2014-2015 OS4 Evolution

publicité
Lycée-Collège de la Planta, Sion
Biologie
Option spécifique (OS) 4ème année (programme maturité)
L’EVOLUTION
Julien Dubuis
1
INTRODUCTION
L'idée d'une transformation des êtres vivants au cours du temps a été exprimée à diverses occasions
depuis près de 2500 ans, mais ce n'est qu'au XIX siècle que le concept de descendance avec
transformation - l'évolution telle qu'on la conçoit aujourd'hui - a été formalisé et doté d'un mécanisme
cohérent par Darwin, apportant une vision nouvelle de la vie et de son histoire.
Les processus évolutifs qui s’opèrent depuis que la vie est apparue sur terre, il y a plus de trois
milliards d’années, ont donné naissance aux millions d’espèces actuelles, ainsi qu’au nombre bien plus
grand encore d’espèces qui ont vécu dans le passé mais qui ont aujourd’hui disparu. L'apparition d'une
nouvelle espèce s’appelle une spéciation. Certaines spéciations (chez les bactéries notamment) sont
observables en temps réel, à l'échelle humaine. Toutes ces espèces ont un « ancêtre commun » :
(LUCA = Last Universal Common Ancestor) qui est apparu il y a 3,5 milliards d’années environ.
Evolution signifie donc changement : changement dans la structure et le comportement des
organismes, au fil des générations. L'évolution est donc la transformation des espèces dans le temps.
Les aspects divers des organismes actuels à tous les niveaux depuis la séquence de leur ADN jusqu’à
leurs structures macroscopiques ou jusqu’à leurs comportements sociaux, sont issus de la modification
de ceux de leurs ancêtres. Les modifications évolutives des êtres vivants dépendent d’une part des
changements dans les conditions du milieu et, d’autre part, d’une innovation génétique qui se fait au
hasard.
Pour comprendre l’évolution il faut étudier les mécanismes qui ont présidé à la structuration actuelle
de la biodiversité, et qui ont permis les multiples adaptations des animaux, des végétaux, des
organismes unicellulaires. Les recherches dans le domaine de l’évolution se séparent en deux volets ;
les unes visent la reconstruction de l’histoire de la vie, les autres tendent à comprendre les modalités et
les processus de l’évolution.
L’évolution explique donc :
-
la diversité des espèces vivant actuellement (1’200’000 espèces animales et 400’000 espèces
végétales recensées),
-
leur multiplication (comment une espèce existante donne naissance à deux ou plusieurs
espèces),
-
leur origine commune par les modifications progressives qu’ont subies leurs ancêtres au
cours des temps géologiques.
-
les processus de l’évolution.
La théorie générale de l’évolution explique comment les organismes vivants se sont développés et
succédés, mais elle ne peut en aucun cas prédire comment ils évolueront.
2
1.1
Aspect historique
Le concept d'évolution n'est pas nouveau. En effet, certaines idées et intuitions à ce sujet se trouvent
déjà dans les écrits d'Anaximandre de Milet (612 av. J.-C.) et Empédocle (492-432 av., J.-C.)1. Chez
les romains, Lucrèce (98-55 av. J.-C.) commente brillamment la doctrine d'Empédocle. Dans son De
natura, il expose la raison pour laquelle tous les êtres vivants ne purent se développer " … car tous les
animaux que tu vois aujourd'hui, c'est la ruse ou le courage ou la vitesse de leur course qui, dès la
naissance, les conservent. Quant à ceux que la nature n'avait doués d'aucune de ces qualités, c'est une
proie désignée d'avance à l'avidité des autres bêtes; une destinée fatale les enchaînait dans ses filets,
jusqu'à ce que la nature eût entièrement détruit leurs espèces. "
Au XVIIème siècle, l'invention du microscope et la multiplication
des voyages ouvrent aux savants, un domaine nouveau, d'une
richesse insoupçonnée, et dans l'Europe entière, d'importantes
collections se constituent. Cette époque prépare l'ère de la
nomenclature qui s'ouvre au XVIIIème siècle. Mais de fortes
résistances contre le principe évolutif ont été encore renforcées par
la religion. La Bible, dans l'Ancien Testament, stipulait en effet que
la Terre et toutes les espèces vivantes ont été créées telles qu'elles
apparaissent aujourd'hui. Ainsi, au XVIIIème siècle, Linné (17071778) (figure 1) rechercha de l'ordre dans la diversité de la vie ad
majorem Dei gloriam- "pour la plus grande gloire de Dieu"2. Linné
fut le fondateur de la taxonomie. Linné groupa donc les espèces
dans une suite hiérarchique des catégories. Le fait de placer les
espèces dans des catégories n'impliquait pas pour lui que les
espèces évoluaient. Linné était fixiste.
Buffon (1707-1788) fut d'abord fixiste, mais ses recherches en
Figure 1 : Linné
progressant l'amenèrent à envisager que certaines espèces voisines
puissent avoir dérivé l'une de l'autre. Ainsi le puma d'Amérique et
le lion d'Afrique peuvent avoir été identiques à l'origine. L'âne ne représente peut-être qu'un cheval
dégénéré; toutefois, en généralisant, en appliquant le même principe à l'homme et au singe, il s'effraie
et nie que ces espèces aient pu changer: il a peur de heurter la puissante Sorbonne qui a déjà condamné
certains de ses écrits.
Cuvier était un grand anatomiste français. Cuvier écarta les théories
selon lesquelles les espèces se transformaient au cours des temps
géologiques. Les espèces disparaissaient et d'autres naissaient. Pour
expliquer la disparition d'espèces anciennes, Cuvier proposa la théorie
des cataclysmes3, dont l'eau était l'agent principal. Le Déluge cité dans
la Bible, expliquait selon lui la disparition de nombreuses espèces.
Jean Lamarck (1744-1829) (figure 2) (inventeur du mot "biologie"
sans être le premier à en avoir eu l'idée, fut sans contestation possible,
l'auteur des premières versions écrites de la théorie de l'évolution,
avant même la naissance de Charles Darwin 4. Pour lui, l'explication de
l'évolution réside dans l'influence du milieu, qui modèle les êtres
vivants. Des changements du milieu influent sur les besoins, les actes et
les habitudes. Ces derniers, en se modifiant, entraînent des changements
dans la forme des organes. Ces caractères nouvellement acquis
Figure 2 : Lamarck
deviennent héréditaires et de nouvelles espèces sont formées.
1
P. Goffart-Louis & N. Leysen-Pirard, Biologie générale, A. de Boeck, Bruxelles, 1978. P. 127
Neil A. Campbell, Biology 4th édition, the Benjamin/Cummings publishing company, 1996, p. 400
3
Denise Bergeron, Gilles Isabelle, La vie, un équilibre à maintenir, Lidec, 1988, p.220
4
André Langaney, la philosophie biologique, Belin, 1999. P. 9
2
3
1.2
Charles Darwin (tiré de 5)
Charles Darwin (figure 3) est né dans une famille de la classe
moyenne anglaise en 1809. A l'âge de 16 ans, Charles Darwin quitta
le collège et rentra à l'université d'Edimbourgh, en vue d'étudier la
médecine. A cause de la brutalité des méthodes chirurgicales de
l'époque, Darwin quitta cette voie au bout de 2 ans et fut envoyé à
l'université de Cambridge, pour devenir pasteur de l'église
anglicane. Durant toute cette période, il s'intéressa de très près aux
domaines de la science naturelle : botanique, collection d'animaux,
géologie, etc. En 1831, grâce à la recommandation d'un ami, il
s'embarqua à bord d'un bateau, le H.M. S. Beagle, en tant que
naturaliste. Le voyage du Beagle, qui dura près de 5 ans avait pour
but d'effectuer des relevés géographiques (figure 4). Durant ces 5
ans, Darwin acquit de nombreuses connaissances et accumula une
grande quantité de spécimens d'animaux, de plantes et de fossiles. Il
s'en servira plus tard pour argumenter sa théorie.
Figure 3 : Charles Darwin
Figure 4: Le voyage du Beagle
5
Darwin, C. L'origine des espèces, introduction par Jean-Marc Drouin, GF-Flammarion, 1992, pp. 8-41
4
De retour au pays, en 1836, il se dédia entièrement à sa recherche. Il écrit plusieurs livres, aucun n'eut
autant d'impact que "l'origine des espèces" qu'il publia pour la première fois en 1859, plus de 23 ans
après son voyage. Durant ces 23 années, il construisit lentement sa théorie, se basant sur ses
observations faites durant son voyage et sur des expériences et
déductions faites en Angleterre. La publication de son livre et
de sa théorie, qui le rendit célèbre, fut d'ailleurs une aventure à
elle toute seule. Le 18 juin 1858, il reçoit une lettre d'un
dénommé Russel Wallace (figure 5), un naturaliste voyageur.
Cette lettre est accompagnée d'un essai, dans lequel Darwin
retrouve les idées essentielles de la théorie qu'il est en train de
développer depuis plus de 20 ans. Darwin est effondré. Il voit
disparaître ainsi 20 ans de labeur acharné. Mais 2 de ses amis,
Lyell, le plus grand géologue de son époque et Hooker, qui
connaissent bien le travail de Darwin, pour en avoir lu les
premiers jets, lui proposent une solution. Ils organisent une
séance spéciale de la société linéenne de Londres, le 1er juillet
1858. Là, ils présentent d'une part, un extrait du manuscrit
rédigé par Darwin en 1844, ainsi qu'une lettre qu'il avait
adressée en 1857 au botaniste américain Asa Gray, d'autre part,
l'essai envoyé par Wallace et intitulé "Sur la tendance des
Figure 5 : Russel Wallace
variétés à s'écarter indéfiniment du type primitif". Wallace se
montrera satisfait de cette solution et rien n'affectera l'estime
réciproque que les 2 hommes auront l'un pour l'autre. A la suite de cet événement, il s'attelle donc à la
tâche de publier le résultat de ses recherches, ce qu'il fait en 1859 en publiant son livre le plus fameux,
sous le titre " On the origin of species by means of natural selection" (de l'origine des espèces au
moyen de la sélection naturelle). Le succès de cette œuvre est immédiate. Elle déclenche l'hostilité
chez certains scientifiques, mais surtout dans le milieu religieux. On a souvent rapporté les querelles
entre l'évêque d'Oxford et le défenseur de Charles Darwin, Thomas Huxley. Un jour que l'évêque
demandait à Huxley, s'il descendait du singe par sa mère ou par son père, Huxley lui rétorqua qu'il
rougirait d'avoir un ancêtre comme l'évêque. Cette querelle entre adversaires et défenseurs de la
théorie de Darwin s'est éteinte aujourd'hui. Cette théorie a été prouvée par de nombreuses observations
et de nombreuses expériences.
Quelques extraits de son autobiographie nous permettront plus facilement de nous faire une idée du
caractère de ce personnage6.
6
La Liberté, 7 février 2009
5
6
Il est important de noter que les théories de l’évolution ont émergé grâce à de nombreuses découvertes
faites durant le 18ème et le 19ème siècle, découvertes faites dans des domaines aussi variés que la
géologie, la paléontologie, l’économie. L’exercice de la page suivante va nous permettre de mettre en
évidence les apportes divers qui ont permis l’élaboration de cette théorie.
Exercice : Attribue chaque affirmation à un personnage évoqué sur la ligne du temps (figure 6).
Figure 6: Contexte historique de la vie et des idées de Darwin
A. Les processus géologiques n’ont pas changé au cours de l’histoire de la planète. Ainsi, les forces
qui ont modelé les montagnes et qui les érodent, ainsi que le rythme de ces phénomènes, sont les
mêmes aujourd’hui que par le passé.
Personnalité :__________________________________
B. Il est possible d’expliquer les divers éléments du relief en observant les phénomènes encore à
l’œuvre dans le monde. Par exemple, les canyons ont été creusés par les fleuves ; les roches
sédimentaires contenant des fossiles marins ont été emportées par les fleuves jusqu’à la mer. Un
changement profond résulte du cumul de processus lents mais continuels.
Personnalité :__________________________________
C. Les espèces fossiles se succèdent dans les couches de sédiments. Chaque strate se distingue par un
groupe unique d’espèces fossiles et plus la strate est profonde, plus les fossiles sont anciens. Les
phénomènes d’extinction sont fréquents dans l’histoire de la vie, car, de strate en strate, des
espèces disparaissent alors que d’autres apparaissent. Toutefois, les limites entre les strates
correspondent à des catastrophes, et les nouveaux organismes sont venus d’ailleurs, sans
transformations.
Personnalité :__________________________________
7
D. Les populations humaines augmentent davantage que la nourriture elle-même. La capacité de se
reproduire à l’excès semble caractériser tous les êtres vivants. Cependant, sur le grand nombre de
descendants mis au monde, une infime fraction seulement mène à terme leur développement. Les
individus doivent lutter pour leur survie.
Personnalité :__________________________________
E. Les espèces semblables forment un genre, les genres semblables une famille, et ainsi de suite ;
mais ces ressemblances entre les groupes n’indiquent aucune parenté sur le plan de l’évolution.
Personnalité :__________________________________
F. Les caractéristiques des individus d’une population varient énormément ; il n’existe pas deux
individus parfaitement identiques. Ces différences sont en grande partie héréditaires. Quand un
facteur extérieur intervient, les individus sont sélectionnés selon leur aptitude à affronter le
problème.
Personnalité :__________________________________
G. Face à un problème de l’environnement, les individus sont capables de modifier leurs
caractéristiques. Ils peuvent perdre ou acquérir des capacités, qu’ils transmettront à leurs
descendants.
Personnalité :__________________________________
H. Les caractéristiques des individus d’une population varient énormément ; il n’existe pas deux
individus parfaitement identiques. Ces différences sont en grande partie héréditaires. Quand un
facteur extérieur intervient, les individus sont sélectionnés selon leur aptitude à affronter le
problème.
Personnalité :__________________________________
I. Les êtres vivants transmettent une partie de leurs caractéristiques génétiques à leurs descendants,
et cela selon des lois précises.
Personnalité :__________________________________
8
2
« PREUVES » OU INDICES DE L’ÉVOLUTION
La théorie de l’évolution ne peut être prouvée directement, expérimentalement, parce qu’elle a trait au
passé et que celui-ci ne peut être rejoué.
Une preuve est scientifique lorsque les résultats d’une expérience sont reproductibles, c’est-à-dire
lorsque l’expérience peut être reconduite avec les mêmes résultats. Dans le cas de l’évolution, on ne
peut refaire l’expérience et, si c’était le cas, les résultats seraient différents, même avec les mêmes
conditions de départ !
Cependant, de nombreux indices (« preuves ») plaident en faveur de l’évolution. Ils sont tirés de
l’étude comparative des êtres actuels (anatomie et morphologie, biochimie et cytologie, embryologie
et génétique), de la biogéographie et géologie, et surtout de la paléontologie.
2.1
Anatomie et morphologie
2.1.1
Homologie
Le terme « anatomie comparée » fut utilisé pour la première fois par l’anatomiste anglais Nehemiah
Grew (1641-1712) pour décrire les différences et les ressemblances entre les organes des êtres vivants.
En France, Louis-Marie Daubenton (1716-1800) généralise cette méthode qui devient rapidement une
véritable discipline. En 1745, il devient le collaborateur du célèbre naturaliste bourguignon Buffon
(1707-1788) et dissèque les multiples animaux reçus de toutes les régions du monde. Leur description
fournit la matière des quatorze volumes de l'Histoire naturelle générale et particulière des
quadrupèdes.
L'anatomie comparée a permis de déterminer et
d'élucider une foule extraordinaire de faits en
médecine, en biologie, et sur l'évolution en particulier.
Elle révèle, entre autres choses, les similitudes internes
entre les êtres vivants ainsi que leurs organes
homologues. Les organes homologues sont de même
origine embryologique mais anatomiquement et
physiologiquement différents selon l’usage qu’en a
l’animal. L'aile de l'oiseau est l'homologue du bras de
l'homme mais pas de l'aile de la mouche, par exemple.
La comparaison entre les espèces de vertébrés révèle
des ressemblances remarquables. Les membres
antérieurs des différents mammifères (figure 7)
(l’Homme, le porc, le dauphin, la taupe ou l’oiseau) se
composent des mêmes éléments osseux, bien que ces
appendices remplissent des fonctions différentes. Ces
os constituent une preuve que toutes ces espèces ont
évolué à partir d'un ancêtre commun qui leur a donné
en héritage la même structure squelettique de leurs
membres.
La nageoire des baleines est particulièrement
exemplaire. Le squelette d’un bras humain est fait de
trente os, qui constituent dix-sept articulations, toutes
très mobiles, de l'épaule jusqu'au bout des doigts. La
Figure 7 : Structures homologues
9
nageoire d'une baleine est, elle aussi, faite des mêmes trente os (plus quelques autres dans les doigts
dans certains cas). Ils forment aussi les mêmes dix-sept articulations, mais une seule est mobile, celle
de l'épaule, entre l'humérus et l'omoplate. Les seize autres sont tout à fait figées, ankylosées en
permanence. L'évolution explique très bien cette structure de la nageoire. La baleine a besoin d'une
sorte de rame, mobile mais rigide. Mais comme elle descend d'un ancêtre pourvu d'un bras comme le
nôtre, le sien est fait des mêmes os et des mêmes articulations placés dans le même ordre. Pour en faire
une rame, la sélection a dû figer seize des dix-sept articulations, alors que la nageoire des baleines
aurait été bien mieux conçue et bien plus simple si elle avait été faite d'un seul os, par exemple.
L’interprétation la plus raisonnable de cette structure commune à tous les vertébrés est que
toutes ces espèces ont évolué à partir d'un ancêtre commun ; elles ne sont que le produit de
transformations à partir d'un même modèle ayant existé dans le passé. Cette structure
commune, cette homologie, est une trace de l'histoire, une preuve de l'évolution, une preuve de
la transformation et de la parenté de ces espèces.
Les structures homologues les plus singulières sont les organes rudimentaires ou vestigiaux, des
structures atrophiées ayant pour l’organisme une utilité secondaire ou nulle. Les organes vestigiaux
représentent des rudiments de structures qui remplissaient des fonctions importantes chez les ancêtres
mais qui sont inutiles de nos jours. Les pattes rudimentaires de certains reptiles, les ceintures osseuses
de l’orvet, de la baleine, le coccyx des grands singes et de l’homme en sont des exemples.
Prenons l’exemple des ceintures pelviennes, point d’insertion des membres postérieurs. Dans la
plupart des espèces, ces ceintures sont indispensables au mouvement des membres, mais dans certains
groupes, celles-ci ont disparus. Prenons l’exemple des baleines actuelles (figure 8), qui ne possèdent
pas de membres postérieurs. A l’emplacement habituel de la ceinture pelvienne, le long de la colonne
vertébrale, se trouve un ensemble d’os qui sont manifestement homologues à la ceinture pelvienne des
autres tétrapodes. Cette structure est vestigiale car elle totalement inutile en l’absence de membres
postérieures. Elle suggère que les baleines ont évolué à partir de tétrapodes terrestres.
Figure 8: La ceinture pelvienne vestigiale de la baleine (c)
Si l’orvet ressemble à un serpent, il fait cependant partie des lézards car il conserve des rudiments ou
vestiges de bassin et de ceinture scapulaire. Si la plupart des lézards possèdent quatre membres bien
développés, le scinque tridactyle (figure 9) peut à peine utiliser ses minuscules pattes pour se mouvoir,
le pseudopode de Pallas ou scheltopusik est dépourvu de pattes antérieures tandis que l’orvet est
apode. Cet ensemble est nommé suite régressive.
Figure 9: Le scinque tridactyle
10
La vessie natatoire des poissons est homologue aux
poumons des autres vertébrés. On parle de suite
progressive lorsque l’évolution d’un organe (les poumons
dans ce cas (figure 10)) est particulièrement visible du
poisson aux mammifères et oiseaux en passant par les
urodèles (tritons/salamandres). Chez les urodèles les
poumons sont de simples sacs qui ressemblent à la vessie
natatoire des poissons, chez les anoures (grenouilles) et les
reptiles on observe une croissance dans la ramification des
bronches, l’invagination des parois et la formation de sacs
alvéolaires. La surface interne d’un poumon de salamandre
est de 5 cm2, alors que celle d’un poumon de souris est de
1200 cm2. On parle donc de suite progressive lorsque les
organes homologues peuvent être ordonnés du plus simple
au plus compliqué.
2.1.2
Analogie
Les organes analogues sont des adaptations d’organes non
homologues à une même fonction au cours de la
phylogenèse. Les pattes de chien et de coléoptères, par ex.
servent à marcher. Les deux types de pattes sont basés sur
un squelette, mais celui du chien est osseux et interne alors
que celui des coléoptères est chitineux et externe. L’aile des
Figure 10: Suite progressive
oiseaux et celle des insectes est un autre exemple d’organes
analogues parce qu’ils remplissent la même fonction tout en ayant des plans d’organisation différents.
On parle de convergence lorsque la sélection naturelle conduit à
l’acquisition de structures ou d’aptitudes similaires au sein de lignées
évolutives différentes, mais soumises à des conditions
environnementales équivalentes. Les convergences sont des
adaptations d’organes, de systèmes organiques et d’organismes à une
même fonction ou à un même milieu. Les pattes fouisseuses de la
taupe (mammifère) et de la courtilière ou taupe-grillon (insecte) se
ressemblent : ils convergent car ils ont la même fonction (creuser),
même s’ils proviennent de plans d’organisation différents. Les vrilles
de la vigne et du vanillier se ressemblent (elles servent à accrocher la
plante à un support durant la croissance), mais elles n’ont pas la
même origine (feuille modifiée chez la vigne, racine modifiée chez le
vanillier). La convergence se remarque particulièrement bien dans la
forme de certains animaux aquatiques (baleine, phoque, manchot,
poisson, serpent marin) et celle d’animaux ayant opté pour une
locomotion de type ondulante (lamproie, anguille, orvet, lombric).
L’un des exemples les plus connus est l’apparition de l’aile pour le
vol battu chez les oiseaux, les chiroptères (mammifères) et les
ptérosaures (figure 11).
Les organes analogues ne sont donc pas hérités d'un même ancêtre
commun, ils ne traduisent pas les relations de parenté mais seulement
une adaptation au milieu.
Figure 11 : Les ailes
analogues du ptérosaure
(1), de la chauve-souris (2)
et de l’oiseau (3), sont le
fruit
d’une
évolution
convergente
11
2.2
Biochimie et cytologie
Tous les êtres vivants présentent au niveau de leur structure cellulaire (cytologie) des ressemblances et
au niveau de leurs molécules (biochimie) des similitudes qui témoignent de leur origine commune.
2.2.1
Cytologie
Au niveau des similitudes, toutes les cellules des êtres vivants contiennent un cytoplasme et sont
délimitées par une membrane. Le même type de membrane joue un rôle à l’intérieur des cellules. En
effet, par des replis et des invaginations, les membranes divisent le cytoplasme en compartiments, dont
les fonctions peuvent être spécialisées. Les acides nucléiques (ARN, ADN) sont présents dans toutes
les cellules. Leur structure (séquence des bases nucléiques qui les composent) détient l’information
nécessaire à la synthèse des protéines.
Au niveau des différences (figure 12), les plus grands contrastes se situent entre les procaryotes,
organismes unicellulaires dont les cellules sont dépourvues de noyau, et les eucaryotes, organismes
unicellulaires ou pluricellulaires dont les cellules possèdent un noyau. Chez les eucaryotes, l’ADN est
majoritairement situé dans le noyau. Réticulum endoplasmique, mitochondries et appareil de Golgi
sont absents chez les procaryotes. Les eucaryotes sont divisés en quatre règnes, les protistes, les
champignons, les végétaux et les animaux. La structure interne de leurs cellules présente certaines
différences. Les cellules végétales, par ex., contiennent des chloroplastes et des vacuoles, et sont
protégées par une paroi en cellulose. La cellulose n’apparaît pratiquement pas chez les animaux et les
champignons. La chitine, qui constitue l’exosquelette des arthropodes, est absente dans les plantes,
mais se rencontre chez les champignons.
Figure 12 : Comparaison procaryotes-eucaryotes
Les mitochondries présentes chez tous les eucaryotes et les chloroplastes présents chez les plantes et
chez certains protistes (algues unicellulaires) possèdent de l’ADN. Cette présence d’ADN dans des
12
organites (mitochondries et chloroplastes) des eucaryotes est un indice à la base de l’hypothèse de
l’origine endosymbiotique (figure 13) des eucaryotes.
Dès le début du XXème siècle les chercheurs ont pensé que les plastes et les mitochondries pouvaient
provenir de bactéries. Celles-ci auraient été ingérées par des cellules primitives et vivraient à l'intérieur
d'elles en symbiose. Elles auraient progressivement perdu leur autonomie et auraient transféré une
partie de leurs gènes au noyau de leur hôte, se transformant en mitochondries. De même, chez les
plantes eucaryotes porteuses de mitochondries, ce serait l’absorption de cyanobactéries qui aurait
donné naissance aux chloroplastes.
Cette théorie endosymbiotique de l'origine des plastes et des mitochondries est devenue parfaitement
plausible lorsque l'on a découvert (1950-1960) que ces organites contenaient de l'ADN et des
ribosomes.
Figure 13 : Théorie endosymbiotique
2.2.2
Biochimie
L’ADN, les gènes et les protéines (expression des gènes) nous documentent sur le bagage héréditaire
d’un organisme. Les séquences linéaires de nucléotides dans la molécule d’ADN se transmettent de
parents aux descendants, et l’ADN détermine les séquences d’acides aminés des protéines. Entre
enfants et parents, l’ADN et les protéines se ressemblent davantage qu’entre individus sans lien de
parenté. Si la vision évolutionniste de la vie est valide, on devrait en principe pouvoir appliquer ce
concept de « généalogie moléculaire » aux relations qui existent les espèces.
L’hypothèse la plus audacieuse de Darwin, celle qui voulait que toutes les formes de vie s’apparentent
dans une certaine mesure parce qu’elles descendent des mêmes organismes primordiaux, a aussi été
confirmée par la biologie moléculaire. Même des organismes aussi éloignés que les humains et les
bactéries ont certaines protéines en commun (ex. cytochrome C). Le cytochrome C est une protéine
qui intervient dans la respiration cellulaire des animaux et des végétaux ; elle intervient également
dans les mécanismes de transferts d’électrons de la photosynthèse. On trouve donc le cytochrome C
sous la forme de molécules homologues dans l’immense majorité des espèces, depuis les bactéries
jusqu’aux mammifères.
Au cours de l’évolution, des mutations ont changé des acides aminés en certains points de la protéine,
mais les molécules de cytochrome C de toutes les espèces ont incontestablement une structure et une
fonction semblable. L’universalité du code génétique constitue une preuve de plus à l’appui des idées
de Darwin. Chez les animaux le cytochrome C comprend 104 acides aminés. Quand on compare les
séquences d’acides aminés chez les humains et chez les singes rhésus, on trouve une différence en
position 66, mais il y a une identité pour les 103 autres positions. Quand on compare les chevaux aux
humains, on trouve 12 différences d’acides aminés, mais quand on compare les chevaux aux rhésus, il
y a seulement 11 acides aminés différents. Même en ne connaissant rien d’autre sur l’histoire évolutive
des mammifères, nous pouvons conclure que les lignées de l’homme et du singe rhésus ont divergé
l’une de l’autre beaucoup plus récemment qu’elles ne l’ont fait de la lignée des chevaux.
13
Ainsi, quand deux espèces semblent apparentées
dans
une
chaîne
en raison de leur anatomie et selon les données Ressemblance
fournies par les fossiles, on peut s’attendre à ce polypeptidique (chaîne β) de l’hémoglobine
que leur ADN et leurs protéines se ressemblent
Nombre d’acides aminés
davantage que celles de deux espèces plus
différents en comparaison
éloignées. En comparant (tableau 1), par exemple
Espèce
avec
l’hémoglobine
la séquence d’acides aminés dans la chaîne β de
humaine
l’hémoglobine (146 acides aminés) de l’Homme à
Homme
0
celle de huit autres vertébrés, les Hommes et les
gorilles ne diffèrent que par un seul acide aminé.
Gorille
1
Plus les espèces sont éloignées, moins la chaîne est
Gibbon
2
semblable. La biologie moléculaire offre un
Singe Rhésus
8
nouvel outil pour évaluer la filiation évolutive
entre les espèces.
Souris
27
La comparaison des séquences tant au niveau des
protéines (acides aminés) que de l’ADN
(nucléotides) permet de reconstituer des arbres
phylogénétiques. Un arbre phylogénétique est un
arbre qui montre les relations de parentés entre
des entités supposées avoir un ancêtre commun.
Chacun des nœuds de l’arbre représente l’ancêtre
commun de ses descendants
2.3
Kangourou gris
Poulet
Grenouille
Lamproie
Tableau 1 : ressemblance
l’hémoglobine
38
45
67
125
au
niveau
de
Embryologie et génétique
2.3.1
Embryologie
Les organismes utilisent tous le même code génétique, basé sur l'ADN, et la même molécule
transporteuse d'énergie, l'ATP. Tout métazoaire ou animal pluricellulaire (par opposition aux
protozoaires, dont l'organisme est formé d'une seule cellule), issu de la reproduction sexuée, provient
d'une cellule unique, l'œuf. L'ontogenèse est le passage de ce germe initial à l'individu adulte capable
de se reproduire.
Cette histoire est marquée dans tout le règne Animal par la succession de phases essentielles:
•
la segmentation de l'œuf, ou division cellulaire;
•
la gastrulation, ou formation des feuillets embryonnaires, accompagnée de mouvements
cellulaires.
•
l'organogenèse, avec la différenciation des cellules et des tissus.
La première étape est l'acquisition de l'état pluricellulaire ; au cours de la deuxième phase, le plan
d'organisation du futur animal est établi dans ses grandes lignes; enfin, c'est pendant l'organogenèse
que les cellules effectuent leur différenciation terminale et deviennent fonctionnelles.
Ernst Haeckel a formulé la loi biogénétique qui dit que « l'ontogenèse récapitule la phylogenèse »,
autrement dit que le développement embryonnaire d'un individu (ontogenèse) répète l'histoire
évolutive de l'espèce (phylogenèse). Il s'agissait là bien sûr d'une exagération. Il est vrai que les
vertébrés ont en commun plusieurs stades de développement embryonnaire (figure 14), mais on ne
peut prétendre que les embryons ressemblent successivement à des formes adultes de vertébrés de plus
en plus avancés. Un embryon de mammifère ne passe pas par un stade poisson, un stade amphibien, et
ainsi de suite. Chaque classe a ses particularités. Les enveloppes embryonnaires des reptiles ou
14
oiseaux ne seront pas les mêmes que celles qui protègent les adultes embryons de mammifères. Les
fentes branchiales observées chez les embryons de vertébrés ne sont pas de véritables branchies, mais
seulement les ébauches de celles qui se forment ensuite chez les poissons. L'ontogenèse ne reproduit
donc pas des stades adultes de vertébrés prédécesseurs, mais au mieux des ébauches de leurs
structures.
L’ontogenèse donne donc des renseignements précieux sur la phylogenèse. L’embryologie
comparative parvient souvent à déceler une homologie entre des structures qui se modifient tellement
en cours de développement que l’examen de leur forme adulte ne révélerait pas leur origine commune.
Il est très difficile de distinguer entre les poissons, les salamandres, les oiseaux, les moutons et les
Hommes à certains stades précoces de leur développement embryonnaire, et les similarités ne se
limitent pas à l'aspect extérieur des embryons. Des détails anatomiques sont conservés: à un stade
donné de leur développement, tous les embryons de vertébrés présentent des fentes branchiales; cellesci se transforment en branchies chez les poissons mais donnent naissance à d'autres organes chez les
vertébrés terrestres (notamment les trompes d'Eustache chez l'être humain). Certains processus sont
aussi maintenus: tous les embryons de vertébrés forment d'abord une corde, organe dorsal de soutien,
avant de différencier une colonne vertébrale osseuse.
L’étude des formes vivantes transitoires (larves ou embryons) fait découvrir des homologies et donc
des parentés peu évidentes chez les adultes. Par exemple, le néréis (ver annelé marin) et la patelle
(mollusque marin fixé aux rochers de la côte) sont, à l’âge adulte, des animaux bien différents, mais
difficiles de distinguer au stade larvaire.
La similitude entre les étapes initiales
du
développement
embryonnaire
d’espèces proches montre qu’elles
suivent
le
même
plan
de
développement. On retrouve dans le
développement de l’embryon de
mammifère des stades initiaux qui
rappellent ceux des embryons des
poissons, des amphibiens et des
reptiles. C’est une des preuves les plus
solides : l’embryon des mammifères
passe par un stade d’organisation qui
reprend l’adaptation ancienne à la vie
aquatique.
De gauche à droite : embryons de
poisson, de salamandre, de tortue, de
poulet, de lapin et d’humain à trois
stades de leur développement.
2.3.2
Génétique
Les molécules se sont donc conservées
au cours de l'évolution. Pas seulement
les protéines de structure comme les
hémoglobines des globules rouges, les
Figure 14: Développement embryonnaire de vertébrés
actines et les myosines des muscles ou
les kératines des cheveux et des ongles. Pas seulement les enzymes comme la pepsine et la trypsine
qui interviennent dans la digestion ou les cytochromes qui interviennent dans la respiration. Mais aussi
les protéines de régulation qui dirigent, par exemple, le développement de l'embryon et déterminent la
forme de l'animal.
Le programme de développement d'un organisme est inscrit dans son patrimoine. Comme les cellules
issues d'une même cellule œuf ont la même information génétique mais des destinées différentes, on
s'est longtemps demandé ce qui gouvernait l'identité positionnelle des différentes structures au cours
du développement.
15
Edward Lewis, biologiste américain (1918 - 2004), travailla sur le contrôle génétique du
développement de l’embryon chez les drosophiles et il voulut comprendre comment se formaient les
étranges créatures ailées qui, parfois, naissaient dans ses bocaux : certaines portaient des pattes sur la
tête, d'autres, plus fantastiques encore, des ailes à la place des yeux. Chez tous ces mutants, il
remarqua un point commun : les organes en surnombre étaient toujours parfaitement normaux, mais ils
ne se trouvaient pas à la bonne place. Il découvrit alors les gènes homéotiques (1972), et démontra
qu'ils sont tous regroupés dans une même région chromosomique et disposés dans le même ordre que
celui dans lequel ils s'expriment au cours de l'embryogenèse. Ces gènes devaient, en temps normal,
contrôler l'anatomie générale des segments embryonnaires.
Ces « homéogènes » sont aussi appelés gènes maîtres. Ils font partie d’une catégorie spéciale de
gènes, les gènes régulateurs, dont les produits contrôlent la transcription, c'est-à-dire la lecture,
d'autres gènes. Cette régulation s'effectue selon un programme précis spécifiant exactement quand et
où un gène est transcrit. Le développement serait un véritable chaos si chaque gène était régulé
indépendamment des autres! Le rôle de ces gènes est donc d'informer les cellules de leur position
au cours de l'embryogenèse et de préciser leur positionnement définitif dans l'embryon au cours
de la formation des organes. Il est actuellement admis que des processus de développement
embryonnaires aussi différents chez une mouche et une souris et plus généralement la diversité du
règne animal résultent de la mise en oeuvre de gènes similaires appartenant à la famille des gènes
régulateurs. Ces gènes régulateurs, les "gènes maîtres" (ou gènes de contrôle ou gènes architecte), sont
situés au sommet d'un édifice génétique d'où ils régulent un ensemble de gènes secondaires qui, euxmêmes, influencent l'activité d'autres gènes cibles d'un niveau inférieur dans la hiérarchie. De cet
édifice naissent des signaux chimiques qui sont transmis du noyau cellulaire au cytoplasme et de
cellule à cellule. Finalement, des "gènes de structure" activés par ces signaux s'expriment et codent des
blocs de construction, c'est-à-dire des protéines à partir desquelles les structures et les organes de
l'organisme sont mis en place.
Sans le savoir, Lewis venait de trouver le « sésame » du développement embryonnaire de toutes les
espèces vivantes. Il fallut, pour le comprendre, attendre ces vingt dernières années et l'explosion de la
biologie moléculaire qui, seule, permit véritablement de pénétrer les secrets de l'ADN. Chez la
mouche, qui jouit d'un long passé génétique, ont été donc mis en évidence les gènes qui assurent, dans
l'oeuf, la mise en place des axes du futur embryon, puis ceux qui découpent le corps de l'embryon en
segments, puis ceux qui déterminent le destin et la forme de chacun de ces segments. A la stupéfaction
générale, ces mêmes gènes ont été retrouvés chez tous les animaux examinés : coup sur coup
grenouille, ver, souris et homme. Pas tout à fait semblables d'une espèce à l'autre, mais
extraordinairement conservés, par leur structure comme par leur fonction, depuis 500 millions
d'années d'évolution, et essentiels au développement embryonnaire de toutes les espèces vivantes. Ces
gènes maîtres ont donc une structure et une fonction similaire chez des organismes aussi différents que
l’Homme, la souris ou la drosophile. Les gènes qui mettent en place le plan d'un être humain sont donc
les mêmes que ceux fonctionnant chez une mouche ou un ver. Il faut admettre que tous les animaux
existant aujourd'hui sur cette terre descendent d'un même organisme ayant vécu il y a six cents
millions d'années et possédant déjà cette batterie de gènes.
A Bâle, l'équipe de Walter Gehring a pu montrer qu'un seul gène suffisait pour déterminer la
fabrication d'un œil chez la drosophile. L'induction d'yeux ectopiques fonctionnels sur les pattes ou les
antennes d'une drosophile est déterminée par l'expression du seul gène eyeless. Ceci démontre
qu'eyeless est un gène maître qui contrôle en cascade l'activation des 2500 autres gènes impliqués dans
l'édification d'un œil. Le gène Small eye joue exactement le même rôle chez les vertébrés. Ceci
suggère que même si les arthropodes, céphalopodes ou vertébrés ont des yeux bien différents, ils
dérivent sans doute tous du même œil rudimentaire (cellule photosensible) qu'un seul gène a pu suffire
à réaliser. Cet œil primitif est donc vraisemblablement apparu une unique fois au cours de l'évolution
chez un ancêtre commun aux arthropodes, mollusques et vertébrés. L'existence de mutations touchant
des gènes maîtres et intervenant très tôt dans le développement peut ainsi participer à expliquer les
innovations morphologiques propres à chaque plan d'organisation et les disjonctions entre les grands
phylums.
16
2.4
Biogéographie
La biogéographie se réfère à l’étude de la distribution géographique des espèces. Ce concept, dû à
Darwin, explique l’ascendance commune des espèces. Les îles abritent beaucoup d’espèces
endémiques (caractéristiques d’une région), mais étroitement apparentées à des espèces du continent le
plus proche ou d’une île voisine. Les espèces modernes habitent dans telle ou telle région parce
qu’elles descendent d’ancêtres qui ont vécu là. Les organismes peuvent occuper certaines régions du
globe et être totalement absents dans d’autres endroits, même si les conditions climatiques leurs
conviendraient.
C’est ainsi, par exemple, que les animaux tropicaux d’Amérique du Sud s’apparent plus étroitement
aux espèces désertiques d’Amérique du Sud qu’aux espèces tropicales d’Afrique. C’est aussi la raison
pour laquelle l’Australie compte de nombreuses espèces de marsupiaux mais pratiquement aucun
mammifère placentaire. L’Australie n’est pourtant pas hostile aux animaux placentaires. La
prolifération des lapins introduits récemment en est la preuve. Mais si la faune indigène de l’Australie
ne comprend pas d’animaux placentaires, c’est parce que le continent a été coupé des endroits où
vivaient leurs ancêtres.
C’est l’isolation des organismes qui expliquent la biogéographie. La dispersion des espèces est limitée
par les mers, les montagnes ou les déserts. Des populations peuvent donc se retrouver isolées par des
mouvements tectoniques, tels la formation de montagnes ou la séparation de presqu’îles. Ce sont les
pinsons des Galapagos qui ont donné l’idée à Darwin de la biogéographie, raison pour laquelle on les a
nommés pinsons de Darwin (figure 15). Ils ont évolué à partir de pinsons d’Amérique du Sud,
granivores et vivant au sol. Lorsque ces derniers immigrèrent sur les îles Galapagos (figure 16), ils ne
furent confrontés à aucun concurrent. A partir de ces colonisateurs, de nouvelles espèces de pinsons se
développèrent. Les pinsons actuels se distinguent avant tout par la forme et la grandeur de leur bec,
adaptées aux différents régimes alimentaires : granivore, herbivore ou insectivore. Ils ont colonisé les
niches écologiques à disposition.
Figure 16 : Les îles galapagos
Figure 15 : Les pinsons de Darwin
Les pinsons de Darwin diffèrent notamment par la forme du bec, qui semble nettement en rapport avec
la niche écologique occupée par chacune des espèces. En effet, les pinsons arboricoles vivent
principalement d'insectes, tandis que les pinsons terrestres se nourrissent surtout de graines. Ces
formes ont vraisemblablement été engendrées par une seule espèce.
Les premiers Espagnols qui atteignirent les Galápagos ne tardèrent pas à y découvrir les tortues
géantes, qui leur apparurent comme la réplique monstrueuse des petites "galápagos", chéloniens d'eau
douce, qui pullulaient dans les marais de la péninsule Ibérique ; c'est pourquoi ils donnèrent à
l'archipel ce nom qui est resté depuis lors. Ces animaux gigantesques mesurent 1,50 m de longueur et
pèsent jusqu'à 250 kg. Originaires du continent sud-américain distant de 1000 km, leurs ancêtres ont
17
traversé cette distance par voie de mer grâce à leur aptitude à flotter très longuement et leur grande
résistance aux besoins physiologiques.
On ne peut non plus écarter la possibilité d'un transport passif sur des radeaux, tels des troncs d'arbres
par ex. Actuellement encore, les îles plus ou moins distantes du continent sont fréquemment
colonisées de la sorte par les espèces continentales.
La distribution géographique actuelle des espèces est révélatrice de leur histoire. Ainsi, les espèces de
plantes et d'animaux qui ressemblent le plus à celles des îles Galápagos sont des espèces vivant en
Équateur, la terre ferme la plus proche, à environ 1000 km. Cette distribution géographique suggère
fortement que des espèces de l'Équateur ont émigré jusqu'aux Galápagos et s'y sont transformées sous
des conditions légèrement différentes. Si toutes les espèces avaient été créées indépendamment les
unes des autres, alors pourquoi le Créateur aurait-il placé tous les marsupiaux en Australie et aucun en
Afrique ? Ou pourquoi avoir placé tous les lémurs à Madagascar, ou tous les singes à queue préhensile
en Amérique du Sud, ou aucun ours en Afrique ? Rien dans le climat australien ne permet de croire
qu'une poche marsupiale est avantageuse seulement dans cette île ; rien dans la structure ou l'écologie
des forêts d'Amérique du Sud n'oblige à porter une queue préhensile plus qu'en Asie ou en Afrique.
Ces distributions géographiques selon lesquelles plus les espèces qui se ressemblent habitent près les
unes des autres indiquent que ces dernières ont évolué à partir d'ancêtres communs ayant émergé à un
endroit particulier.
2.5
Géologie (dérive des continents)
Si la biogéographie explique les espèces endémiques, la
tectonique des plaques permet d’expliquer la présence
d’espèces semblables dans des lieux très différents (autruche en
Afrique, émeu en Australie, nandou en Amérique du Sud,
casoar en Australie et Nouvelle-Guinée).
Le déroulement de la phylogénie est inséparable, Darwin
l’avait déjà remarqué, de la formation de la surface de la Terre.
L’évolution se déroule à la surface de la Terre et laisse derrière
elle des traces sous formes de fossiles. La Terre elle-même
s’est transformée et a influencé les êtres vivants qui la
colonisaient.
La théorie qui décrit les changements de la surface de la Terre,
d’après les connaissances actuelles, est celle de la dérive des
continents (figure 17). Les continents se sont formés sur une
croûte relativement légère qui nage sur du matériel plus lourd.
Des courants de convection des couches visqueuses plus
profondes déplacent les continents, à tel point qu’ils se
disloquent, s’éloignent les uns des autres et se joignent à
nouveau. C’est sur leur surface que s’est déroulé le
développement des plantes et des animaux, dont les conditions
de vie et leur environnement sont déterminés par la position
respective des continents.
Par exemple, l’Australie est le seul continent où l’on trouve une
grande variété de marsupiaux ; ces animaux remplissent là des
niches écologiques analogues à celles qu’occupent les
mammifères placentaires sur les autres continents. Les Figure 17 : La dérive des
marsupiaux sont probablement apparus dans ce qui devait continents
devenir l’Amérique du Nord ; après quoi, ils atteignirent
l’Australie en passant par l’Amérique du Sud et l’Antarctique à l’époque où ces continents s’étaient
réunis. Ensuite les continents australs se sont scindés, et l’Australie est devenue l’arche de Noé des
18
marsupiaux; pendant ce temps, les mammifères placentaires ont évolués et se sont diversifiés sur les
autres continents. L’Australie se trouve complètement isolée depuis 50 millions d’années ; les
Chauves-souris et les humains (ainsi que les animaux domestiques) sont les seuls mammifères
placentaires du continent. Le fait que les mammifères d’Australie ont suivi une évolution propre
trouve dans la théorie de la dérive des continents une explication claire. Il est vraisemblable que la
dislocation des continents soit une des causes principales de la diversité du règne animal des
mammifères qui se sont répandu à la fin du Jurassique sur la surface des continents et qui ont donné
vers la fin du Crétacé une diversité de lignes évolutives. La distinction entre “Singes de l’Ancien
monde” et “Singes du Nouveau monde” en est un exemple célèbre.
2.6
Paléontologie
La paléontologie est la science qui étudie les fossiles (débris ou empreintes) d’êtres vivants retrouvés
dans les couches sédimentaires de l’écorce terrestre. Les plus anciens fossiles connus sont ceux des
procaryotes, et les données fournies par la biochimie, la biologie moléculaire et la biologie cellulaire
font des procaryotes les ancêtres de toutes les formes vivantes. Quant aux fossiles de vertébrés, ceux
des poissons demeurent les plus anciens, suivis dans l’ordre chronologique par les fossiles
d’amphibiens, de reptiles, de mammifères et d’oiseaux.
La paléontologie montre donc que des organismes aujourd’hui disparus ont vécu pendant les ères
précédentes.
La fossilisation est un phénomène rare. En principe, les organismes morts sont décomposés par des
processus naturels de dégradation. Il est donc exceptionnel qu’ils se fossilisent. Pour qu'il y ait
fossilisation, il faut que l'animal ou le végétal, soit soumis à des conditions particulières peu de temps
après sa mort et avant que les organismes décomposeurs entrent en scène, tel que les bactéries, ou bien
tout simplement divers charognards et insectes. Pour éviter cela, la plupart du temps, les organismes
ont étés protégés par un enfouissement rapide dans des sédiments, principalement d'origine aquatique,
tel des argiles ou des sables. Le plus souvent la fossilisation débute avec la décomposition des tissus
mous de telle sorte qu’on ne retrouve finalement que des dents, des écailles, des os, des carapaces ou
des coquilles. Les parties molles peuvent aussi être conservées mais c’est beaucoup plus rare, c’est
notamment le cas d’organismes conservés dans les glaces (mammouths), de l’ambre (résine fossilisée:
fourmis, mouches, araignées…), des cendres volcaniques, mais ces conditions restent exceptionnelles.
On distingue plusieurs cas de fossilisation :
•
Le cadavre se conserve entièrement : il est alors complètement soustrait à l’action des
microbes. Par exemple, les mammouths de l’ère quaternaire, frigorifiés dans les glaces de
Sibérie, retrouvés avec leur chair, leur toison, des caillots de sang dans leurs veines. On a aussi
retrouvé des arthropodes fossilisés intacts dans de la résine fossile (ambre) de pins et de sapins
de l’époque tertiaire. Ces fossiles d’organismes entiers sont rares.
•
Les parties minérales seules persistent (os et dents des vertébrés, coquilles, carapaces…). Ce
sont les fossiles les plus communs.
•
On ne retrouve que des empreintes (moules) externes et internes. Les calcaires renferment
souvent des moules externes de coquilles ; en coulant du plâtre ou de la cire dans ces moules,
on obtient la forme générale exacte de l’organisme disparu. Ce cas se présente lorsque le
cadavre est enfoui dans un sédiment fin (vase, cendre volcanique…) et disparaît.
•
Une substance minérale se substitue à l’organisme et le remplace dans tous ses détails. Par
exemple les arbres silicifiés dans les grès houillers. Certaines coquilles calcaires sont
minéralisées par de la silice, du sulfate de fer.
19
L’échelle des temps géologiques est divisée hiérarchiquement en ères, périodes et époques. Les
frontières entre les plus grandes divisions, les ères, correspondent aux grands événements qui ont
marqué l’existence de la Terre et qui se traduisent par des changements brusques dans les archives
fossiles. Des trois frontières de ce type, deux se rapportent aux plus célèbres des extinctions massives.
Pendant les 530 millions d’années d’existence, la vie pluricellulaire a connu cinq extinctions notables
(à la fin de l’Ordovicien, du Dévonien, du Permien, du Trias et du Crétacé) et de nombreuses
extinctions de moindre envergure. Les extinctions ont été plus fréquentes, plus rapides, de plus grande
envergure et de conséquences plus variées que les paléontologues ne l’admettaient jusqu’à présent
(tableau 2).
L’extinction du Crétacé, il y a 65 millions d’années, délimite la frontière des ères Mésozoïque
(ère secondaire) et Cénozoïque (ère tertiaire) C’est la fameuse disparition des dinosaures.
C’est ce qui a permis l’essor des mammifères.
A la fin du trias beaucoup d’organismes nectoniques disparaissent (nautilus…).
A la fin du permien, il y a 225 millions d’années, c’est la plus grosse crise, 96% de toutes les
espèces marines sont éliminées.
A la fin du dévonien, il y a env. 367 millions d’années, les poissons marins sont affectés, alors
que ceux d’eau douce le sont beaucoup moins ; peu de trilobites survivent.
A la fin de l’ordovicien, il y a 440 millions d’années, un tiers de la faune s’est éteinte.
Tableau 2 : Histoire géologique de la Terre
20
Téléchargement