiatrique leur paraît suffisamment
important, la non-intervention sera assimilée à du sous-interventionnisme,
considérée comme une forme d’abandon (8). Le travail micropolitique
décrit ici porte donc sur la qualification des situations et sur la légitimation
des acteurs à décider d’intervenir ou non sous contrainte.
Concernant la méthodologie, cet article s’appuie sur une enquête
réalisée entre 2004 et 2008 au sein d’une EMPP parisienne, à la fois en
(8) Outre la littérature en sciences sociales présentée plus haut, ces critiques émanent
de professionnels lorsqu’ils s’expriment sur le travail de leurs collègues ou des parte-
naires. Lors de réunions ou de discussions informelles, ces critiques s’expriment en
termes de « il ne fait pas son boulot », « c’est la moindre des choses », « vous ne
pouvez pas laisser la personne comme ça » ou « il dépasse les limites », « ils en font
de trop ». Enfin, des passants qui assistent aux interventions de l’EMPP expriment ces
deux critiques par « laissez-le tranquille, c’est sa liberté ! » ou bien « il est là et vous
ne faites rien ! »