Introduction
Dans les mers tempérées, les côtes rocheuses sont dominées, dans les zones les plus
préservées, par des forêts de grandes algues brunes telles que les kelps, les laminaires et les fucales.
La plupart de ces espèces sont considérées comme des espèces ingénieurs de l’écosystème, assurant
de multiples fonctions. De par leur structure physique, elles augmentent la complexité
tridimensionnelle et l’hétérogénéité spatiale des fonds rocheux. Elles offrent également refuge et
nourriture pour de nombreux invertébrés et poissons à différents stades du cycle de vie, ce qui leur
confère une importance écologique considérable (Cheminée et al., 2013). Ces forêts de grandes
algues brunes forment des micro-environnements, avec une canopée exposée à la lumière, soumise
à des conditions environnantes très variables et une sous-strate ombragée et plus protégée (Dayton,
1985). En Méditerranée les grandes algues brunes sont représentée principalement par une
trentaine d’espèces de Cystoseira, pour la plupart endémiques de cette mer (Cormaci et al., 2012).
Les forêts de Cystoseires jouent ainsi un rôle fonctionnel important dans les écosystèmes côtiers
méditerranéens, en soutenant les réseaux alimentaires complexes et en maintenant une grande
biodiversité (Ballesteros et al., 1998 ; Cheminée et al., 2013). L’importance écologique et les menaces
qui pèsent sur les Cystoseira ont permis de lister plusieurs espèces dans la convention de Berne de
1979. Depuis 2010, le nouvel amendement de l’annexe II de la convention de Barcelone (1992)
protège toutes les espèces du genre Cystoseira à l’exception de Cystoseira compressa.
En effet, depuis le début du 19ème siècle, les habitats naturels marins de l’infralittoral rocheux
ont subi d’importantes modifications fonctionnelles et structurelles, causées par une augmentation
des impacts anthropiques, principalement dû aux aménagements du littoral et par des perturbations
naturelles (Airoldi et al., 2007). Des études menées sur les forets marines à cystoseires réparties le
long du littoral Méditerranéen ont constaté une dégradation importante voire une disparition totale
de certaines de ces populations. Le long des côtes d’Albères (sud de la France) seules 5 sur 14
espèces de Fucales (Cystoseira et Sargassum) signalées comme abondantes en 1912, étaient encore
présentes en 2003 (THIBAUT et al., 2005). Des résultats similaires ont été observés au sud de la mer
Adriatique et le long des côtes des mers Tyrrhénienne et Ligure (Benedetti-Cecchi et al., 2001 ;
Mangialajo et al., 2008). Comme le démontrent des études récentes (THIBAUT et al., 2005), les
espèces Cystoseira sont très sensibles à plusieurs perturbations d’origines anthropiques.
L’augmentation des aménagements du littoral semble être un facteur clé puisqu’il provoque la
destruction des habitats côtiers, la modification des caractéristiques environnementales comme
l’hydrodynamisme, les charges de sédiments et nutriments, et conduit à l’augmentation de polluants
chimiques dans le milieu (Sala et al., 2012). La perte de Cystoseira spp. a aussi été attribuée à
d’autres facteurs, tel que leur faible pouvoir de dispersion, le changement climatique et l’action des
herbivores (Guern, 1962). En effet, malgré un potentiel reproductif élevé avec une grosse production
de zygotes, les espèces du genre Cystoseira spp. ont une dissémination très faible, limitée à
quelques dizaines de mètres seulement (Mangialajo et al., 2012). C’est une stratégie reproductive
favorisant la formation de peuplements spécifiques denses mais limitant la dispersion. Cette
dispersion limitée ne permet pas de recoloniser des zones perdues ou dégradées, en particuliers si
les zones concernées sont de grande taille (Soltan et al., 2001). A cela s’ajoute la pression des
herbivores, parfois causée par la surpêche de leurs prédateurs. En Méditerranée, les oursins
communs (Paracentrotus lividus et Arbacia lixula) peuvent également affecter la répartition des
forêts de Cystoseira puisqu’ils sont généralement considérés comme les herbivores les plus efficaces