Politique monétaire
Perspectives Macro - N°130 – 4e trimestre 2010 5
Assurance tout risque
La Fed se montre intransigeante à l’égard du risque de déflation et préfère adopter une démarche préventive pour
conjurer cette menace. Elle est de nouveau prête à créer de la monnaie pour boucher les points d’entrée de la
mécanique déflationniste. Il s’agit de mettre un couvercle sur les taux, de guider les anticipations d’inflation et de faire
baisser le dollar, ce dernier effet étant selon nous le dessein inavoué, car inavouable, de la Fed.
On a souvent taxé la BCE de faire preuve de dogmatisme et d’avoir une sensibilité trop forte au risque inflationniste.
Aujourd’hui, la Fed démontre un même degré d’intransigeance à l’égard du risque de son contraire, à savoir la
déflation. Les différences historiques et culturelles expliquent sans doute ce grand écart. La Fed baigne depuis toujours
dans le trauma de la Grande Dépression des années 30 alors que l’hyperinflation de la République de Weimar (1919-
1925) a modelé le corpus analytique de la BuBA dont a hérité en partie la BCE.
Cette aversion extrême au risque de déflation a conduit la Fed à adopter récemment un biais en faveur de plus
de stimulus monétaire pour soutenir la reprise et ramener l’inflation sur un rythme en accord avec son mandat.
L’inflation se situe effectivement en deçà de la cible implicite de 2% de la Fed et, selon ses propres termes, « quelque
peu en deçà des rythmes qu’elle juge compatibles, sur le long terme, avec son double objectif de plein emploi et de
stabilité des prix ». Elle ne prononce pas le mot de déflation mais, manifestement, sa perception du risque s’est accrue.
Le risque de déflation est réel, mais selon nous, pas aussi menaçant que semble le craindre la Fed, en tout cas
pas dans sa forme la plus sévère de déflation par la dette. Le processus de désinflation à l’œuvre est surtout dû
aux effets retardés de la profonde récession qui a sévi à la jonction 2008-2009. Tous les ingrédients − de la réduction
du levier d’endettement en passant par la chute du prix des actifs financiers, de la profitabilité des entreprises, de la
confiance et de l’activité – ne sont pas présents aujourd’hui pour conclure à l’enclenchement d’une nouvelle spirale
déflationniste, similaire à celle qui se profilait à l’automne 2008. La crainte de la Fed porte vraisemblablement plus
sur le risque d’une déflation « à la japonaise », pas forcément pernicieuse, mais rampante et persistante.
D’après nous, même ce scénario n’est pas le plus probable. Mais face à la faiblesse actuelle et à venir de l’inflation
sous-jacente, il est facile d’imaginer que l’inquiétude de la Fed à l’égard de la stabilité des prix aura du mal à se dissiper
et qu’elle trouvera nécessaire d’agir.
Selon notre analyse, le processus de reprise est toujours en marche aux États-Unis. La première phase d’accélération,
liée au redémarrage mécanique et assez rapide de l’activité, lui-même aidé par l’action volontariste des pouvoirs publics
doit laisser progressivement place à une phase de consolidation lorsque les créations d’emplois et la hausse des
revenus prennent le relais pour soutenir la demande et déboucher sur un processus auto-entretenu de croissance.
Néanmoins, ces facteurs autonomes de croissance vont être bridés par des freins structurels importants avec la
nécessité de purger dix années d’excès financier. Les États-Unis doivent se résoudre à vivre au ralenti pendant
une période prolongée, le prix à payer pour avoir longtemps vécu au-dessus de leurs moyens. Le processus de
désendettement sera long, douloureux mais inévitable et l’environnement de taux bas favorise actuellement un
débouclage ordonné de ces déséquilibres financiers. La Fed doit être consciente de l’impact modeste sur la croissance
à attendre d’un nouvel assouplissement quantitatif (même de grande ampleur) : sa démarche se veut avant tout
préventive et s’inscrit dans une logique de type assurantiel (du risk management). La Fed semble sans doute
considérer qu’elle prend peu de risques à en faire trop sachant que la déflation est bien le fléau le plus à
redouter dans des économies très léveragées.
Mais ce n’est pas totalement sans risque. En 2002, la Fed brandissant cette même menace déflationniste, a
procédé à deux nouvelles baisses de taux (en novembre 2002 et juin 2003) et a maintenu ensuite un biais
accommodant pendant une « période considérable », ce qui, on le sait a posteriori, a alimenté une bulle de crédit
majeure sur un tandem immobilier-ménages. Aujourd’hui, même s’il est peu probable qu’un surcroît d’offre de
monnaie nourrisse l’effet de levier ou relance à tout va le crédit, la liquidité ainsi créée peut, en allant se
déverser dans la sphère financière, introduire des distorsions au niveau des prix d’actifs et pousser à la
surchauffe certains segments de marché. Il est déjà difficile d’expliquer la configuration actuelle des marchés sauf à
invoquer un excès de cash, à la recherche de rentabilité, avec en filigrane des paris de courte vue défiant tout schéma
de cohérence globale. Ainsi, l’or, la valeur refuge par excellence et les métaux qui traquent le cycle industriel montent
de concert. Le yen et le dollar australien, deux monnaies aux antipodes de l’échelle du risque, s’apprécient en même
temps. Les actions risquées et les obligations sans risque évoluent en phase. Ouvrir davantage le robinet dans ce bain
de liquidité risque de faire de la mousse, pour ne pas dire de petites bulles ! La Fed peut certes rectifier le tir rapidement
(en drainant au besoin ce trop plein de liquidité) si ces perturbations financières ne se corrigent pas d’elles-mêmes,
mais elle a souvent rechigné à le faire de peur de générer de l’instabilité…
A moins que finalement le dessein inavoué de la Fed soit de faire baisser le dollar… La planche de salut pour une
économie dont le moteur traditionnel de croissance apparaît durablement grippé. Car si on peut douter de l’efficacité de
ce nouvel assouplissement quantitatif pour soutenir l’activité via notamment la mise sous influence de la courbe des
taux publics (la référence sur laquelle se forment les taux de marché), le canal du change a, lui, toutes les chances de
fonctionner. Il suffit pour s’en convaincre de voir la réaction des marchés dans le sillage du communiqué de la Fed avec
un affaiblissement généralisé du billet vert. Mais à quel prix… Si le dollar devient une telle arme, le danger est
d’être lancé dans une course à la dévaluation compétitive à l’heure où le Japon intervient déjà en direct sur le
marché des changes pour enrayer la hausse du yen et où la Chine fait la sourde oreille et maintient un
couvercle sur le yuan. Au centre, l’Europe parait bien désarmée et la principale victime de cette absence de
coopération internationale.
Hélène BAUDCHON Isabelle JOB
helene.baudchon@credit-agricole-sa.fr isabelle.job@credit-agricole-sa.fr