L’avant-scène théâtre I9190 IL’avant-scène théâtre
L’actualité
POUR SA 9EÉDITION, Le Standard Idéal,
le festival de la MC93 de Bobigny,
a présenté sur deux grandes
semaines des spectacles venus
de Berlin, de Lisbonne, de Budapest, de
Barcelone. S’il fallait dégager une ligne
de force, on dirait que la dominante a été
au théâtre musical. En forme minimale
pour Desaparecer / Disappear, une mise
en scène du Catalan Calixto Bieito d’après
un conte d’Edgar Allan Poe, dans une
traduction espagnole de Julio Cortazar.
Un acteur très connu en Espagne, Juan
Echanove, disant avec conviction et une
expressivité assumée le texte (très bien
surtitré) et, au piano, belle musicienne
aux allures d’une héroïne d’Edgar Allan
Poe, justement, Maika Makovski qui a
composé pour l’occasion des morceaux
inspirés par la thématique de la disparition.
Un spectacle bref, plus proche du récital
poétique que du théâtre. Tout enveloppé
de lumières, dans un espace sobre, un
moment hors temps. « Un concert dans
la brume », comme le dit Calixto Bieito,
d’après Le Chat noir et le poème
Nevermore. Juan Echanove serait
l’assassin, Maika Makovski l’épouse
morte…
Beaucoup plus imposant était Le
Clavier bien tempéré de David Marton
que l’on commence à découvrir en
France, et notamment grâce à Patrick
Sommier, directeur de la MC93 de Bobigny.
C’est bien « d’après » Jean-Sébastien
Bach qu’est construite cette longue
traversée, d’après un roman hongrois
que l’on découvrait à cette occasion,
un roman de László Krasznahorkai, très
connu dans son pays, La Mélancolie de
la résistance. Une petite ville de province
et la haute délicatesse de l’œuvre de
Bach… La musique est inscrite au cœur
de l’œuvre littéraire par la présence d’un
personnage de musicien, ancien directeur
de l’orchestre municipal. Cet homme
s’est retiré du monde pour tenter
désespérément de découvrir ce qu’il
nomme « une harmonie naturelle »…
Manipulations sociales, politiques, déli-
Airs du temps
La quinzaine
d’Armelle Héliot
tement, sourdes menaces et recompo-
sition vers un nouvel ordre aux allures
noires. Un spectacle qui ressemble, dans
son esprit, aux inventions d’un Christoph
Marthaler. Mais sans l’éclatante férocité
du metteur en scène suisse. Avouons-le,
il y a quelque chose d’un peu languide
dans cette longue traversée, très bien
interprétée. Saluons ces interprètes,
musiciens, chanteurs. Ils viennent de la
Schaubühne et c’est en allemand qu’a
été donné ce Clavier bien tempéré qui
devait être ensuite présenté à Berlin.
Autre production ample, The Fairy
Queen par une troupe venue de Lisbonne,
le Teatro Praga (La Peste) et les musiciens
du groupe Os Músicos do Tejo. The Fairy
Queen, on le sait, est un ouvrage ensor-
celant qui lie Le Songe d’une nuit d’été
de William Shakespeare et une compo-
sition magnifique de Henry Purcell.
Louons d’entrée les chanteurs, solistes et
chœur, excellents et très vaillants. Raquel
Camarinha, Rossano Ghira, João Sebastião,
Nuno Dias et le chœur Olisipo avec Elsa
Cortês, Lucinda Gerhartd, João Moreira,
Armando Possante. Et une troupe de
tournage et de jeu très ample. Plusieurs
« chefs » à la tête de ce spectacle très
long mais sans tension extrême. Cette
proposition d’après Fairy Queen est cen-
sée se dérouler dans les coulisses d’un
plateau de télévision… mais il faut lire les
explications pour saisir cette « drama-
turgie ». On a plus le sentiment d’une
petite bande qui s’amuse et se pense
très audacieuse. Mais la vérité est que tout
ce qu’il y a de profond, de dérangeant
dans l’ouvrage extraordinaire de William
Shakespeare est évité… Étrange. Une
manière de refuser de voir, de refuser de
représenter. C’est très frappant pour ce
qui concerne les amours de Titania et
d’un âne ! Quant au surgissement de
En plein hiver, le festival Le Standard Idéal réveille les esprits engourdis. Mais
c’est sans doute aux Bouffes du Nord avec
Katia Kabanova
vue par André Engel,
à l’Athénée avec
Divine
dansée et jouée par Daniel Larrieu, avec
L’Épreuve
mise
en scène par Clément Hervieu-Léger, que le théâtre a été à son sommet au début
de l’année.
Desaparecer / Disappear d’après Edgar Allan Poe, mis en scène par Calixto Bieito dans le cadre du festival Le Standard Idéal à la MC93.
© David Ruano