
Estelle Malavolti et Frédéric Marty
publicitaires ‘subventionnant’ les lecteurs)6. Ce faisant, le prix effectivement acquitté par le
lecteur est plus faible que le coût total de production. D’autres marchés correspondent également
à ce modèle d’intermédiation à l’instar de celui des cartes bleues, marché dont l’Autorité de la
concurrence a déjà eu à traiter7.
En fait, ces marchés d’intermédiation trouvent leur modèle économique dans l’exploitation des
effets de réseaux indirects. Sur un versant du marché (en l’espèce les annonceurs publicitaires), la
demande sera d’autant plus forte que sur l’autre les utilisateurs (i.e. les lecteurs ou les internautes)
seront nombreux. En d’autres termes, l’utilité des participants à un versant du marché ne dépend
pas du nombre de participants sur ce même versant (cas des effets de réseaux directs) mais du
nombre de participants sur l’autre versant.
Ainsi, il est rationnel de ne pas faire payer le vrai prix de la prestation du côté des utilisateurs
pour maximiser leur demande de façon à attirer le plus possible d’annonceurs sur l’autre versant
du marché. Il convient donc de ‘subventionner’ le versant de la demande pour laquelle l’élasticité
prix est la plus forte ou suscitant le plus d’externalités sur l’autre versant (Perrot, 2011). Alors, le
lien entre les prix et les coûts ne fait-il plus sens pour chacun des versants pris isolément et doit-il
être saisi sur les deux simultanément. Ce faisant, il est impossible de jauger de la compatibilité de
ses pratiques de prix sur chacun des versants du marché. Il est nécessaire de considérer les deux
versants dans le même temps, dans la mesure où il peut tout à fait être rationnel de pratiquer sur
l’un d’entre eux des prix inférieurs aux coûts voire nuls sinon négatifs dans la mesure où il s’agit
d’une condition sine qua non pour attirer une demande solvable sur le second versant, laquelle
permet de garantir l’équilibre financier de la plate-forme. En d’autres termes, la connexion
traditionnelle entre les prix et les coûts ne peut être observée sur de tels marchés8.
La nature biface de l’activité de Google et de ses concurrents, couplée avec le caractère émergent
des marchés concernés et la nouveauté des modèles économiques des firmes du secteur, rend
particulièrement difficile l’évaluation de la licéité des pratiques de marché (Perrot, 2011). Le
risque est alors de voir se réaliser la prédiction de Coase (1972) et donc d’observer la
6. Le Canard Enchaîné constitue l’une des rares exceptions à ce modèle dans la mesure où il ne tire pas
tout ou partie de ses ressources de la publicité.
7. Autorité de la Concurrence, décision n° 11-D-11 du 7 juillet 2011 relative à des pratiques mises en œuvre
par le Groupement des cartes bancaires.
8. Pour une présentation complète des effets des externalités entre les versants d’un marché biface, se
reporter à Parker et Van Alstyne (2005).