REVUE TRACÉS n°3 - été 2003
entre l’acte et la puissance), husserlienne de schème (médiateur entre la somme des
expériences passées et les principes de perception et de comportement à venir),
merleau-pontienne d’habitude (schéma corporel), et schützienne de réflexivité (entre
stratégies et routines). Héran adopte une posture passeronienne en effectuant ce
travail d’historicisation et de sténographisation du concept d’habitus.
Tout concept polymorphe doit être sténographié au double sens du terme :
indexé à des analyses historiques présentes, mais aussi retracé dans son parcours. Pris
comme insularité théorique dans un premier temps (du fait de son parcours retracé
et de son indexation), le concept polymorphe se trouve préservé de la déliquescence.
Car le chercheur garantit sa circulation future en explicitant les présupposés théoriques
et empiriques que le concept contient. Il évite ainsi de le déconnecter de sa logique
énonciative (donc de son cadre théorique) et de ses coordonnées spatio-temporelles
(cadre empirique)1. C’est ainsi que les concepts polymorphes peuvent garder toute leur
valeur opératoire et ne pas connaître de déperdition de leur pouvoir d’intelligibilité.
En fin de compte, les écarts sémantiques se dessinent en regard des acceptions anté-
cédentes. Sans ces écarts sciemment opérés, le pouvoir d’intelligibilité se perdrait et
la réutilisation du concept serait stérile.
Réindexer un concept polymorphe se marque symptomatiquement dans les
notes de bas de page, lieu par excellence de l’explicitation des présupposés théoriques.
E. Goffman procède de cette manière pour définir les «institutions totalitaires»,
note 2, p.462. La démarche inductive l’amène à une définition idéal-typique
permettant ensuite des développements comparatifs entre les différents types
d’institutions aux traits structuraux communs. Il met en regard sa propre mono-
graphie de l’Hôpital psychiatrique de Sainte Elizabeth de Washington de 1955-1956
1.J-.P. Olivier de Sardan, op. cit., p.151 : « …toute conceptualisation, aussi théorique soit-elle, garde toujours
quelque trace d’une expérience empirique, et l’on ne se débarrasse jamais complètement de situations, c’est-
à-dire de coordonnées spatio-temporelles. Les concepts en sciences sociales ne peuvent être purement abs-
traits ou formels, désindexés de tout contexte (…) Aussi polymorphes que puissent être certains concepts,
ils incorporent toujours, pourrait-on dire, de la référence. »
2.« La notion d’institution totalitaire est apparue à plusieurs reprises dans la littérature sociologique sous des ap-
pellations différentes, et certaines des caractéristiques de la catégorie ont déjà été mises en évidence, notam-
ment par Howard Rowland, dans un article remarquable, mais peu connu : ‘Segregated Communities and
Mental Health’, in Mental health publications of the american association for the advancement of science, n°9, éd.
par F.R. Moulton, 1939 […] Le terme de Total a été également employé dans la présente acception par Amitai
Etzioni, ‘The Organizational Structure of ‘Closed’ Educational Institutions in Israel’, in Harvard Educational
Review, XXVII, 1957, p.115. »
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