neurones est alors très incomplètement connue :
Hodgkin et Huxley n’auront le prix Nobel pour leur
explication de l’excitation neuronale et la nature des
potentiels d’action qu’en 1963. À cette époque, la
seule manifestation électrique détectable de la
réponse de la cochlée à un stimulus sonore est un
potentiel électrique que l’on peut recueillir sur la
spire cochléaire et qui reproduit assez fidèlement les
caractéristiques de l’onde sonore stimulatrice, d’où
son qualificatif de « microphonique ».
En 1952, H. Davis, I. Tasaki, autre invité du CID,
spécialiste du neurone, et J.-P. Legouix réussirent à
démontrer que ces potentiels provenaient de l’organe
de Corti et précisèrent leur distribution spatiale. En
mettant en place deux électrodes séparées de moins
d’un millimètre en des endroits précis de la spire
cochléaire du Cobaye, (espèce choisie à cause de la
taille exceptionnelle de sa cochlée), on ne détecte que
les sources de courants situées en regard des
électrodes, tout en éliminant les contributions loin-
taines. L’équipe du CID a ainsi démontré comment ce
potentiel variait d’un endroit à l’autre de la cochlée
et comment il reflétait la répartition le long de celle-
ci des processus de détection et d’analyse des
fréquences (tonotopie). Jusqu’aux années 1975-
1980, où apparurent les enregistrements intracellu-
laires et les mesures vibratoires à l’échelle
nanométrique, c’est par le seul moyen du potentiel
microphonique que l’on accédait au fonctionnement
de l’oreille interne in vivo.
À son retour à Paris, Jean-Paul Legouix mit en œuvre
l’enseignement de Davis et, pendant plusieurs années,
fut le seul en France à développer cette thématique.
Après avoir travaillé dans des conditions difficiles à
l’Institut national d’orientation professionnelle
(INOP), c’est seulement à partir de 1960 qu’il pour-
suivit au Collège de France l’étude du potentiel
microphonique chez le cobaye et accueillit dans son
laboratoire de nombreux médecins spécialistes de
l’audition, à une époque où les relations entre scien-
tifiques et médecins étaient rares.
Les années 1970 virent s’accumuler des preuves que
les potentiels microphoniques étaient produits par les
cellules ciliées externes et que le rôle de celles-ci était
étroitement lié à l’existence d’une haute sensibilité et
d’une résolution fréquentielle fine. L’étude de ces
potentiels microphoniques permit à Legouix et à ses
collaborateurs d’élucider l’origine de la non linéarité
du potentiel microphonique et de mettre en évidence
le phénomène du « masquage ». Celui-ci est observé
lorsque deux sons d’amplitude différente sont simul-
tanément appliqués : le potentiel microphonique total
est très inférieur à la somme des microphoniques indi-
viduels, ce qui explique que le son le plus fort rend
moins audible le son le plus faible. Le masquage a des
conséquences importantes en situation d’écoute natu-
relle, caractérisée généralement par un mélange de
sons d’intensités différentes.
Les cellules ciliées externes sont très vulnérables à
l’exposition aux sons très intenses, aux barotrau-
matismes, à l’administration de diverses substances
ototoxiques, notamment certains antibiotiques, ainsi
qu’à une oxygénation défectueuse. Soucieux de
contribuer à établir des normes de sécurité, Legouix
et ses élèves ont procédé à de nombreuses études
systématiques de la vulnérabilité du potentiel micro-
phonique, et donc de l’audition, à ces agressions qui
sont responsables de millions de surdités neurosensorielles.
Leur prévention était, et reste en 2009, un sujet de
santé publique très important car aucun traitement
ne permet la régénération de cellules sensorielles
auditives détruites.
Jean-Paul Legouix utilisait aussi la cochlée, par le biais
des potentiels microphoniques, comme un capteur
naturel permettant de déduire le rôle de transmetteur
de l’oreille moyenne interposée entre le conduit auditif
externe et l’oreille interne. Pour cela il mesurait simul-
tanément la pression acoustique instantanée en avant
de la membrane tympanique et le potentiel micro-
phonique cochléaire. Comme l’amplitude de ce
dernier est liée à celle de la pression acoustique intra-
cochléaire, et que pressions intracochléaire et micro-
phonique sont exactement en phase, la pression
acoustique instantanée interne peut être calculée et
comparée à la pression acoustique externe mesurée, ce
qui révèle l’action de l’oreille moyenne. En bloquant
expérimentalement les vibrations transmises par la
chaîne des osselets, J.-P. Legouix observait un poten-
tiel microphonique résiduel dû à la propagation des
sons par voie osseuse transcrânienne. Cette méthode
lui permit entre autres d’élucider le rôle de l’étrange
anatomie de l’os temporal de la gerboise, petit
mammifère du désert, dotée de cavités tympaniques
(ou « bulles » auditives) géantes qui améliorent sa
capacité à détecter les sons de basse fréquence, seuls
capables de se propager au fond de son terrier.
Les médecins otorhinolaryngologistes effectuent au
quotidien des tests cliniques à l’aide de diapasons et
de vibrateurs, qui leur permettent d’attribuer rapi-
dement la cause d’une surdité soit à la chaîne des
osselets soit à l’appareil neurosensoriel. Ceux d’entre
eux qui ont étudié les travaux de J.-P. Legouix sur les
voies de propagation des sons fondent leurs conclu-
sions sur des bases fonctionnelles plus assurées et
peuvent mettre en œuvre certaines techniques chirur-
gicales de manière plus rationnelle.
N° 27 - LA LETTRE 37
HISTOIRE