Le progrès et le droit
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l'état de ses connaissances, de dommages graves et irréversibles à l'environnement que ses
progrès pourraient provoquer. Ainsi, dans les rapports parfois un peu tendus entre la Science,
le Droit et le Progrès, le principe de précaution permet à certains scientifiques, souvent tentés
de poser avec arrogance et condescendance la sempiternelle question : « quelqu'un pourrait-il
enfin m'expliquer à quoi peut bien servir la recherche en Droit ? », d'entrevoir le début de la
réponse que les juristes pourraient leur faire : « à rien, sauf peut-être à prévenir les dommages
que les découvertes des autres sont susceptibles d' entraîner irrémédiablement ». Le droit de
l'environnement, galvanisé par les droits fondamentaux et le principe de précaution, apparaît
d'ailleurs comme un instrument privilégié de dénonciation des aspects maléfiques du progrès
scientifique. Il aide aussi à comprendre que les progrès scientifiques débouchent parfois sur
des contre-performances.
Les contre-performances du progrès scientifiques peuvent se traduire par la barbarie
dont Stefan Zweig, finalement, devait être victime, comme tant d'autres, au cours de la
première partie du XXème siècle. Sans en revenir à de pareilles atrocités, les contre-
performances du progrès scientifique se mesurent en termes de désagrégation de la planète et
d'exclusion sociale. Face à de telles faillites du progrès, le droit de l'environnement et le droit
social accordent aux citoyens et aux travailleurs des protections minimales. Or, la crise
économique expose, comme on le sait, à la tentation de rogner ces protections minimales :
l'antonyme du progrès, la régression, est embusquée derrière la porte de chaque ministère.
Aussi, dans un Colloque intitulé « Le Progrès et le Droit » organisé en 2014, faut-il insister
sur l'importance de l'émergence du principe de non-régression par lequel le Droit s'efforce tant
bien que mal de prendre acte de l'impuissance de la science et de la technique à poursuivre
l'ascension générale génératrice de progrès social à laquelle on croyait encore à la fin du
XIXème siècle. En droit de l'environnement cette émergence est attestée par l'important
ouvrage dirigé par Michel Prieur et Gonzalo Sozzo intitulé La non régression en droit de
l'environnement, publié en 2012 aux éditions Bruylant. En droit social, elle se réalise dans les
conditions que viennent de préciser deux décisions sur le bien-fondé du 23 mai 2012 (Cf.
Droit social, 2013.339) rendues par le Comité européen des droits sociaux auquel la
tourangelle Diane Roman est une des rares à accorder l'importance qu'il mérite.
Parmi les raisons de croire, à la fin du XIXème siècle, au progrès ininterrompu, Stefan
Zweig notait encore : « Les hommes devenaient plus beaux, plus sains, plus robustes depuis
que le sport endurcissait leurs corps » (op. cit., p.863). Or, en cette année olympique, il est
difficile, quand on parle de performances et de contre-performances de ne pas évoquer celles
qui sont de l'essence même du sport. Il faudrait alors s'interroger sur le dopage ; ce qui nous
rapprocherait de la médecine...
B. Les progrès de la médecine
Les progrès de la médecine se sont, plus longtemps que les autres progrès
scientifiques, maintenus dans une phase d'ascension générale génératrice de bienfaits toujours
plus miraculeux pour l'humanité. Le droit sanitaire et le droit social, qui disposent, en France,
d'une très belle revue dirigée par le Professeur Michel Borgetto, travaillent à permettre au plus
grand nombre de bénéficier des progrès de la médecine. Les droits de l'Homme concourent
aussi à cette fin, notamment par le relais de la Convention sur les droits de l'Homme et la
biomédecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997, entrée progressivement en vigueur à l'égard de