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Résumé
De nombreuses espèces comprennent des lignées évolutives distinctes montrant
une différenciation génétique considérable, malgré des traits morphologiques très
similaires. Désignées sous le nom d'espèces cryptiques, ces entités ont été identifiées à
plusieurs reprises dans divers groupes taxonomiques et écosystèmes. Etant donné que
les espèces cryptiques peuvent avoir acquis des différences dans divers aspects de leur
biologie malgré une morphologie semblable, occulter ces différences peuvent conduire à
des conclusions erronées dans de nombreux domaines de la recherche en biologie ainsi
que à des mesures de conservation inappropriées. L'objet de ce travail était de tester la
présence de divergence génétique cryptique et d'évaluer les différences écologiques et
évolutives potentielles entre les lignées cryptiques d'une espèce d'éphémère alpine,
abondante et très répandue, Baetis alpinus (Pictet). En mêlant des approches de
génétique des populations, des analyses de traits d'histoire de vie ainsi que des études
de terrain à de multiples échelles spatiales et temporelles, trois éléments corroborent
une divergence écologique et génétique entre lignées. Tout d'abord, des analyses de
regroupement Bayésien et analyses multivariées fondées sur la variabilité génétique à
des marqueurs microsatellites nucléaires, ainsi que des analyses phylogénétiques de
l'ADN mitochondrial mettent en évidence la présence de deux lignées génétiquement
très distinctes dans plusieurs bassins versants Européens des Alpes centrales (appelées
dorénavant A et B). Ces deux lignées, souvent en sympatrie, sont réparties sur
l'ensemble de la zone d'étude mais leurs fréquences relatives diffèrent (la lignée B étant
moins abondante et principalement cantonnée à des zones de hautes altitudes). Ces
lignées montrent également des niveaux de diversité génétique neutre différents et leurs
traits morphologiques varient subtilement – des différences précédemment considérées
comme de la variation intra-spécifique. Deuxièmement, la distribution des lignées et la
structure des cohortes larvaires au sein de deux bassins glaciaires indiquent une forte
divergence de leurs traits d’histoires de vie (i.e., voltinisme) ainsi qu’une ségrégation
temporelle partielle des lignées. Plus particulièrement, la lignée A s'apparente à une
espèce 'généraliste' largement distribuée et caractérisée par un cycle de vie bivoltin à
multivoltin tandis que la lignée B s'apparente, elle, à une espèce 'spécialiste' univoltine
caractérisée par une distribution spatiale restreinte, des cohortes d'été et une
hivernation sous forme embryonnaire. Enfin, les patrons de distribution de pontes des
deux lignées ont confirmé des périodes de reproduction distinctes, et par ailleurs, ont
indiqué des préférences de site, mais pas de variation de la fécondité entre lignées
(nombre d'œufs par ponte). Dans l'ensemble, les différences biologiques de ces lignées
évolutives mettent en évidence l'importance de la reconnaissance des espèces cryptiques
dans l'évaluation de la biodiversité et le risque de perte d'espèces face aux changements
globaux. En particulier, les morpho-espèces largement répandues peuvent en réalité
comprendre des 'espèces' 'spécialistes', telles que la lignée B de B. alpinus encourant un