Débat - Eurométropole

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ÉBATS DE L'EUROMÉTROPOLE Dans les pas de Pierre Mauroy... C’est unanimement que les partenaires ont souhaité rendre hommage à Pierre Mauroy en dédiant à sa mémoire ce cycle de conférences débats. Moteur de la métamorphose de l’agglomération lilloise, Pierre Mauroy a été à l’initiative de la coopération entre partenaires français et belges au sein de cette grande métropole transfrontalière. Cette coopération, initiée d ès 1991, s’est concrétisée en 2008 par la création du premier Groupement Européen de Coopération Territoriale (GECT), l’Eurométropole Lille-­‐Kortrijk-­‐
Tournai. Pierre Mauroy a aussi été à l’origine d e la création de l’association Aire métropolitaine de Lille, en 2007. C’est dans la suite de l’action de Pierre Mauroy et de celle de ses émules, basée sur une forte conviction de l’importance du fait métropolitain et de la construction européenne que s’inscrit ce cycle de conférences. L’Agence de développement et d’urbanisme de Lille métropole, Lille Métropole, les intercommunales IDETA, IEG, Leiedal et WVI et la Mission Bassin Minier, avec l’Agence de l’Eurométropole Lille-­‐Kortrijk-­‐Tournai, ont décidé de lancer un cycle de conférences -­‐débats sur la métropolisation. Il s’agit pour les participants de contribuer à la réflexion sur les enjeux et les atouts de notre territoire sur la base d e la présentation des réflexions d ’un expert extérieur à celui-­‐ci. "UNE NOUVELLE ÉCONOMIE MÉTROPOLITAINE" Vélodrome de Roubaix -­‐ 11 juin 2013 Oriol Clos, Directeur de l’Agence de Développement et d’Urbanisme de Lille Métropole, organisatrice d e la première conférence, nous invite à penser le phénomène de métropolisation, pas tant en terme de développement des grandes villes, que comme mode d’organisation d’un territoire, toujours plus complexe. Il ne faut pas perdre l’idée que la métropolisation s’exerce dans un territoire concret, complexe et polycentrique, où les questions de limites, administratives d’abord m ais aussi politiques, linguistiques voire culturelles sont de l’ordre du quotidien. Ce territoire métropolitain qu’on l'appelle Aire Métropolitaine de Lille, Eurométropole Lille-­‐Kortrijk-­‐Tournai, The Lille Region, etc. constitue de plus en plus une même réalité physique, sociale et économique. Dans ce contexte, il a été demandé à Pierre Veltz d ’inaugurer le cycle en présentant sa réflexion sur la “ nouvelle économie métropolitaine”. LE LIEU -­‐ Posté à l’arrivée de la célèbre course cycliste Paris-­‐
Roubaix, le vélodrome couvert régional Jean Stablinski, dit « Le Stab », a aimablement accueilli la première conférence débat de l’Eurométropole. Du nom d u champion du monde sur route de 1962 le vélodrome, financé principalement par la Région Nord – Pas d e Calais et LMCU, a été inauguré en septembre 2012. Pierre Veltz Intervenant du débat Pierre Veltz est depuis octobre 2010 Président directeur général de l’établissement public de Paris Saclay. Diplômé de Polytechnique et de Ponts et chaussées et détenteur d’un doctorat en sociologie, Pierre Veltz débute sa carrière dans l’urbanisme au sein de la DDE du Nord puis de la SCET. Il crée dans les années 1990 le LATTS, laboratoire pluridisciplinaire de sciences sociales, s’intéressant à la transformation des entreprises et des structures territoriales. Il a dirigé la Mission d'aménagement de la région capitale au sein du Secrétariat d'État au développement de la Région Capitale. Il a ensuite notamment d irigé l’Ecole nationale des ponts et chaussées et présidé Paris Tech, fédération des 11 principales écoles d ’ingénieurs parisiennes. 1
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PLAIDOYER POUR LA MÉTROPOLE En France, la notion de métropole n’est pas toujours bien perçue. Les discussions autour de la loi sur les métropoles ont montré la persistance d’une culture rurale, empreinte d’égalité des territoires. A ce jour pourtant, la France est une grande métropole en réseau. Bien sûr, il y a des différences entre les catégories de métropole : les villes globales comme Paris, Londres, Istanbul, les métropoles intermédiaires, Barcelone, Amsterdam… et quelques prétendantes au titre parmi lesquelles Lyon et Lille et les petites métropoles. Ce sont ces métropoles, qui ont connu un fort développement depuis 20 ans, et qui fonctionnent en réseau, qui stimulent l’économie, la démographie… mais c’est plus globalement toute la société qui se métropolise. QUELQUES ÉLÉMENTS DE CONTEXTE Une transition urbaine Une société hyper-­‐industrielle Le monde entier connait une explosion démographique en milieu urbain, particulièrement en Asie m ais aussi en Afrique. Cette croissance exponentielle correspond à l’équivalent de 10 agglomérations de la taille de Londres chaque année. Ainsi, d’ici 2030, les villes du sud, de grandes tailles comme les villes moyennes, vont représenter la majorité de la population mondiale. Le risque, c’est l’inadaptation du modèle d’équipement, en habitat notamment. Enfin, nous vivons un basculement de société : passant d’une société industrielle traditionnelle à une société hyper industrielle, et non à une société post industrielle. Cela rend illusoire la suppression d es emplois industriels d ans les métropoles occidentales en faveur d’un recentrage sur les emplois tertiaires. La caractéristique principale de ce changement est l’hybridation entre biens et services, à l’instar de l’iPhone, du numérique et du manufacturier, du marchand et du non marchand. Mais le soubassement technologique ne représente que peu d’emplois, bien que stratégiques. Le rattrapage économique de l’Asie Historiquement localisé en Occident, le centre de gravité économique a basculé en Chine. Jusqu’alors considérée comme “l’atelier du monde”, l’Asie s’émancipe de ces fonctions de manufacture. Le rattrapage technologique et universitaire y est rapide. Les classes moyennes, en forte croissance, consomment en quantité biens matériels et éducation. La matière grise sera partout d ans le monde. Mais les termes de l’échange restent déséquilibrés : alors que la masse de travailleurs se situe en Chine, c’est aux USA que la masse financière générée est la plus conséquente. L’organisation en réseau Le synchronisme technologique constitue également un changement majeur. La protection de la distance géographique étant levée par les technologies, nous vivons une course-­‐poursuite permanente à l’innovation. Le m odèle de production a évolué. Les sociétés, concentrant les fonctions, ont laissé place à des organisations éclatées en réseaux à géographie variable, sur le modèle de communautés contributives. Dans la société industrielle, on fait faire des choses extraordinaires à d es hommes ordinaires grâce à l’organisation. Aujourd’hui, la médiation d e ces grandes organisations est-­‐elle encore indispensable ? Linux illustre ce modèle. 1
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L'ECONOMIE D'ARCHIPEL Le paradoxe de la polarisation Au-­‐delà d’être un espace urbanisé densément peuplé, la métropole est une entité multifonctionnelle aux contours ouverts. Paradoxalement, alors que les moyens de communication sont de plus en plus nombreux et prégnants, on assiste à une polarisation plus importante. C’est la face cachée de l’économie métropolitaine : il existe une alchimie au sein des métropoles propice à l’amplification de la plus-­‐value. L’efficacité tient pour beaucoup du non marchand, des frottements culturels. L’économie de la connaissance De nouvelles logiques spatiales Ce modèle produit un grand éclatement, à des échelles géographiques plus étendues, et en même temps, revalorise les effets de proximité, au sein de pôles, les métropoles. Le dégroupage, dans l’organisation et la géographie devient la norme. Les produits sont d evenus made in monde. Pour exemple, la fabrication d’une brosse à dents électronique : 38 composants, traversant plusieurs centaines d’usines à travers le monde, parcourant plus de 28 000 km, pour un prix de vente de 130 euros. Le renouveau des effets de proximité, quant à lui, est illustré par la montée d es clusters, ces espaces d’activités très concentrées, les “hubs” territorialisés de réseaux mondiaux ou régionaux. C’est l’économie d’archipel. La polarisation du monde L’économie se concentre dans quelques grandes régions urbaines : 10 régions urbaines concentrent 43% du PIB mondial, 6% de la population et 70 à 80% des sciences et technologies. Cette polarisation prend plusieurs formes : • les enclaves, au sens physique, telles que les lieux d’extraction d e matières premières ; • les districts spécialisés, modèle dominant de l’industrie du XIXe siècle, comme le textile à Roubaix, mais qui reste actuel, notamment dans les pays en développement ; • les métropoles, de toute taille ; • les cités Etats, telles que Dubaï, Hong Kong, Singapour... ; • les grandes régions urbaines. Les nations, en organisant les solidarités sur l’ensemble du territoire, constituent des métropoles en réseau t elle la France. C’est l’un des moteurs de la métropolisation. L’économie de la connaissance implique d’avoir des lieux d’apprentissage et d’innovation de niveau international pour exister sur la carte du monde, comme la Silicon Valley. C’est un modèle que l’on peut qualifier de darwinien : il faut tester, faire des erreurs, pour faire apparaitre des choses qui n’étaient pas attendues. Les innovations ne sont pas programmables, à l’inverse du programme qui a fait émerger la fusée Ariane par exemple. L’attractivité résidentielle, nouveau développeur économique Ce qui façonne la géographie économique, c’est la mobilité des capitaux, mais changement en cours, la force qui façonne la « géo éco », c’est la mobilité des personnes. A court terme, les gens vont là où les entreprises sont présentes. A moyen terme, les entreprises vont là où les gens ont envie d’habiter. Aujourd’hui les entreprises fonctionnent dans un environnement très différent. La capacité à retenir les salariés, les talents dans un environnement attractif, devient facteur d’attraction des entreprises. La stratégie urbaine devient un facteur de développement économique. Le risque est d’aboutir à d es processus de ségrégation, de « droit de choisir son voisin ». La base relationnelle de l’économie A la différence des modes taylorien ou fordien, l’efficacité naît des échanges, y compris dans l’industrie. Le secret n’est plus de mise. Au contraire, la performance, découle d e la qualité et d e la densité des relations entre acteurs. L’innovation se fait par des réseaux ouverts. C’est l’économie relationnelle. La flexsécurité des métropoles Les métropoles concentrent un important vivier d’entreprises et d’emplois créant ainsi un environnement à la fois flexible et rassurant. Les entreprises peuvent faire varier leur masse salariale, sans craindre de ne pouvoir retrouver rapidement des salariés compétents. Les individus disposent d’un marché du travail plus étendu. Ainsi, un grand nombre de personnes vivent à Paris, malgré les difficultés liées notamment au logement. De même, les familles recomposées sont un facteur de métropolisation, les besoins en emploi étant plus variés. En quelques mots... La multipolarité est l’avenir. Les stratégies de spécialisation économique apparaissent comme un choix dangereux. La force de la métropole réside dans sa capacité à permettre le croisement de différents secteurs. Les métropoles doivent cependant développer des stratégies d’attractivité urbaine permettant de se distinguer. La métropole est un laboratoire de solutions innovantes en réponse au besoin d’inventer les formes de la croissance de demain. La métropole permet un système « anthropocentré », en faisant évoluer les mobilités, l’éducation, l’économie, la santé ou encore la culture. 1
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SUR LE VIF Les réactions des participants... Proximité et nouvelles technologies moyennes. Les espaces périphériques, dont le niveau et le mode de vie sont proches du milieu urbain, connaissent un malaise lié au manque d e communication au sein d’archipels résidentiels de l’entre soi, ainsi qu’aux difficultés de l’industrie, principalement située en zone peu dense. Le modèle de l’Etat Nation est le seul à garantir , une solidarité entre «pôles » et milieu rural. Des métropoles encore trop étroites La solidarité des territoires en question Alors qu’une réforme de la décentralisation est en cours, Maxence Brachet, responsable des relations extérieures à la CCI Nord de France, est préoccupé par son manque d’ambition et la place limitée faite aux métropoles. Pierre Veltz confirme le besoin de rationalisation des pouvoirs locaux, face à un système trop éclaté. Les métropoles doivent être vues dans une acception plus large. La nature transfrontalière de la métropole lilloise, soulignée par Flip Vanhaverbeke, directeur général de Leiedal, ne doit pas constituer une limite. La métropole élargie doit créer un effet moteur pour la périphérie, dont Didier Cousin, président d u C onseil de développement de la porte du Hainaut et membre du CESER est soucieux. Notons que les régions en souffrance sont d’abord celles qui ne bénéficient pas de métropoles. Michèle Mathé, directrice de l’Ecole de la seconde chance Grand Lille, intéressée par l’idée de métropole laboratoire, déplore un développement à deux vitesses des territoires, induit par la polarisation. Myriam Cau, vice-­‐présidente du Conseil Régional Nord-­‐Pas d e Calais, en charge du SRADDT s’interroge sur le regard porté sur l’espace rural, notamment de son décrochage civique. Pour Pierre Veltz, l’inégale répartition des retombées de la croissance pose deux types de problèmes sociaux : ceux des « laissés-­‐
pour-­‐compte » et ceux liés aux qualifications Guy Chautard, de l’Agence de développement et d’urbanisme de Lille métropole, pointe le risque que le monde ne devienne l’atelier d’une élite. C’est un risque de l’hyper-­‐concentration, auquel le système redistributif instauré dans les Etats Nations doit pouvoir pallier, mais qui est accru pour les Cités Etats qui négligent les territoires périphériques. Jean-­‐Francois Stevens, professeur honoraire de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de Lille, pose le problème de la ségrégation : comment les métropoles Georges Salmer, ancien directeur de l’IEMN à l’Université de Lille 1, s’interroge sur le renouveau de la proximité qui parait antinomique avec l’usage massif des nouvelles technologies. Pierre Veltz prend l’exemple du plateau de Saclay, projet qui peut paraitre obsolète. Pourtant, une étude a démontré qu’en dépit des outils technologiques actuels, les co-­‐
signataires d’articles scientifiques sont géographiquement plus proches que dans les années passées. Internet ne permet une vraie communication qu’avec les gens que l’on connait déjà. Il distingue deux niveaux de proximité : l’hyper proximité, des campus ou de l’industrie du numérique et la proximité à la demi-­‐journée, à l’échelle métropolitaine (Paris/Lille). Ce besoin de concentration nait du besoin de partage d ’infrastructures lourdes mais surtout car la créativité humaine nait du face-­‐à-­‐face. Le spectre d’une ségrégation exacerbée peuvent s’investir dans une économie durable ? Pierre Veltz évoque alors la multitude et l’originalité des parcours rencontrés aujourd’hui. Au-­‐delà de l’économie sociale et solidaire, de nouveaux types d’organisation voient le jour telle « l’économie communautaire ». L’écologie, défi des métropoles ? Les coûts énergétiques, la raréfaction des ressources et l’explosion démographique interrogent le modèle de métropolisation selon Guy Chautard. Pour Pierre Veltz, les métropoles contribuent largement à l’effet de serre et au réchauffement mais elles concentrent également les hommes et les activités. C’est néanmoins cette structuration, grâce à l’effet d’échelle, qui est la plus efficace d’un point de vue énergétique. Ce qui est véritablement coûteux, c’est le transport du dernier kilomètre. Enfin, les dépenses énergétiques ne relèvent pas tant de phénomènes urbains mais d’un problème social, celles-­‐ci étant proportionnelles aux revenus. PROCHAINES CONFÉRENCES è Mardi 24 septembre à 17 h au Budascoop à Courtrai. Conférence-­‐débat avec Bernardo Secchi sur la forme de la métropole. è Mardi 26 novembre, à Tournai Conférence-­‐débat avec Claude Jacquier sur la gouvernance des métropoles. Responsables de la publication : T. Baert / S.Flahault Rédaction : C.Féru, M.Csizmadia Mise en page : P.Deparis Crédits photos : P.Chombart, M. Lerouge, G.Bonnel, M. Csizmadia Septembre 2013 
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