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Le but de cet ouvrage est de mettre en relief une des explications de la
rupture entre Juifs et chrétiens. Une explication parmi d’autres, certes, mais
qui à notre avis est si fondamentale que d’elle découlent les autres. Il s’agit
de la question du nom divin et de son traitement dans la Bible, en particulier
dans le Nouveau Testament. Surabondant dans les récits de l’Ancien - il y
figure près de 7000 fois - on ne le rencontre plus du tout dans le Nouveau
Testament (du moins dans les manuscrits qui nous sont parvenus) : Dieu est
désigné par les substantifs « Dieu », « Père », ou « Seigneur ». Le nom divin
dans la Bible a toujours suscité des réactions diverses, et c’est très
significatif. Il est incontestable que ce nom paraisse dans l’Ancien
Testament : on l’y rencontre, plus qu’aucun autre nom, sous les quatre lettres
YHWH, en hébreu
hwhy. Une superstition juive (devenue tradition) a
répandu l’idée que ce Nom était « trop sacré pour être prononcé », si bien
que la vocalisation de ce Nom, depuis longtemps, pose problème et
contribue à la surenchère des substituts : Éternel, Seigneur, a ou YHWH
figurent souvent en lieu et place du glorieux nom divin.
Dans le Nouveau Testament, donc, Dieu s’appelle couramment ku,rioj
(kyrios), Seigneur. Pourquoi ne l’appelle-t-on plus par son nom hwhy ? Le
Nom est-il gênant, ou est-ce l’esprit d’un universalisme syncrétique qui
souffle ? C’est d’autant plus curieux que dans la Bible, Dieu affirme que son
Nom doit passer les générations, durer à l’infini, être proclamé parmi toutes
les nations. Si donc le Dieu des Juifs souhaitait que son Nom soit publié par
toute la terre, pourquoi n’a-t-il pas veillé à sa préservation ? et cela en
commençant par préserver ne serait-ce que sa vocalisation ? On pourrait
penser en toute logique que si cette vocalisation s’est perdue, c’est tout
simplement parce qu’elle n’est pas importante. Convient-il donc,
aujourd’hui, d’employer un nom reconstitué, et restitué au moins dans
l’Ancien Testament où il figure sans conteste ? Voilà les deux questions qui
vont être à la base de notre propos.
Nous allons cependant concentrer notre attention sur un problème bien
plus délicat, qui est celui du nom divin dans les Écritures grecques
chrétiennes, en réponse à l’ouvrage de Lynn Lundquist, The
Tetragrammaton and the Christian Greek Scriptures1. Comme nous l’avons
évoqué en effet, aucun manuscrit du Nouveau Testament ne mentionne le
tétragramme, nom propre par excellence du Dieu d’Israël. Entre rupture et
continuité, les écrits néotestamentaires laissent donc un sentiment étrange
quant à leur héritage : le nom sacré de Dieu n’est repris que sous la forme
hellénisée d’un titre assez commun à l’époque, ku,rioj. Or, le problème surgit
de la confusion dans l’emploi de ce titre. Ku,rioj peut désigner aussi bien
YHWH que Jésus Christ. Cela a inévitablement engendré une grande
confusion sur l’identité de Jésus, qui a été assimilé, par ce titre commun de
Seigneur, à Dieu lui-même… À notre avis, cette confusion sur l’identité du