N°130 – 4e trimestre 2010
Achevé de rédiger le 5 octobre 2010
Une équation à deux inconnues
Il y a trois mois, tous les regards étaient tournés vers l’Europe en raison du risque qui pesait sur les pays périphériques de la zone
euro. Aujourd’hui, les interrogations concernent surtout les États-Unis. La révision à la baisse des prévisions de croissance (pour
plusieurs années plutôt que pour quelques trimestres) pose de manière insistante la question des moyens à mettre en œuvre pour
améliorer les perspectives économiques.
A l’horizon des prochains trimestres, les risques de baisse excessive de l’inflation et d’un taux de chômage durablement élevé
plaident pour le lancement rapide d’une nouvelle initiative de soutien à l’économie. Dans un monde idéal, la meilleure réponse à la
situation actuelle reposerait sur le couplage des politiques monétaire et budgétaire. A Washington, on se préoccupe toutefois
davantage de politique que d’efficacité et, dans la situation politique actuelle, il sera difficile aux hommes politiques de soutenir des
mesures de relance budgétaire. Une approche à la fois budgétaire et monétaire étant peu probable, on voit mal comment la Fed
pourra échapper à la mise en œuvre d’un nouveau plan calibré d’assouplissement quantitatif (QE). Mais, l’impact sur la croissance
devrait être faible. Alors que l’économie se remet d’une récession provoquée par des déséquilibres de bilan et que les taux
monétaires sont déjà extrêmement bas, l’offre et la demande de crédit sont l’une et l’autre relativement limitées. Les craintes de
« trappe à liquidité » sont certainement exagérées, mais il y a de bonnes raisons de penser que les mesures d’assouplissement
quantitatif risquent de n’avoir qu’une efficacité limitée. Dans tous les cas, la baisse du dollar sera le principal canal au travers duquel
un nouveau programme d’assouplissement quantitatif soutiendrait la croissance, via un impact positif sur les exportations. La limite
de cette politique est évidemment la capacité des partenaires commerciaux à accepter un affaiblissement du dollar. Les marchés
voudront mesurer le degré de tolérance de ces derniers vis-à-vis d’un dollar plus faible. Il ne devrait pas être très élevé.
A plus longue échéance, alors que les bilans des ménages, du secteur financier et du gouvernement s’amélioreront graduellement,
la principale difficulté sera une fois encore de renforcer les perspectives de croissance. Une accumulation excessive de dettes n’est
plus envisageable ; un renforcement des exportations (grâce à une accélération de la croissance à l’étranger ou de gains de
compétitivité) ou une progression plus rapide du pouvoir d’achat médian des ménages (au travers d’une répartition moins inégale
des revenus ?) sont les principales pistes à explorer.
Les États-Unis restent la principale économie mondiale. Le manque de visibilité sur les perspectives à court et moyen termes
constitue un sérieux problème pour les marchés. Attendez-vous à une volatilité des anticipations et à des sur-réactions. Le spectacle
continue !
Sommaire
Une économie en quête de sens.......................................................... 2
Assurance tout risque........................................................................... 5
Taux d’intérêt : de vraies solutions aux problèmes de dette souveraine
.............................................................................................................. 6
Taux de change : fortunes diverses ..................................................... 8
Énergie : des prix ancrés entre 70 et 80 dollars le baril ....................... 9
Métaux : l’or au plus haut, mais jusqu’où ? .......................................... 9
États-Unis : une incertitude inhabituelle ............................................. 10
Japon : l’évolution de la politique monétaire sous surveillance.......... 13
UEM : policy-mixture .......................................................................... 14
France : les entreprises contre-attaquent........................................... 16
Allemagne : à plein régime ................................................................. 17
Italie : un peu mieux que prévu ? ....................................................... 18
Grèce : résolue malgré la difficulté de la tâche .................................. 19
Espagne : des turbulences en vue ..................................................... 20
Suède / Norvège : ralentissement importé ......................................... 21
Royaume-Uni : horizon nuageux ........................................................ 22
Australie : relativement forte............................................................... 23
Nouvelle-Zélande : reprise modérée .................................................. 23
Canada : ce qui est pris n’est plus à prendre......................................24
Marchés émergents : la reprise au risque des déséquilibres..............25
Europe centrale : un tri s’impose.........................................................27
Afrique du Sud : gérer le blues post-Coupe du monde .......................27
GCC : pas d’arbitrage évident, mais un retour aux fondamentaux .....28
Egypte : les entrées de capitaux se redressent légèrement ...............28
Russie : la sécheresse sans précédent provoque une pause dans la
reprise .................................................................................................29
Turquie : pas de parade évidente à la montée de la vulnérabilité.......29
Corée du Sud : un rythme de croissance soutenu ..............................30
Chine : assurer un atterrissage en douceur ........................................30
Mexique : un net rebond à confirmer...................................................31
Brésil : nouvelle accélération...............................................................31
Taux d’intérêt au 5 octobre 2010.........................................................32
Taux de change au 5 octobre 2010.....................................................34
Scénario économique du Groupe Crédit Agricole S.A. .......................35
Comptes publics..................................................................................37
Matières premières..............................................................................37
Spécial
Une économie en quête de sens
Les marchés paraissent être dans une attitude de sur-réaction. Voici quelques mauvais chiffres sur
l’économie américaine, et, l’aversion pour le risque de repartir à la hausse, les marchés actions de se mettre en
berne et les rendements des titres d’État des pays-références d’atteindre des niveaux très faibles. Voilà une série
de chiffres meilleurs qu’attendu, même si ce n’est que relativement à une cible le plus souvent modeste eu égard
à la prudence actuelle des confiance des ménages et taux de chômage économistes, et par des enclenchements
à l’opposé de se mettre en place.
Cette sorte de désarroi traduit la difficulté du moment à se poser les bonnes questions. La principale preuve est
sans doute à trouver dans le débat sur le risque pour les États-Unis de retomber en récession (le fameux double
dip, selon l’expression anglaise). Celui-ci est vraisemblablement mal engagé et ceci à un double titre : la nature
de la récession et le message envoyé par les indicateurs sensés capter les signes annonciateurs d’un
retournement.
Commençons par scruter ce que les indicateurs disent. Dans le cas de l’économie américaine, dont le repérage
des mouvements cycliques (reprise, maturité, surchauffe et récession) est un exercice assez bien maîtrisé, les
indicateurs avancés (les fameux leading indicators) n’envoient pas à ce jour de signes de retournement de
l’activité ; qu’il s’agisse de la dynamique des stocks ou de la durée hebdomadaire du travail, pour ce qui est de la
sphère réelle ou de la forme de la courbe des taux, pour ce qui est des marchés de capitaux (pour ne retenir que
ces quelques variables). Les stocks ne sont pas à des niveaux si élevés qu’une correction baissière imminente
soit à redouter, la durée du travail n’est pas en train de seffondrer et la courbe des taux est très pentue. A ce
titre, le double dip ne paraît pas poindre à l’horizon immédiat.
Penchons-nous maintenant sur la nature des enchaînements économiques intervenus ces dernières années aux
États-Unis. La récession intervenue n’a pas été avant tout de nature cyclique (un déséquilibre entre une demande
trop importante au regard des capacités d’offre, générant davantage d’inflation et obligeant à un resserrement de
la politique monétaire). Son origine est surtout à rechercher dans un déséquilibre grave de bilan chez les
ménages d’abord, chez les institutions financières ensuite : la valeur des actifs a baissé, tandis qu’évidemment
les dettes sont restées à leur haut niveau antérieur. Le rééquilibrage des bilans impose de privilégier l’épargne à
la dépense pendant le temps nécessaire. Le retour sur l’histoire permet de dire que la conséquence essentielle
est un régime de faible croissance, relativement aux expériences passées, pendant un temps assez long.
Cette mécanique n’a sans doute été intégrée que partiellement par les marchés. Tout en admettant la logique
d’une récession de bilan, les réflexes restent ceux d’enchaînements cycliques classiques. Tout le monde
s’accordait sur l’idée d’une reprise plus faible que suggérée par l’ampleur de la récession (plutôt 3% l’an et non
5% ou 6%) ; mais le choc d’un ralentissement de la croissance, à partir du deuxième trimestre 2010, a fait
craindre la perspective du retour dans la récession.
On l’a dit, le déroulé est peu probable ; d’où le sentiment d’une sorte de confusion dans les esprits. Le vrai
risque est celui d’une période longue de croissance faible et la traduction de celui-ci par le marché est la
crainte d’une baisse d’activité. Dans ces conditions, les anticipations des opérateurs et des investisseurs ne
sont pas stables. Pour tenter de remettre de la stabilité, sans doute est-il nécessaire de se faire une idée
aussi précise de la trajectoire de moyen terme de l’économie mondiale, afin d’y inscrire d’une façon à-
peu-près calée les enjeux de court terme. Voici ce qu’on a envie de dire.
La première question est celle de l’importance et de la durée de la faiblesse de la croissance américaine.
Il n’y a pas de réponse sous-tendue par une conviction forte. Il n’empêche que le mix des indicateurs
conjoncturels actuels et de l’expérience de phases similaires au cours de l’histoire des décennies passées
suggère un rythme de 2% pour plusieurs années. Nous verrons par la suite le genre de réaction de politique
économique que ce type de perspectives peut créer.
États-Unis : dette privée domestique hors secteur financier
50
70
90
110
13 0
15 0
17 0
19 0
52 56 60 64 68 72 76 80 84 88 92 96 00 04 08
Sources : Federal reserve, Crédit A gricole CIB
Zo nes grisées : périodes de
récession aux Etats-Unis
% du P IB
Ecart de production et déflateur calculés par le CBO
0,01
0,012
0,014
0,016
0,018
0,02
0,022
0,024
0,026
0,028
Perspectives Macro - N°130 – 4e trimestre 2010 2
-0,08 -0,06 -0,04 -0,02 0,00 0,02 0,04
Déflateur de l’indice sous-jacent
des prix à la conso.
L’écart de pro ductio n devrait être
nettement plus élevé pour
menacer l’inflation
pas de corrélation
Niveau actuel
Ecart de production calculé par le CBO
Spécial
Perspectives Macro - N°130 – 4e trimestre 2010 3
Le deuxième point est de prendre la mesure des implications sur la dynamique économique dans le reste du
monde. Pour ce qui est de l’Europe et du Japon, rien ne permet de dire que leur croissance ne reste pas
synchrone avec celle des États-Unis. Le plus probable est donc de redouter que la faiblesse prolongée de
l’activité aux États-Unis ne se traduise par un tempo de la marche des affaires encore plus lent qu’observé au
cours de la décennie passée. Bien sûr, cette perspective peut avoir quelque chose d’inacceptable et enclencher
des sursauts salutaires en termes de réformes de structure jusqu’à maintenant trop longtemps repoussées et
d’efforts plus marqués pour aller chercher la croissance là où elle se trouve.
Ce double « acte de foi » ne doit vraisemblablement pas être rejeté et c’est pourquoi il n’est peut-être pas utile de
projeter un nouveau franchissement à la baisse des rythmes de croissances européen et japonais, par rapport
aux références récentes. Si le rythme des réformes peut être l’objet d’appréciations différentes, le diagnostic en
termes de perspectives de croissance dans les pays émergents est sans doute mieux établi. Même si la
dépendance à la demande des pays avancés reste forte, la dynamique progressivement renforcée des dépenses
intérieures, les bons fondamentaux en termes de grands équilibres macroéconomiques et une plus grande
maturité dans la gestion des politiques budgétaire et monétaire devraient assurer des perspectives de croissance
attractives (autour de 6%) et surtout offrir une visibilité en termes de rendements attendus des placements
que ni les États-Unis, l’Europe ou le Japon ne peuvent proposer au double titre du caractère terne de la
croissance économique attendue et des incertitudes qui planent autour.
Le troisième point concerne les anticipations d’inflation. Le marché semble plutôt convaincu que le risque
d’emballement à la hausse des prix est réduit, tant les perspectives de croissance sont faibles dans les
pays avancés et tant le principe d’un monde « ouvert » n’est pas remis en cause (tout au moins pour l’instant ; la
vigilance s’impose en la matière). Sans doute a t-il raison. Il n’empêche que dans un environnement perçu
comme peu lisible et donc incertain, le degré de conviction ne doit pas être exagéré. L’importance des dettes
publiques (et donc le risque de monétisation) et la forte augmentation du bilan des principales Banques centrales
peuvent rendre mal à l’aise (même si les multiplicateurs monétaires ne fonctionnent pas bien actuellement). D’
la difficulté pour les marchés à se désintéresser de la thématique de la dérive des prix et pour les Banques
centrales à se risquer à proposer une révision des objectifs d’inflation afin de maintenir un réglage accommodant
plus longtemps. De même, les marchés ne peuvent être indifférents au risque de déflation, même si la probabilité
semble faible. D’une part, les chiffres américains d’inflation « noyau dur » au niveau des prix de détail ralentissent
et d’autre part, l’expérience japonaise de « déflation douce » et la difficulté d’en sortir sont dans tous les esprits.
On ne peut évidemment se désintéresser, et c’est le quatrième point, des déséquilibres des balances extérieures
et de la façon dont ils sont financés. A priori, tant l’excédent des pays émergents que le déficit des pays avancés
sont voués à se réduire, avant tout du fait de dynamique relative des rythmes de demande intérieure. Même si les
politiques souvent mercantilistes des premiers en matière de taux de change peuvent freiner la tendance. Au
final, les points de préoccupations sont le déséquilibre persistant du déficit courant américain et l’ampleur des
mouvements de capitaux. La double hypothèse la plus probable est un niveau de déficit « soutenable » aux
États-Unis (inférieur à 3,5 % du PIB) et facilement finançable, dans la mesure où dans un monde incertain le pays
maintiendra son statut de lieu de refuge. Les questions en suspens sont celles de l’ampleur des entrées de
capitaux sur les marchés émergents, leur caractère déstabilisant ou non et la capacité des autorités
locales à prendre des mesures préventives et curatives. Rien de très clair ne se dégage, avec au final la
crainte de mouvements de marchés trop marqués dans les deux sens.
Que veut dire cette nouvelle « normalité » en termes d’anticipations de moyen terme sur les marchés ? Il
ne fait guère de doutes que les espérances de rendement sont plus élevées sur les marchés émergents, avec
sans doute une révision progressive à la baisse du risque perçu. En la matière, et quelles que soient les
contraintes politiques, les devises émergentes devraient maintenir une tendance haussière par rapport au dollar,
à l’euro, au yen ou à la livre. Dans le bloc des pays développés, le profil des taux d’intérêt paraît se dessiner,
avec une translation à la baisse par rapport à la courbe « fondamentale » des années d’avant la crise de 2008.
Ainsi, le niveau d’équilibre d’un taux d’État à dix ans américain ou allemand ne dépasserait sans doute pas 4%.
La faiblesse de la croissance et la préférence pour l’épargne seraient donc des facteurs autrement décisifs que
l’importance des déficits publics. Quant au marché d’actions, les repères tant pour le niveau d’équilibre du PER
que pour la tendance des profits par action sont à revoir. Dans le cas américain, un multiple de capitalisation
de 13 et une progression des EPS (earning per share) de 5% à 7% sont peut-être des ordres de grandeur
raisonnables à garder à l’esprit.
La question de la politique économique a été passée sous silence jusqu’à maintenant ; non parce qu’elle
n’est pas importante ; mais bien parce qu’elle devient cruciale à partir du moment où le balisage de cet
environnement de nouvelle normalité est effectué. Le projecteur est avant tout sur les pays avancés. La
croissance y est ex-ante faible ; ce qui pose des difficultés de communication, de gestion de la situation intérieure
à chaque pays ou zone et de relations internationales.
Commençons par la communication. Reconnaître que la situation économique est particulièrement incertaine ne
suffit pas. Le mot a même une dimension anxiogène. Il vaut mieux préparer l’opinion (y compris les milieux
d’affaires et les marchés) à la persistance d’un équilibre sous-optimal, aux chocs qu’il induit (du chômage élevé
aux défauts en passant par le risque d’erreurs de politique économique) et aux réponses que cela implique. Ne
pas le faire serait s’exposer à des ajustements parfois brutaux des anticipations de marché, à même d’amplifier
les chocs.
Spécial
Dessiner une trajectoire de moyen terme et mettre davantage l’accent sur les politiques structurelles
devient essentiel. Il n’empêche que, même une fois ce balisage effectué, la « dictature » du court terme
restera forte. Les États-Unis peuvent-ils tolérer un taux de chômage de 10% et l’Europe arrivera-t-elle à réduire
ses déficits publics alors même que la croissance apparaît devoir rester durablement faible ? Les réponses
respectives sont vraisemblablement et respectivement non et oui ; mais l’essentiel est d’insister sur deux
choses : le bon choix de policy mix et une nécessaire différenciation entre ce qui optimal d’un côté à
l’autre de l’Atlantique.
Confrontés à une reprise post récession de bilan, les responsables de la politique monétaire doivent reconnaître
que l’effet de leurs initiatives est plus faible qu’à la normale : les taux monétaires sont déjà extrêmement bas,
tandis que l’offre et la demande de crédit sont relativement « en berne ». Parler de situation de « trappe à
liquidité » est sans doute excessif ; insister sur le risque d’une moindre efficacité est assez fondé. Le
Quantitative Easing ou le Credit Easing est assurément le type d’initiative qui peut, si nécessaire, être décidé et
appliqué. La zone d’ombre consiste en savoir s’il s’agit d’un accompagnement de mesures de politique
budgétaire (en fait le financement de mesures de soutien à la croissance dans un contexte
d’interrogations sur l’ampleur des déséquilibres des comptes publics et de manque de clarté de la
communication gouvernementale) ou s’il s’agit d’initiatives davantage autonomes. La seconde option vient
buter sur la double difficulté de taux d’intérêt déjà bas, au moins pour ce qui est des principales grandes
références et du choix de papiers privés à acheter quand l’urgence d’une crise de marché laisse place à des
situations difficiles demandant des traitements en profondeur. A ce titre, la première option a un caractère
rassurant, par son côté davantage automatique. Encore faut-il être sûr que davantage d’activisme
budgétaire soit politiquement possible et encore efficace avec les niveaux de déficit observé aujourd’hui.
La réponse ne va pas de soi et il nous semble que sa déclinaison est différente aux États-Unis de ce qu’elle est
en Europe. Dans ce premier pays, une épargne des ménages encore faible et toujours en reconstruction et une
marge de manœuvre en termes de hausse des prélèvements obligatoires invitent à conclure qu’il est possible de
rendre compatible la nécessité de soutenir une demande privée défaillante et d’envoyer un message crédible de
rééquilibrage sur la durée des comptes publics. En Europe, la situation serait plutôt l’inverse, avec des
prélèvements souvent proche d’un point haut tolérable en économie ouverte et un taux d’épargne des ménages
élevé. Un plan clair de réduction des déficits participerait de davantage de confiance chez les ménages et donc à
une baisse de l’effort de l’épargne. La demande s’en trouverait soutenue. Ce contraste entre les choix de part
et d’autre de l’Atlantique ne sera pas sans intriguer les marchés. Une fois encore, les responsables de la
politique économique seront en première ligne pour convaincre que la logique du One Size Fits All n’est
pas en l’espèce celle à retenir.
Finissons par regarder la signification de ces changements annoncés en termes de relations internationales. Le
monde à la recherche de plus de visibilité va peut-être être confronté à plus d’incertitudes. Au moment où un
certain nombre de pays émergents cherchent à affirmer leur présence et leur rôle sur la scène internationale, les
États-Unis vont très probablement être forcés de réduire la taille des budgets consacrés à la projection à
l’extérieur (avant tout relativement au PIB). Le budget militaire serait le premier touché par la triple contrainte de
moyen terme de réduire les déficits, de payer une charge de la dette plus lourde et d’augmenter les dépenses
d’intervention sociale. Comprendre, puis gérer le « concert des Nations » va gagner en complexité. La marche
des affaires en sera freinée et la volatilité des marchés accrue à certains moments.
Hervé GOULLETQUER
herve.goulletquer@ca-cib.com
Une leçon de la crise japonaise :
un multiplicateur monétaire cassé
0
50
10 0
15 0
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250
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69
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74
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sept-
89
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sept-
99
sept-
04
sept-
09
M asse mo nétaire (M 2)
Base monétaire
Prêts des banques au secteur privé
récession provoquée par
des ajustements de bilan
évo lution confo rme
à la théorie
So urc e : B o J
États-Unis : solde budgétaire primaire et confiance des ménages
85
86
87
88
8990
91
92 93
94
9596
97
98
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02
03
04
05
06
07
08
09
10
y = 0,0798x - 0,0734
R
2
= 0,031
-2,5
-2,0
-1,5
-1,0
-0,5
-7 -6 -5 -4 -3 -2 -1
0,0
0,5
1, 0
1, 5
2,0
012
Variation annuelle du solde primaire
Var. annuelle de la
confiance des ménages
Perspectives Macro - N°130 – 4e trimestre 2010 4
Politique monétaire
Perspectives Macro - N°130 – 4e trimestre 2010 5
Assurance tout risque
La Fed se montre intransigeante à l’égard du risque de déflation et préfère adopter une démarche préventive pour
conjurer cette menace. Elle est de nouveau prête à créer de la monnaie pour boucher les points d’entrée de la
mécanique déflationniste. Il s’agit de mettre un couvercle sur les taux, de guider les anticipations d’inflation et de faire
baisser le dollar, ce dernier effet étant selon nous le dessein inavoué, car inavouable, de la Fed.
On a souvent taxé la BCE de faire preuve de dogmatisme et d’avoir une sensibilité trop forte au risque inflationniste.
Aujourd’hui, la Fed démontre un même degré d’intransigeance à l’égard du risque de son contraire, à savoir la
déflation. Les différences historiques et culturelles expliquent sans doute ce grand écart. La Fed baigne depuis toujours
dans le trauma de la Grande Dépression des années 30 alors que l’hyperinflation de la République de Weimar (1919-
1925) a modelé le corpus analytique de la BuBA dont a hérité en partie la BCE.
Cette aversion extrême au risque de déflation a conduit la Fed à adopter récemment un biais en faveur de plus
de stimulus monétaire pour soutenir la reprise et ramener l’inflation sur un rythme en accord avec son mandat.
L’inflation se situe effectivement en deçà de la cible implicite de 2% de la Fed et, selon ses propres termes, « quelque
peu en deçà des rythmes qu’elle juge compatibles, sur le long terme, avec son double objectif de plein emploi et de
stabilité des prix ». Elle ne prononce pas le mot de déflation mais, manifestement, sa perception du risque s’est accrue.
Le risque de déflation est réel, mais selon nous, pas aussi menaçant que semble le craindre la Fed, en tout cas
pas dans sa forme la plus sévère de déflation par la dette. Le processus de désinflation à l’œuvre est surtout dû
aux effets retardés de la profonde récession qui a sévi à la jonction 2008-2009. Tous les ingrédients de la réduction
du levier d’endettement en passant par la chute du prix des actifs financiers, de la profitabilité des entreprises, de la
confiance et de l’activité – ne sont pas présents aujourd’hui pour conclure à l’enclenchement d’une nouvelle spirale
déflationniste, similaire à celle qui se profilait à l’automne 2008. La crainte de la Fed porte vraisemblablement plus
sur le risque d’une déflation « à la japonaise », pas forcément pernicieuse, mais rampante et persistante.
D’après nous, même ce scénario n’est pas le plus probable. Mais face à la faiblesse actuelle et à venir de l’inflation
sous-jacente, il est facile d’imaginer que l’inquiétude de la Fed à l’égard de la stabilité des prix aura du mal à se dissiper
et qu’elle trouvera nécessaire d’agir.
Selon notre analyse, le processus de reprise est toujours en marche aux États-Unis. La première phase d’accélération,
liée au redémarrage mécanique et assez rapide de l’activité, lui-même aidé par l’action volontariste des pouvoirs publics
doit laisser progressivement place à une phase de consolidation lorsque les créations d’emplois et la hausse des
revenus prennent le relais pour soutenir la demande et déboucher sur un processus auto-entretenu de croissance.
Néanmoins, ces facteurs autonomes de croissance vont être bridés par des freins structurels importants avec la
nécessité de purger dix années d’excès financier. Les États-Unis doivent se résoudre à vivre au ralenti pendant
une période prolongée, le prix à payer pour avoir longtemps vécu au-dessus de leurs moyens. Le processus de
désendettement sera long, douloureux mais inévitable et l’environnement de taux bas favorise actuellement un
débouclage ordonné de ces déséquilibres financiers. La Fed doit être consciente de l’impact modeste sur la croissance
à attendre d’un nouvel assouplissement quantitatif (même de grande ampleur) : sa démarche se veut avant tout
préventive et s’inscrit dans une logique de type assurantiel (du risk management). La Fed semble sans doute
considérer qu’elle prend peu de risques à en faire trop sachant que la déflation est bien le fléau le plus à
redouter dans des économies très léveragées.
Mais ce n’est pas totalement sans risque. En 2002, la Fed brandissant cette même menace déflationniste, a
procédé à deux nouvelles baisses de taux (en novembre 2002 et juin 2003) et a maintenu ensuite un biais
accommodant pendant une « période considérable », ce qui, on le sait a posteriori, a alimenté une bulle de crédit
majeure sur un tandem immobilier-ménages. Aujourd’hui, même s’il est peu probable qu’un surcroît d’offre de
monnaie nourrisse l’effet de levier ou relance à tout va le crédit, la liquidité ainsi créée peut, en allant se
déverser dans la sphère financière, introduire des distorsions au niveau des prix d’actifs et pousser à la
surchauffe certains segments de marché. Il est déjà difficile d’expliquer la configuration actuelle des marchés sauf à
invoquer un excès de cash, à la recherche de rentabilité, avec en filigrane des paris de courte vue défiant tout schéma
de cohérence globale. Ainsi, l’or, la valeur refuge par excellence et les métaux qui traquent le cycle industriel montent
de concert. Le yen et le dollar australien, deux monnaies aux antipodes de l’échelle du risque, s’apprécient en même
temps. Les actions risquées et les obligations sans risque évoluent en phase. Ouvrir davantage le robinet dans ce bain
de liquidité risque de faire de la mousse, pour ne pas dire de petites bulles ! La Fed peut certes rectifier le tir rapidement
(en drainant au besoin ce trop plein de liquidité) si ces perturbations financières ne se corrigent pas d’elles-mêmes,
mais elle a souvent rechigné à le faire de peur de générer de l’instabilité…
A moins que finalement le dessein inavoué de la Fed soit de faire baisser le dollar… La planche de salut pour une
économie dont le moteur traditionnel de croissance apparaît durablement grippé. Car si on peut douter de l’efficacité de
ce nouvel assouplissement quantitatif pour soutenir l’activité via notamment la mise sous influence de la courbe des
taux publics (la référence sur laquelle se forment les taux de marché), le canal du change a, lui, toutes les chances de
fonctionner. Il suffit pour s’en convaincre de voir la réaction des marchés dans le sillage du communiqué de la Fed avec
un affaiblissement généralisé du billet vert. Mais à quel prix… Si le dollar devient une telle arme, le danger est
d’être lancé dans une course à la dévaluation compétitive à l’heure où le Japon intervient déjà en direct sur le
marché des changes pour enrayer la hausse du yen et où la Chine fait la sourde oreille et maintient un
couvercle sur le yuan. Au centre, l’Europe parait bien désarmée et la principale victime de cette absence de
coopération internationale.
Hélène BAUDCHON Isabelle JOB
helene.baudchon@credit-agricole-sa.fr isabelle.job@credit-agricole-sa.fr
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