La politique industrielle chinoise

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PETITS DEJEUNERS ECO
memo
La politique
industrielle
chinoise
Séance des Petits déjeuners éco avec
M. François Blanc, Conseiller économique, Chef du Service
économique - Service économique de Shanghai - Consulat
général de France)
4 avril 2012
Introduction
L’essor économique de la Chine est avant tout tiré par
son secteur secondaire qui représente 47% du PIB
notamment grâce à une politique industrielle poursuivant
un objectif d’indépendance vis-à-vis de l’étranger. L’Etat
se positionne au cœur de cette politique industrielle en
étant à la fois planificateur, régulateur et acteur direct de
l’économie, ce qui fait de la politique industrielle chinoise
une politique industrielle tout à fait différente de celle de
l’Union Européenne et des Etats-Unis.
1. Etat planificateur
L’Etat guide la politique industrielle à travers ses plans
quinquennaux qui définissent 5 zones de développement
pour l’industrie :
71 boulevard Raspail
75006 Paris - France
Tel : +33 1 75 43 63 20
Fax : +33 1 75 43 63 23
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• les campagnes : réservoir de main d’œuvre ;
• les zones économiques spéciales : attirer les
investissements directs à l’étranger ;
• les espaces entourant les villes : entreprises
polluantes ;
• le Go West : développement des infrastructures
publiques ;
• les grandes villes côtières : montée en gamme de
l’industrie.
Le 12ème quinquennal (2012-17) met l’accent sur le
rééquilibrage du modèle de croissance, la correction des
externalités et la montée en gamme de son industrie à
travers 7 secteurs industriels stratégiques. Ces plans
participent d’un véritable centralisme démocratique
dans lequel les propositions de projet industriel sont
issues des collectivités locales qui représentent 75% de
l’investissement.
En parallèle aux plans quinquennaux, l’Etat conduit des
plans thématiques complémentaires dont un plan de
développement des infrastructures chinoises : ports,
aéroports, barrages, ponts, autoroutes, chemins de fer,
métros (30 à 40% du marché mondial du métro). La Chine
s’est lancée dans le réseau ferroviaire à grande vitesse qui
a pour vocation à mailler l’ensemble de l’Est chinois.
L’Etat conduit aussi un ambitieux plan d’appui à la
recherche (2006-2030) visant :
• le développement industriel ;
• la montée en gamme ;
• l’indépendance technologique.
La recherche et développement, menée principalement
par les entreprises industrielles, est présentée comme une
obligation pour faire face à la hausse des coûts en Chine et
permettra l’amélioration de la compétitivité par l’innovation,
la montée en gamme de l’industrie et l’appropriation
des technologies par les entreprises nationales. Cette
priorité se traduit par une augmentation significative des
dépenses en recherche et développement qui doivent
passer de 0,7% du PIB en 2006 à 2,6% en 2030. Cette
rapide progression a fait passer la part de l’effort chinois
dans la recherche mondial de moins de 5% en 2003 à
10% aujourd’hui (soit le niveau du Japon).
Part des dépenses de recherche dans le total mondial
Source : OCDE, Eurostat, R&D Magazine
Il convient ici de relativiser l’effort de recherche chinois
qui reste encore très faible en proportion de son PIB
comparé aux Etats-Unis, aux tigres asiatiques et à l’Union
Européenne. Un autre aspect important qui distingue le
Japon de la Chine est la part de la recherche fondamentale
dans la recherche totale qui n’est que de 5% en Chine,
très inférieure au Japon.
Cartographie de l’effort de recherche mondial en
parité pouvoir d’achat
(Taille des bulles en fonction des dépenses de R&D en
valeur absolu)
Source : OCDE, FMI, CIA, R&D Magazine
2
Par ailleurs, la Chine adopte une approche bottom-up en
ce qui concerne l’innovation technologique en acquérant
les technologies étrangères pour les réutiliser en les
améliorant. Ainsi, l’Etat a mis en place une forte incitation
aux transferts technologiques (obligation de constitution
de JV, obligation de fabrication locale lors des appels
d’offre, incitation au dépôt de brevet par les entreprises
chinoises…).
2. Etat régulateur
Dans ce pilier de la politique industriel, l’Etat chinois adopte
une attitude plus conventionnelle en recourant à 3 types
d’intervention :
1. L’Etat conduit
investissements
la
politique
relative
aux
L’Etat qui a publié en 2011 un catalogue des investissements
étrangers (NDRC), recherche un équilibre entre attractivité
et protection du marché intérieur. Par ailleurs, l’Etat met en
place des dispositions juridiques permettant la protection
des droits de propriété intellectuelle tout en mettant la
priorité sur le rattrapage technologique.
2. L’Etat définit des orientations sectorielles
L’Etat recherche la consolidation sectorielle de façon
à permettre aux entreprises de dégager de plus gros
bénéfices afin de mieux investir dans la recherche &
développement. Il y a en ce moment une importante
réflexion sur la constitution des monopoles et ententes
notamment dans le secteur téléphonique où une
réglementation anti-monopolistique a permis de briser
une entité illégale entre China Telecom et China Unicom.
L’Etat tente aussi de mettre en place des mesures visant
à l’amélioration de l’efficacité environnementales des
entreprises.
3. L’Etat met en place des incitations pour accroître
l’attractivité des territoires
L’Etat recourt aux subventions pour orienter le
développement à l’étranger des entreprises chinoises
(grands contrats, banque dédiées à l’expansion des
entreprises chinoises à l’exportation), à une fiscalité
attractive pour orienter les investissements à l’intérieur
(ZES, Go West) et à des subventions de soutien à la
consommation pour favoriser la consommation des
ménages chinois (le plan de relance de l’économie
chinoise en 2008 a mis en place un système de bons
d’achat à destination des ménages ruraux pour favoriser
l’achat d’équipements produits en Chine).
3. L’Etat acteur direct de l’économie
L’Etat est un acteur direct de l’économie chinoise par
l’importance de sa commande publique (notamment pour
le développement des infrastructures) dont les montants
sont extrêmement élevés : 1000 Md USD par an. Ceci
démontre un patriotisme économique actif malgré les
risques de tensions commerciales avec ses partenaires
économiques. En effet, la Chine qui répond aux appels
d’offres publiques à l’étranger n’a jusqu’à présent pas
signé l’accord OMC sur l’accès au marché public.
Le cœur du modèle chinois est ainsi formé par les
entreprises publiques qui se sont assainies dans
les années 1990. Celles-ci mènent véritablement le
développement industriel du pays notamment dans les
secteurs stratégiques.
4. Constat de résultat et limites
On assiste à un rattrapage industriel de la Chine très rapide.
Dans de nombreux secteurs, les entreprises chinoises sont
aujourd’hui capables de produire là où elles ne pouvaient
pas le faire avant. Les chinois ont mis en place une
politique d’attractivité en ouvrant le marché chinois sous
condition de production en Chine en en profitant ensuite
pour récupérer les technologies étrangères et produire
nationalement. Aujourd’hui, 80% du marché chinois est
produit par la Chine. Un exemple qui illustre bien cette
nationalisation du savoir-faire est le secteur de l’éolien où
les chinois ont remonté toute la chaîne de production et
peuvent se placer sur des marchés étrangers.
Cependant, il convient d’apporter quelques nuances à
cette réussite industrielle chinoise :
• L’atomisation des secteurs empêche l’émergence
de champions nationaux multisectoriels qui
mobiliseraient des fonds importants pour la
recherche et développement. Une consolidation
multisectorielle doit être envisagée ;
• La Chine reste encore fortement dépendante
de la connaissance étrangère : les technologies
de cœur restent essentiellement étrangères.
Plus surprenant, le rattrapage industriel ne s’est
pas effectué dans les technologies de base : les
entreprises chinoises se heurtent à des cycles de vie
très courts et des barrières à l’entrée (par le montant
d’investissement requis) ou à des cycles de vie très
longs (dans l’industrie pneumatique où s’ajoute à
cela un secret industriel jusqu’ici non pénétré). Le
rattrapage industriel a « échoué » particulièrement
dans 2 secteurs : l’automobile (60% du marché
chinois reste de marque étrangère) et la fonderie
électronique. Cet échec dans ce dernier secteur
peut s’expliquer par l’imperméabilité de Taïwan
qui bloque l’acquisition de technologie mais plus
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simplement par un manque d’investissement des
entreprises chinoises ;
• Le rattrapage industriel chinois a été rendu possible
par à la commande publique alors que la demande
privée peine à démarrer. Les autorités chinoises,
consciente de ce problème, se sont données pour
objectif de relancer la consommation notamment
suite aux effets dépressifs de la crise économique
mondiale, en autorisant un doublement du salaire
minimum en 5 ans. Tout un ensemble de politiques
a été mis en place parfois de façon contradictoire
comme par exemple dans le secteur de l’agroalimentaire où les subventions à l’exportation
dirigent les produits agro-alimentaires vers
l’étranger alors que la Chine n’arrive pas à répondre
à ses propres besoins (demande alimentaire et
inflation des prix) ;
• S’ajoute à ces lacunes, un problème persistant de
qualité des produits comme le montre les incidents
sur la ligne ferroviaire à grande vitesse entre Pékin
et Shanghai ;
• Un manque d’exposition aux marchés
internationaux ne permettent pas aux entreprises
chinoises de se « frotter » à une concurrence qui
pourrait se révéler bénéfique pour celles-ci ;
• Il convient de se poser la question de la durabilité
environnementale de ce modèle.
Nous dirigeons-nous vers une remise en cause des
entreprises publiques chinoises ?
5. Quelle réaction face au défi chinois ?
La plupart des conclusions en Europe ou aux Etats-Unis
tendent à dire que le modèle chinois ne peut pas durer
quand bien même l’essor économique dure depuis 30 ans.
Il nous faut opérer un changement de notre perception de
cet essor chinois et se demander comment cela peut-il
encore durer. La politique industrielle européenne est
située aux antipodes de celles de la Chine : un « ajustement
culturel » est nécessaire. L’imprécation et la tentation du
repli (quitter le marché chinois) ne sont pas des solutions.
• Réfléchir à une politique d’accueil
investissements étrangers (CFIUS).
des
Remarques
Taille du secteur public chinois
Le périmètre du secteur public englobe des entreprises
publiques au niveau central (dont une seule a noué
une JV avec une entreprise étrangère : Alcatel) et des
entreprises au niveau des collectivités locales qui se
sont considérablement diversifiées (banque, industrie,
immobilier).
Identification des problèmes
Il est étonnant de voir à quel point les problèmes en Chine
sont parfaitement identifiés et des réformes importantes se
mettent en place pour favoriser une harmonisation sociale.
En revanche, certaines réformes se révèleront beaucoup
plus sensibles à mettre en œuvre notamment la réformes
des entreprises publiques qui sont devenues des groupes
d’intérêts très puissants. Le gouvernement chinois sait très
bien identifier les réformes à mettre en œuvre mais sera-t-il
capable de les imposer ?
Soutenabilité du modèle chinois
• Le risque pour la croissance chinoise se situe
plus à l’horizon 15-20 ans qu’à l’horizon 3 ans. La
Chine possède les moyens de s’en sortir à court
terme car elle bénéficie de réserves de change
très importantes mais cela n’est plus valable à
long terme. Les banques qui sont surendettées ne
pourront pas être sauvées plusieurs fois ;
• Le véritable problème ne réside pas tant dans
la valeur du Yuan que dans le cœur de son
modèle industriel à savoir : un système financier
absolument programmé pour l’investissement
industriel sous forme de commandes publiques à
destination de champions nationaux ;
• Il sera nécessaire de réformer le système financier
pour ne plus avoir un capital à taux nul voire négatif,
pour offrir la possibilité d’épargner et attribuer
le crédit selon une vraie politique de gestion des
risques.
L’Europe doit retravailler sa politique industrielle en mettant
l’accent sur au moins 4 éléments :
• Augmenter les moyens en faveur de la recherche
& développement (l’exemple français du crédit
impôt/recherche (CIR) est une réussite) et assurer
la protection des droits de propriété industrielle ;
• Améliorer la réciprocité concernant l’accès au
marché intérieur : la Chine n’offre rien de crédible
sur l’accès au marché public chinois, il n’y a donc
pas de raison que l’Union Européenne n’en fasse
pas de même ;
• Repenser les règles de l’OMC : imposer des droits
à un pays ne doit pas être forcément confondu
avec du protectionnisme ;
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