N°4 Decembre 2001 POINTS D’ACTUALITÉ Existe-t-il une Place pour la Nutrition dans le Traitement du Cancer de la Prostate ? Dr Alexandre de la Taille Urologue CHU Henri Mondor - Créteil rois faits épidémiologiques impliquent la diététique et l’alimentation dans la cancérogenèse prostatique : T 1. L’’incidence de ce cancer est vingt fois plus importante aux Etats Unis qu’en Asie. 2. Les patients, hommes japonais ou chinois immigrés aux EtatsUnis ont un risque et une mortalité par cancer de la prostate accrus par rapport aux populations restées dans leur pays natal [23, 25]. 3. L’incidence du cancer de la prostate au Japon a augmenté de façon significative depuis que ce pays a adopté les coutumes alimentaires des pays occidentaux [3]. Plusieurs études épidémiologiques ont été publiées sur le rôle de différents composants de notre alimentation pouvant agir en prévention ou au contraire favoriser le développement du cancer de la prostate (Tableau 1), [20]. A l’inverse, très peu d’études portent sur l’effet de conseils diététiques, de modification de l’alimentation ou de la prise de certaines plantes, oligoéléments ou vitamines chez des patients présentant un cancer de la prostate. Cette revue de la littérature a pour but de présenter les études publiées sur ce sujet. non spécifiques et pouvant stimuler l’immunité des macrophages NK (natural killer) [22]. Le Le PC SPES est certainement à Ganoderma lucidum est composé étudier de façon plus particulière de polysaccharides de haut poids puisqu’il a fait l’objet du plus moléculaire et a montré sa capacigrand nombre de publications té à inhiber la croissance cellulaire dans le traitement complémentai- in vitro de lignées tumorales de re du cancer de la prostate. sarcome [24]. Le Scutellaria baica lensis pourrait limiter la croissan1. COMPOSITION ce des lignées tumorales de sarcoLe PC-SPES contient 8 plantes ou me et de cancer du col utérin. Le extraits de plantes ayant démon- Baicalein (une saponine) contenu tré individuellement une action dans le Scutellaria baicalensis peut anti-tumorale, analgésique ou inhiber la multiplication tumoraanti-anorexique (Isatis Indigotica, le, induire l’apoptose in vitro, stiGlycyrrhiza, Panax pseudo-Ginseng, muler le système immunitaire et Ganoderma lucidum, Scutellaria bai - posséder des propriétés antibactécalensis, Dendranthema morifolium, riennes [9, 13, 24]. Rabdosia rubesrens et Saw Le Dendranthema morifolium est le Palmetto). L’Isatis Indigotica moins connu avec une activité contient un phytoestrogène conte- biologique mal définie. Le nu dans les haricots ayant montré Rabdosia rubesrens a des effets in vitro sa capacité à réduire la antalgiques et anti-tumoraux. croissance tumorale sur un modè- Cette plante est capable d’inhiber le animal de souris [11]. Le in vitro les lignées tumorales des Glycyrrhiza glabra et le glycyrrhiza sarcomes, hépatocarcinomes, canuralensis sont des plantes chinoi- cers du col utérin et lymphomes ses contenant des saponines pou- [12]. Ces effets analgésiques et vant stimuler le système immuni- anti-anorexiques ont été observés taire et de la quercetine ayant un chez des patients atteints d’un effet anti-tumoral [1]. Cette plante cancer primitif hépatique [15]. Le diminue le taux de testostérone et Saw Palmetto, bien connu des augmente le taux d’œstrogènes Urologues pour ses effets dans sériques [1]. Le Pana x pseudo- l’hypertrophie bénigne de la proGinseng contient des saponines state [26], diminue la biodisponiayant des propriétés anti-stress bilité de la testostérone in vivo et I. PC SPES 3 EXISTE-T-IL UNE POINTS D’ACTUALITÉ PLACE POUR LA NUTRITION DANS LE TRAITEMENT DU CANCER DE LA PROSTATE N°4 Decembre 2001 ? Tableau I : Vitamines et oligoéléments pouvant être impliqués dans le cancer de la prostate ([Schulman 2001]) Caroténoide b-carotène Alpha-carotène Lycopène Vitamine C P REUVES SCIENTIFIQUES MÉCANISMES MOLÉCULAIRES Carottes Carottes Tomates Insuffisantes Pas d’association Inhibition Peu clair Fruits Légumes Insuffisantes Antioxydant Inhibition Inhibition de la prolifération cellulaire Retinoides Légumes (retinol, retinoine, isotretinoin, fenretinide) Antioxydant Vitamine E (alpha-tocopherol) Salade Inhibition Inhibition de la progression cellulaire Effets sur le taux sérique d’androstedione et testostérone Vitamine D (1,25 OH2D3) Legumes Lait Ultraviolet Inhibition Diminue la prolifération cellulaire et augmente la différentiation Zinc Viandes Insuffisant Selenium Pain Céréales Poissons Viandes Inhibition Antioxydant Induction de l’apoptose Immunostimulant Modifie Cytochrome P450 Isoflavoinoides Haricots Soja Inhibition Inhibition angiogenèse Antioxydant Induction apoptose Inhibition de l’expression d’oncogènes Inhibe l’EGFR Antiestrogénique Inhibition synthèse d’ornithine decarboxylase Diminue LDH et cholestérol Effet sur la testostérone et la concentration d’oestrogène Antiprolifératif Fenretinide Carottes Inhibition Induction de l’apoptose Inhibition angiogenèse Différentiation cellulaire Inhibition IGF-1 Immunostimulation Inhibition synthèse d’ornithine decarboxylase Inhibition de la protéine kinase C 4 EXISTE-T-IL POINTS D’ACTUALITÉ inhibe la synthèse de certaines molécules produite lors de l’inflammation. Le ou les mécanisme(s) d’action de PC SPES n’est pas complètement connu(s) mais il semble qu’il existe une activité proche des oestrogènes due à la présence de phyto-oestrogènes (un extrait de PC SPES dilué à 1/200 serait équivalent à 1nM d’estradiol pour DiPaola et al [8]). Les autres actions semblent impliquer une induction de l’apoptose, une inhibition de la prolifération, une diminution de l’expression de bcl-2, de bcl-6 et du récepteur des androgènes, et une augmentation de l’expression de p53, bax et p21 [4]. 2. ETUDES CLINIQUES La première publication du PC SPES dans le cancer de la prostate est de DiPaola et al dans le New England Journal of Medicine. Ils rapportent une diminution du taux de PSA et du taux de testostéronémie sous PC SPES sur 8 patients atteints de cancer de la prostate (traitement habituel 3 à 9 gélules par jour) [8]. D’autres études ont, depuis, confirmé ces premières conclusions (Tableau II). Dans une étude clinique sur 69 patients [5], une diminution statistiquement significative du PSA a été observée. Vingt deux patients étaient atteints d’un cancer de la prostate en hormonoéchappement : 90% d’entre eux avaient une diminution du PSA à 2 mois et 76% à 6 mois. Sur 43 patients atteints de cancer de la prostate traités par radiothérapie, prostatectomie radicale ou cryochirurgie et considérés comme des cancers hormono-sensibles, le PSA sérique diminuait dans 82% N°4 Decembre 2001 UNE PLACE POUR LA NUTRITION DANS LE TRAITEMENT DU CANCER DE LA PROSTATE ? Tableau II : Effets du PC SPES sur le PSA sérique et sur la testostéronémie NB PATIENTS HORMONAL S TATUT B AISSE DU PSA > 50% TESTOSTÉRONÉMIE BAISSE DiPaola 8 HS+HR 100 % 12 % Mittelman 16 HS+HR 62 % Kameda 20 14 HS HR 75 % 75 % De la Taille 43 22 HS HR 67 % 83 % Pfeifer 16 HR 81 % Small 33 37 HS HR 100 % 54 % 7 / 21 (33%) (HR : hormono-résistant, HS :hormono-sensible) des cas à 2 mois, 78% à 6 mois et 82% à 12 mois. Mittelman et al [14] rapportent à 3 mois une diminution de plus de 50% du PSA sérique chez 10 patients sur 16. Kameda et al [10] ont étudié le PC-SPES en phase II : sur 12 patients atteints d’un cancer hormono-sensible et 12 patients atteints d’un c ancer hormonorésistant, 75% d’entre eux avaient une diminution du PSA sérique de plus de 50%. Le taux de testostérone chez ces patients était à un niveau de castration au bout de 1 mois chez 33% des patients. En utilisant le critère du NPCP (National Prostate Cancer Project) qui définit une réponse objective comme la diminution sur 3 dosages successifs toutes les 6 semaines du PSA (réponse objective corrélée à une amélioration de la survie), 67% des patients atteints d’un cancer de la prostate hormono-sensible et 45% des patients ayant un cancer hormono-résistant avaient une réponse objective lorsqu’un traitement par PC SPES était instauré [5]. 5 Concernant 25 patients atteints de cancer avec des foyers d’hyperfixation métastatiques à la scintigraphie et chez qui un traitement par PC SPES a été débuté, Small et al observent 2 améliorations, 7 stabilisations et 16 progressions [Small 2000]. La qualité de vie est améliorée sous PC SPES selon Pfeifer et al sur 16 patients interrogés [17]. 3. EFFETS SECONDAIRES Globalement, le traitement est bien toléré. Certains effets secondaires rencontrés soulignent l’effet oestrogénique tels que les bouffées de chaleur (7%), les gynécomasties (8%), les tensions mammaires (42% à 100%) et baisse de la libido (66% à 100%). L’effet secondaire le plus sévère est la phlébite (2% à 12%). Dans l’étude de Columbia, 2% des patients avaient présenté cet effet secondaire [6]. L’instauration d’une anticoagulation préventive systématique a permis de ramener ce taux à 0% [8] et doit donc être systématiquement proposée aux patients. EXISTE-T-IL POINTS D’ACTUALITÉ II. MODIFICATION DU RÉGIME ALIMENTAIRE ET CANCER DE LA PROSTATE Quelques études ont récemment été publiées sur l’effet d’un régime alimentaire modifié chez des patients atteints de cancer de la prostate. 1. RÉGIME ALIMENTAIRE UTILISÉ Les régimes alimentaires sont principalement fondés sur la réduction des graisses animales et sur l’augmentation des fibres alimentaires et de la consommation de soja : - réduction des lipides à 20% du total des calories journalières et 30 g par jour de fibres pendant une durée moyenne de 34 jours pour Demark-Wahnefried [7]. - proportion de graisse de moins de 15% du total des calories et d’un supplément diététique contenant des extraits de soja, blé complet, légumes, céréales, fruits, haricots et pommes de terre pour Ornish et al [16]. - faible apport en graisse saturée et une augmentation des fibres (blé complet, légumes, fruits et soja) pour Saxe et al [18]. Le café et les produits provenant des animaux étaient limités. - graisses représentant 15% du total des calories journalières, les protéines 15% et le reste des 70% des calories devant provenir des fibres pour Aronson et al [2]. Dix gr d’huile de poisson en gélule (soit 3 gr d’acide gras oméga-3) et 800UI de vitamine E par jour sont ajoutés. - pour l’équipe de Schroder [19], les patients recevaient un complément diététique comprenant des extraits de soja et de thé, des N°4 Decembre 2001 UNE PLACE POUR LA NUTRITION DANS LE TRAITEMENT DU CANCER DE LA PROSTATE ? caroténoides, des phytostérols, du sélénium et de la vitamine D (cette étude n’ayant fait l’objet que d’une communication orale lors du congrès annuel de l’AUA, les auteurs n’ont pas encore ‘révélé’ les quantités des différents composants). Les effets de ce supplément étaient évalués par une étude randomisée, prospective en cross-over par 2 périodes de 6 semaines. 2. EFFETS SUR LE CHOLESTÉROL ET LA TESTOSTÉRONÉMIE Globalement, ces régimes ont pour effet de diminuer les taux sériques de cholestérol et de testostérone. Pour Demark-Wahnefried et al [7], une diminution significative du taux de cholestérol sérique (201 +/- 39 mg/dL to 174 +/- 42 mg/dL) et de la testostéronémie totale (422 +/- 122 ng/dL to 360 +/- 128 ng/dL) a été observée. Aronson et al préconisaient une alimentation riche en huile de poisson pendant 3 mois mais ce régime n’a pas eu d’effet sur le poids des individus ou sur le taux de cholestérol, de LDL ou de triglycérides [2]. 3. RÉSULTATS EN TERME DE PSA Chez les patients présentant une récidive biologique après prostatectomie radicale, on a associé l’intervention diététique à un soutien psychologique et à de la gymnastique. Saxe et al ont montré récemment que 8 des 10 patients inclus présentaient une diminution du taux sérique du PSA [Saxe 2001]. Un allongement du temps de doublement du taux sérique de PSA est observé passant de 6,5 mois à 17,7 mois. L’équipe de Schroder a récem6 ment rapporté les résultats préliminaires d’une étude prospective randomisée chez 37 patients atteints d’un cancer de la prostate pour une élévation du taux sérique de PSA après un traitement curatif ou suivis cliniquement pour un cancer (watchfull waiting) [19]. Le temps de doublement du taux sérique de PSA a été statistiquement allongé durant les périodes avec traitement passant de 29,5 à 60 semaines (p<0,05). Chez les patients traités, il existait une faible diminution du taux de testostéronémie. Ces résultats doivent être confirmés par un suivi et une cohorte de patients plus importante mais prouve dès à présent l’effet d’un complément diététique chez les patients atteints d’un cancer hormono-sensible. 4. EFFET SUR LE CANCER En comparant leur groupe de patients à un groupe sélectionné présentant les mêmes caractéristiques en termes d’âge et d’agressivité tumorale, DemarkWahnefried et al [7] montrent que l’index de prolifération diminue dans le groupe traité alors que le taux de cellules en apoptose est augmenté. Cette étude suggère qu’une modification du régime alimentaire peut agir sur la biologie du cancer de la prostate. Malgré l’absence de modification du taux de PSA sérique après 3 mois d’un régime riche en huile oméga-3, Aronson et al montrent que sur l’analyse des biopsies de la prostate réalisées avant et après le régime alimentaire, il existe une réduction du taux de Cox-2 et de prostaglandine [2]. 5. A DHÉSION AU TRAITEMENT Il faut ajouter que les études pro- EXISTE-T-IL POINTS D’ACTUALITÉ posant un régime alimentaire même astreignant sont bien acceptées par les patients. Le taux d’arrêt du traitement semble faible comme le souligne Ornish et al qui ont étudié prospectivement et de façon randomisée l’effet d’un régime alimentaire, d’un soutien psychologique et d’exercices physiques chez 93 patients (47 patients contrôlés et 46 patients traités) atteints d’un cancer de la prostate localisé et surveillé cliniquement (watchfullwaiting) pendant un minimum de 1 an [16]. A 1 an, seulement 20% des patients ont arrêté l’étude LE TRAITEMENT DU CANCER DE LA PROSTATE 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 1 3. Agarwal R., Wang Z.Y., Mukhtar, H. Inhibition of mouse skin tumor-initiating activity of DMBA by chronic oral feeding of glycyrrhizin in drinking water. Nutr. Cancer, 1991, 15, 187-191. Aronson WJ, Glaspy JA, Reddy ST, Reese D, Heber D , Bagga D . Modulation of omega-3/omega-6 polyunsaturated ratios with dietary fish oils in men with prostate cancer. Urology 2001, 58(2), 283-288 Boyle P, Levi F, Lucchini F, et al. 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Des études complémentaires, portant sur des groupes de patients plus importants sont nécessaires UNE PLACE POUR LA NUTRITION DANS 14 . Mittelman A., Tiwar i R.K., Chen S., Geliebter J. Preclinical Analysis of the In Vivo and In Vitro Effects of PC-SPES on Rat Prostate Cancer Cells. J Clin Oncol 1999, 18, abstract #700. 15. Nagao Y., Ito N., Kohno T., Kuroda H., Fujita E. Antitumor activity of Rabdosia and Teucrium diterpenoids against P 388 lymphocytic leukemia in mice. Che. Pharm Bull 1982, 30, 727-729. 16. Ornish DM, Lee KL, Fair WR, Pettengill EB, Carroll PR. Related Dietary trial in prostate cancer: Early experience and implications for clinical trial design. Urology. 2001, 57(4 Suppl 1), 200-201 17 . Pfeifer B.L., Pirani J.F., Hamann S.R., Klippel K.F. PC-SPES, a dietary supplement for the treatment of hormone-refractory prostate cancer. BJU Int 2000, 85, 481485. 18. Saxe GA, Hebert JR, Carmody JF, KabatZinn J, Rosenzweig PH, Jarzobski D, Reed GW, Blute RD. 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