des mesures discriminatoires à cause de leur qualité de chrétiens (impôts et taxes supplémentaires, grande fragilité face
à l'arbitraire de tout représentant de l’État, minoration juridique en cas de litige avec un musulman ou encore interdiction
d'acquérir et de porter une arme, par exemple).
La religion est une véritable composante identitaire. Elle a perduré en diaspora car la chrétienté fait partie de l'identité
profonde arménienne. L'appartenance à la chrétienté est à la fois leur souffrance et leur fierté. La vie communautaire
s'organise toujours à côté de l'Eglise arménienne. Après, ici en France comme souvent ailleurs en diaspora, sous
l'influence des systèmes de pensée et de la vie en occident, il y a une séparation qui s'est opérée, une polarisation des
croyances et appartenances, particulièrement à partir des années 1960.
Bien sûr, avec les populations de rescapés, dont l'arrivée en France a été consécutive au génocide, il y a beaucoup de
gens qui sont devenus catholiques, davantage qu'il y en avait au pays, de tradition grégorienne. On n'hésite pas à faire
baptiser ses enfants à l'église catholique, il n'y pas de problème, car c'est l'église des chrétiens. À Décines, l'église
apostolique arménienne ou grégorienne est construite concomitamment à la Maison du peuple ce qui est un exemple
particulièrement révélateur à mes yeux... D'un côté de la rue, la vie laïque, sociale et politique et en face, l'église où se
retrouvent le dimanche les mêmes personnes qui prônent habituellement les thèses socialistes voire marxistes !
Comment la deuxième vague d'immigration s'intègre ou pas dans les structures existantes à Décines ?
Consécutivement au génocide, des communautés arméniennes de réfugiés et de rescapés se sont constituées en Syrie,
au Liban, etc. Elles ont pu continuer une vie communautaire plus riche et homogène qu'en occident : minorités en pays
arabe, les Arméniens se sont resserrés mécaniquement autour d'activités sociales communes.
En France, « pays de la liberté », c'est différent. Il existe des lieux pour perpétuer la culture et pratiquer la religion mais la
société est libre et ouverte. De plus, « la ville rend libre » et contribue à l'intégration de l'immigration de première
génération. Lorsque les Arméniens des pays arabes sont arrivés en France et donc dans les communautés dans les
années 1970 et 1980, ils ont apporté une grande richesse culturelle. Ils avaient conservé une pratique religieuse très
forte, comme une pratique poussée de l'écrit dans la langue arménienne, du théâtre et autres activités culturelles qui, ici,
étaient en perte de vitesse consécutivement à l'assimilation au mode de vie « à la française ». Il y a eu donc une
re-dynamisation des structures fondées par les immigrés de la première génération, comme ce fut le cas à la maison de
la culture arménienne de Décines, fondée en 1977 dans les locaux de l'ancienne Maison du peuple.
La troisième vague d'immigration d'Arménie n'a pas les mêmes attachements au pays mythique, celui de la
diaspora consécutive au génocide puisque ce pays n'a jamais été le sien ?
C'est plus compliqué que ça ! L'attachement au pays mythique, les migrants de la troisième vague l'ont aussi ! La
première république d'Arménie, créée juste après le génocide, est constituée au niveau de sa population d'un gros tiers
de réfugiés d'Arménie occidentale, chassés par les Turcs au moment du génocide. Quand vous avez plus du tiers de la
population d'un pays qui a été chassé de ses terres immémoriales, le pays « mythique » comme vous dites n'est pas
virtuel ! De plus, après la première guerre mondiale, le mont Ararat, symbole de l'Arménie est sur le territoire arménien.
Les Turcs menés par Kémal Ataturk déclarent une nouvelle fois la guerre en 1918-20 et annexent le mont Ararat. Le
symbole mythique est perdu à son tour !
Mon épouse est née en Arménie de parents nés en France. En 1947, alors qu'il y avait les naturalisations en France,
suite aux saignées de la seconde guerre mondiale chez les Soviétiques, il y a eu des campagnes de propagande
massive auprès des Arméniens de la part des Soviétiques. Il y a une incitation à rejoindre « la Mère patrie » qui « a
besoin de tous ses enfants pour renaître ». Un grand nombre d'Arméniens sont rentrés en Arménie, en repartant en
bateau depuis Marseille. Ils ont vécu toute leur vie là-bas...et au moment de l'éclatement du bloc soviétique (1990-1991),
ceux qui venaient de France ou de Grèce par exemple ont tout fait pour revenir en Occident...
Comment coexistent en Arménie la culture traditionnelle et la « soviétisation » de la société ?
La culture d'origine perdure mais elle est contrebalancée par soixante dix ans de soviétisme qui a promu l'idée de
l'homme nouveau ». Cette vision discréditait les attachements nationalistes, considérés comme des préoccupations de «
petit bourgeois » (spécialement dans les petites républiques soviétiques et singulièrement peu en Russie même
toutefois). Le système soviétique avait beaucoup de défaut mais il a eu au moins la qualité de permettre au peuple
d'acquérir un bon niveau de culture : littérature, histoire, musique et danse.
L'immigration arménienne actuelle est cependant une immigration de la pauvreté. Ce sont des populations des villages
qui meurent de faim et qui ne trouvant pas le moyen de subsister, y compris à Yérévan, n'ont d'autre alternative que
l'exil. La république soviétique d'Arménie était économiquement viable, insérée dans les circuits économiques de l'URSS.
Avec l'éclatement de l'URSS, la République d'Arménie se retrouve dramatiquement enclavée, et soumise à un blocus qui
l'asphyxie de la part de la Turquie et de l'Azerbaïdjan. La libéralisation à marche forcée de son économie imposée
notamment par le FMI dans les années 1990 a obéré sa viabilité économique déjà compromise par l'étroitesse de son