Pourquoi la psychothérapie – Ed. Dunod
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LA PSYCHOSYNTHESE
Une psychothérapie pour réintégrer le centre de l'existence
Tan Nguyen
Psychothérapeute didacticien, superviseur, formateur en psychosynthèse, titulaire d'un Master de
philosophie ; a été secrétaire général et vice-président de la FFdP.
Comme toute histoire, celle de la psychosynthèse commence par une rencontre.
En 1909, Jung rencontre le jeune Roberto Assagioli venu effectuer un stage dans la fameuse
clinique suisse du Burghölzli dirigée par Bleuler dont il était l'adjoint. Jung écrit alors à Freud :
« Parmi les oiseaux migrateurs [...] notre premier Italien, un certain docteur Assagioli, de la clinique
psychiatrique de Florence. Ce jeune homme est très intelligent, et paraît très cultivé, un adepte
enthousiaste qui entre dans notre domaine avec le brio nécessaire. »
C'est ainsi que Roberto Assagioli entra en contact avec les milieux psychanalytiques : il devint le
premier psychanalyste italien et le correspondant de la Jahrbuchfür Psychoanalytische und
Psychopathologische Forschungen, l'annuaire de la psychanalyse.
Mais bientôt, Jung et Assagioli, qui étaient des esprits indépendants, allaient diriger leurs
recherches dans une direction différente de l'obédience freudienne. Jung jettera les bases du
processus d'individuation et Assagioli créera en 1926 la bio-psychosynthèse. Signalons la
similitude de leurs recherches d'autant que leurs auteurs garderont une relation épistolaire.
Quels sont les principes fondateurs de la psychosynthèse ?
LES PRINCIPES FONDATEURS DE LA PSYCHOSYNTHÈSE
Psychosynthèse et psychanalyse
La psychanalyse de Freud est apparue à la fin du XIX
ème
siècle pour démonter certaines «vérités »
métaphysiques de la philosophie occidentale à propos de la conscience. Jusqu'à Freud, la
philosophie était basée sur un sujet de raison unifen quête d'une connaissance absolue du
monde et de la nature. La philosophie des Lumières était supposée apporter la libération par un
processus d'illumination (Aufklärung). Descartes faisait référence à un sujet pensant dont le doute
quant à lui-même était la preuve même de son existence. Kant, avec l'impératif catégorique, éleva
la morale au niveau de l’universel.
Freud vint déranger ce tableau en soulignant la nature divisée du sujet et les mobiles cachés de
l'inconscient. Il a introduit une révolution copernicienne en montrant que l'homme occidental n'est
même pas le maître de son âme : « Allez dans votre moi profond, et apprenez d'abord à vous
connaître, et alors vous saurez pourquoi vous devez tomber malade, et peut-être éviterez-vous de
tomber malade. » Freud eut l'ambition de créer une science de l'inconscient, distincte de la
médecine qui négligeait la subjectivité du thérapeute, et de la religion qui pouvait dissimuler les
instincts réprimés. Il déclara à Binswanger qui était alors jeune psychiatre imprégné de philosophie
et de spiritualité :
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« L'humanité, en effet, savait qu'elle était dotée d'esprit ; je devais lui montrer qu'il existe aussi des pulsions.
Mais les hommes sont toujours insatisfaits, ils veulent toujours quelque chose d'entier et d'achevé. »
(Binswanger, 1970, p. 346)
À l'opposé, Assagioli, suivant en cela Jung et Binswanger, réintroduisit la philosophie et la
dimension du spirituel dans la psychothérapie. Il se référait explicitement à la «psychagogie», la
pédagogie platonicienne de l'élévation de l’âme vers l'idéal, et tout en acceptant l'existence de
l'inconscient, proposait de cultiver des qualités transpersonnelles telles que l'amour, la joie, la
beauté. Il plaçait au centre de la psyché, le sujet, le je, distinct des contenus de la conscience et
apportant une perspective unificatrice à la psyché tout entière.
En 1926, il écrivait :
« La psychosynthèse étudie chaque fait psychique en relation à sa connexion vitale avec le centre de
conscience, sur la base de la connaissance et de l'action du Je. »
Ce je est élaboré par la pratique de la sidentification et reflète les énergies du soi (analogue au
soi de Jung qui représente l'entièreté de la psyché, incluant l'inconscient).
Assagioli, tout comme Jung, abandonna le concept de libido en faveur du concept plus large
d'énergie psychique. Il fit la distinction entre différents plans d'inconscient alors que Freud
considérait l'inconscient comme un tout : un plan supérieur ou supraconscient correspondant aux
aspirations créatives, spirituelles et artistiques, un plan moyen qui équivaut au préconscient
freudien, et un plan inférieur ou infraconscient qui ne serait autre que l'inconscient freudien. Dans
un tel schéma, les tendances esthétiques, religieuses seraient là, dès le départ, dans l'inconscient,
prêtes à être conscientisées. L'homme de la préhistoire serait notre égal, disposé, comme nous à
goûter à la beauté et au mystère du monde : les peintures de la grotte de Chauvet nous le
montrent ainsi.
De plus, comme cela fut souligné par le philosophe français Paul Ricœur, la psychanalyse s'est
concentrée sur l'analyse de la construction passée de la personnalité. Freud a dit expressément
qu'une psychosynthèse était inutile puisque, après une analyse approfondie, la synthèse se
produirait d'elle-même :
« Quand nous réussissons à décomposer un symptôme, à libérer un émoi instinctuel de l'association où il se
trouve engagé, il ne demeure pas isomais entre immédiatement dans une nouvelle combinaison... C'est
ainsi que se réalise automatiquement, inévitablement, la psychosynthèse, sans que nous ayons eu à
intervenir. » (Freud, 1910)
En fait, il nous semble qu'un processus de synthèse de la psyché a besoin de s'appuyer sur la
conception d'un sentiment de raison d'être et de devenir. Pour définir ce sentiment, Assagioli a
utilisé le concept de transmutation des énergies psychiques et de synthèse des opposés. Ce
concept fait référence à une téléologie des profondeurs de la psyché, c'est-à-dire à un sens de
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finalité dynamique alors que la psychanalyse freudienne tend vers une régression toujours plus
lointaine dans le passé antérieur.
Ainsi, Assagioli a donné à la psychosynthèse une direction qui diffère de la psychanalyse de façon
radicale. La désidentification en est une notion clé. Assagioli le décrit ainsi :
« Nous sommes dominés par tout ce à quoi nous nous sommes identifiés. Nous pouvons dominer et
contrôler tout ce dont nous nous désidentifions. » (Assagioli, 1965)
Ainsi, si je porte toujours la même chemise, je finis par me confondre avec elle, par croire que c'est
ma peau elle-même. Effectivement, la désidentification de certaines mémoires archaïques
équivaut à un douloureux arrachement à une jouissance morbide, mais elle mène aussi vers une
prise de conscience d'une réalité plus grande du soi que constitue l'entièrede la psyché. « Je »
réalise que j'ai une et même plusieurs chemises, mais que je ne suis pas ma chemise. Le «je»
d'après la désidentification n'est évidemment plus le même que celui d'avant la désidentification.
Ceci ouvre une nouvelle perspective sur les crises morales ou existentielles, sur l'expérience du
deuil et de la perte qu'un individu traverse au cours de la vie. Il ne s'agit alors plus alors de lutter
contre la perte irrémédiable d'une ancienne identirefoulée, mais de s'ouvrir sur une expérience
d'une identité ressentie comme étant plus large, le Soi. La perte et la mort sont incluses dans ce
processus comme faisant partie de l'expérience humaine.
L'inconscient freudien est marqué par la dualité conflictuelle conscient/inconscient, pulsion de
vie/pulsion de mort, ça/surmoi. L'inconscient de la psychosynthèse prend en compte l'existence
des polarités comme une phase nécessaire ouvrant vers une synthèse nouvelle, inconnue au
départ et dépassant l'opposition entre les polarités.
À côté du pas de deux freudiens, Assagioli lance une danse à trois temps : prise de conscience
d'identifications inconscientes, désidentification, puis nouvelle prise de conscience d'un autre « Je
» reflétant un Soi transpersonnel. La phase de synthèse est un tiers inclus dans cette dynamique
alors qu'une logique binaire exclut la synthèse.
Psychosynthèse et psychothérapie humaniste
En 1965, parut aux États-Unis, l'ouvrage d'Assagioli Psychosynthesis, regroupant ses idées
élaborées dans divers articles au cours d'un demi-siècle. Il y brossait un tableau du vaste « travail
» de réalisation de soi de la psyché :
« Si nous considérons la psychosynthèse comme un tout, avec toutes ses implications et développements,
nous réalisons qu'elle ne doit pas être envisagée comme une doctrine psychologique particulière ni comme
une procédure seulement technique.
C'est d'abord et avant tout une conception dynamique et même dramatique de notre vie psychologique
qu'elle décrit comme une interaction permanente et conflictuelle entre d'une part, les différentes forces de
nature diverse, et d'autre part un centre unificateur qui tend sans cesse à les contrôler, harmoniser et utiliser.
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Par ailleurs, la psychosynthèse utilise de nombreuses techniques d'action psychologique, visant d'abord le
développement et perfectionnement de la personnalité, et ensuite sa coordination harmonieuse et
son
unification croissante avec le soi. Ces phases peuvent être respectivement appelées "personnelle" et
"spirituelle". »
Ainsi, Assagioli décrivait une vue d'ensemble d'un chemin de réalisation personnelle qui incluait à
la fois le parcours psychothérapeutique et l'aspect éducation, développement personnel, formation,
inhérent à ce chemin. Ce travail psychique implique :
o
une utilisation des énergies de l'inconscient devenues disponibles grâce à l'analyse ;
o
le développement des aspects de la personnalité déficients ou inadéquats ;
o
la coordination des différentes énergies et fonctions psychologiques dans le nouvel
ensemble de la personnalité ainsi créé.
C'est un vaste programme que décrit Assagioli ! Il précise que les différentes phases et thodes
sont imbriquées ensemble et ne sont pas dans un ordre séquentiel :
«Un être humain n'est pas un immeuble dont les fondations doivent d'abord être posées, puis les murs
érigés, et finalement le toit surajouté. Le vaste programme intérieur de la psychosynthèse peut être entrepris
à partir de points de vue et d'angles différents en même temps, et les différentes méthodes et activités
peuvent être judicieusement alternées pendant des cycles plus ou moins longs, suivant les circonstances et
les conditions internes. » (id. p. 29)
Cette méthodologie a de quoi séduire les tenants de la psychothérapie humaniste qui avait
émergé aux États-Unis dans les années soixante en s'appuyant sur les travaux d'Abraham Maslow
et de Carl Rogers, entre autres. Ce courant avait donné naissance à une profusion de techniques
de psychothérapie effectuant une prise en compte du corps, des émotions et du fonctionnement
mental. C'était alors une période de créativité quelque peu anarchique incarnée par le pittoresque
créateur de la Gestalt-thérapie, Frederick Perls.
La psychosynthèse apportait un plus à ce mouvement par son cadre intégrateur et son esprit
d'élaboration et de construction. Elle donnait un sens à la dynamique du travail sur soi. Elle
permettait aussi d'intégrer un vaste éventail de techniques ajustées aux besoins individuels :
musicothérapie, dessin, catharsis, analyse, etc. Assagioli avait créé la première psychothérapie
intégrative de l'Occident. En 1970, une délégation de psychothérapeutes américains provenant de
l'institut Esalen, berceau de la psychothérapie humaniste, vint rencontrer le sage de Florence et
étudier avec lui. Ces Américains qui avaient un esprit de pédagogue, allaient organiser la
pédagogie de la psychosynthèse sous forme de stages et d'enseignement structuré, ce que le
fondateur avait peu fait jusqu'alors. Durant la cennie 1970-1980, la psychosynthèse connut un
certain essor aux États-Unis : certains de ses termes (désidentification, subpersonnalités) seront
pillés par d'autres méthodologies plus soucieuses d'efficacité et de rentabilité.
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LE CADRE DE LA PSYCHOSYNTHÈSE
Une psychothérapie s'effectue à travers la rencontre entre le thérapeute et le client/patient dans un
cadre donné. Quelles sont les caractéristiques du cadre de la psychosynthèse ?
Un cadre flexible et structuré
La psychosynthèse est un système ouvert : son cadre de travail thérapeutique reflète cette
caractéristique fondamentale. Le travail s'effectue principalement sous forme de séances
individuelles, bien que le format du groupe puisse également être adopté. Le rythme des séances
est ajusté aux besoins du client/patient. Ce dernier est dans une position face à face avec le
thérapeute, bien qu'à l'occasion, il puisse se trouver allongé sur le divan pour un travail analytique,
un travail corporel ou cathartique. Des tâches peuvent lui être prescrites entre deux séances pour
mieux intégrer une prise de conscience ou essayer un nouveau comportement.
De cette description de la clinique de la psychosynthèse, il pourrait ressortir l'impression que cette
psychothérapie serait un syncrétisme de diverses approches, allant de la psychanalyse à la
thérapie comportementale et cognitive. En fait, c'est le cadre qui donne son unité à cette approche
et les techniques ne sont que des outils pour renforcer ou faire émerger le processus de synthèse.
Un thérapeute en psychosynthèse. Molly Brown, écrit dans The Unfolding Self (1983) :
« Nous avons besoin de reconnaître et d'accepter chaque client quels que soient son niveau de conscience,
ses talents et ses problèmes, et d'assister cette personne lors de son pas suivant dans le processus de
synthèse. »
Une telle pratique requiert du thérapeute une écoute extrêmement fine pour bien analyser la
nature de la problématique du client, ce qui demande de ne pas l'enfermer tout de suite dans une
seule grille de lecture. Le thérapeute doit donc avoir une culture assez large dans le domaine de la
psychothérapie et une connaissance des différentes grilles de lecture (psychanalyse,
psychosynthèse- cognitivisme, psychothérapie humaniste) et de l'avancée des recherches dans le
domaine.
Le cadre théorique et clinique, la formation du thérapeute et ses représentations, les attentes du
client/patient venant consulter en psychosynthèse, sont autant d'éléments qui constituent le champ
de la psychosynthèse clinique. Qu'est-ce qui différencie ce champ d'un autre champ comme celui
de la psychanalyse ou de la psychothérapie humaniste ? Reprenons les idées d'Assagioli :
o la coexistence et imbrication de différentes zones de l'inconscient (inférieur, moyen,
supérieur). Tous les matériaux de l'inconscient sont donc à considérer dans une interaction
dynamique ;
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