VertigO – La revue en sciences de l'environnement, Hors Série 6, décembre 2009
VertigO, Hors Série 6 2
Le droit de l’OMC constitue à ce titre, un cadre d’analyse
particulièrement pertinent. En effet, le contentieux sanitaire et
environnemental est éminemment technique et prend devant ces
organes une acuité particulière en raison d’enjeux commerciaux
et politiques forts. Par ailleurs, les Groupes spéciaux sont
généralement composés de deux diplomates et d’un juriste et ne
disposent donc pas de connaissances scientifiques spécifiques et
la procédure de règlement des différends est enserrée dans des
délais très contraignants. Sous l’égide du GATT, peu de
dispositions concernaient les aspects scientifiques et, aucun litige
concernant une mesure fondée sur des éléments scientifiques
n’avait été tranché par les panels. L’incapacité de l’ancien GATT
à résoudre ce type de conflit a rendu nécessaire une tentative de
rationalisation de l’article XXb lors de l’Uruguay round et
l’adoption de l’Accord sur les mesures sanitaires et
phytosanitaires (Accord SPS4). Les Groupes spéciaux et l’Organe
d’appel sont particulièrement enclins à recourir à l’expertise. Ils
nous fournissent donc une matière riche permettant d’éclairer la
problématique du rôle des éléments scientifiques dans les
contentieux sanitaires et environnementaux internationaux, à
travers deux questions complémentaires : celle des modalités de
nomination des experts (I) et celle de la portée de l’expertise dans
l’issue du jugement (II).
Modalités de recours aux experts
Malgré son caractère essentiel, la preuve n’est pratiquement pas
envisagée dans le Mémorandum d’accord concernant le
règlement des différends de l’OMC. L’article 11 indique
comment les Groupes spéciaux doivent s’acquitter de leur tâche :
« un Groupe spécial devrait procéder à une évaluation objective
de la question dont il est saisi, y compris une évaluation objective
des faits de la cause, de l’applicabilité des dispositions des
accords visés pertinents et de la conformité des faits avec ces
dispositions ». Cette exigence d’« évaluation objective des faits »
constitue la seule indication précise du Mémorandum sur ce
point, pour être flou elle n’en est pas moins fondamentale. Les
modalités de cette « évaluation » ne sont pas précisées par le
Mémorandum d’accord. En fait, d’une manière générale, si le
Mémorandum d’accord fixe les grandes lignes de la procédure de
règlement des différends, il contient très peu de règles concernant
les questions de procédure au cours de la phase d’examen des
affaires par les Groupes spéciaux. C’est donc essentiellement
dans la pratique des Groupes spéciaux et de l’Organe d’appel que
doivent être recherchées les solutions. L’article 13 du
4 L’Accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires est
considéré comme une application de l’article XX b) du GATT de 1994 qui se
réfère aux exceptions « nécessaires à la protection de la santé et de la vie des
personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux ». L’Accord
constitue donc la lex specialis en la matière. Négocié expressément dans le but
d’éviter que les États n’abusent de l’article XX b) en matière agricole, il a pour
objet d’empêcher que les règles techniques qui visent à assurer la protection de la
santé et de la sécurité des personnes et des animaux n’aient pour effet de créer des
obstacles aux échanges internationaux.
Mémorandum concernant le règlement des différends laisse aux
Groupes spéciaux un large pouvoir d’investigation pour
rechercher les informations nécessaires à la résolution du litige y
compris les informations d’ordre technique et scientifique, se
rapprochant, sans en avoir cependant toutes les caractéristiques,
d’un système de type inquisitoire. Des limites sont cependant
posées au rôle de ces sources extérieures dans la procédure : dans
l’affaire Produits agricoles, l’Organe d’appel a précisé que
« L’article 13 du Mémorandum d’accord et l’article 11:2 de
l’Accord SPS laissent entendre que les Groupes spéciaux ont un
large pouvoir d’investigation. Toutefois, ce pouvoir ne peut pas
être utilisé par un Groupe spécial pour trancher en faveur d’une
partie plaignante qui n’a pas fourni un commencement de preuve
d’incompatibilité sur la base d’allégations juridiques spécifiques
qu’elle a formulées ».
Experts individuels versus groupes d’experts : se prémunir
contre une opinion dominante ?
Les textes prévoyant le recours aux experts préconisent tous la
constitution de groupes consultatifs d’experts. Ainsi l’article 13
du Mémorandum d’accord prévoit que « les Groupes spéciaux
pourront demander un rapport consultatif écrit à un groupe
consultatif d'experts ». Et il en va de même pour les dispositions
contenues dans les accords spécifiques (Article 11-2 de l’Accord
SPS5, Article 14 :2 et 3 de l’accord sur les obstacles techniques
au commerce, ci-après accord OTC6). Mais dans toutes les
affaires dont ils ont pu être saisis dans la matière qui nous
intéresse, les Groupes spéciaux ont toujours privilégié le recours
à des experts individuels.
Dans l’affaire « Hormones »7 qui portait sur les mesures prévues
dans la directive communautaire n°96/22/CE interdisant
5 Article 11-2 de l’Accord SPS : « Dans un différend relevant du présent accord et
qui soulève des questions scientifiques ou techniques, un Groupe spécial devrait
demander l'avis d'experts choisis par lui en consultation avec les parties au
différend. A cette fin, le Groupe spécial pourra, lorsqu'il le jugera approprié,
établir un groupe consultatif d'experts techniques, ou consulter les organisations
internationales compétentes, à la demande de l'une ou l'autre des parties au
différend ou de sa propre initiative ».
6 Article 14 :2 et 14 :3 de l’accord OTC « A la demande d'un Membre qui est
partie à un différend, ou de sa propre initiative, un Groupe spécial pourra établir
un groupe d'experts techniques qui lui fournira une assistance en ce qui concerne
les problèmes d'ordre technique nécessitant un examen détaillé par des experts ».
7 Communautés européennes, Mesures communautaires concernant la viande et
les produits carnés, Rapport de l'Organe d’appel du 16 janvier 1998,
WT/DS26/AB/R. Sur cette affaire, voir notamment : O. Blin, La politique
sanitaire de la Communauté européenne à l’épreuve des règles de l’Organisation
mondiale du commerce : le contentieux des hormones, RTDE, 1999, n°1, pp. 47-
57. S. Boriachon, C. Tamburini-Bonnefoy, OMC et viande aux hormones : un
exemple de désaccord entre la Communauté européenne, les États-Unis et le
Canada, Gaz. Pal., 20-21 mai 1998, pp. 19-22. W.T. Douma, The Beef Hormones
Dispute and the Use of National Standards under WTO Law, European
Environmental Law Review, mai 1999, p. 137 et s; C. Joerges, Law, Science and
the Management of Risks to Health at the National, European and International
Level - Stories on Baby Dummies, Mad Cows and Hormones in Beef, Columbia
J.European Law, vol. 7, 2001, pp.1-19. C. Noiville, Principe de précaution et
OMC : le cas du commerce alimentaire, JDI, 2000, n° 2, pp. 263-297 ; J.
Pauwelyn, The WTO Agreement on Sanitary and Phytosanitary (SPS) Measures