Le calvaire des sous-marins italiens de Mer Rouge (D’après I poveri pescicani del Mar Rosso, in Le Forze subacquee italiane nella Seconda Guerra Mondiale, par Francesco Folcini, Rome, 1962 – Edition révisée par Lorenzo Campo, Rome, 1994) Dès le début de la guerre, la flottille italienne de mer Rouge subit des pertes sensibles. En deux semaines, elle perdit quatre de ses huit sous-marins (les Macallè, Galilei, Torricelli et Galvani), dans des circonstances très variées. ……… Quatre sous-marins sortirent dès le 10 juin 1940 : le Macallè pour Port-Soudan, le Galvani pour Oman, le Ferraris pour Djibouti et le Galilei pour Aden. – Le Ferraris fut le premier hors de combat. Dans la nuit du 12 au 13 juin, il fut surpris en surface par au moins un destroyer britannique. Au cours de la plongée rapide, une manœuvre provoqua l’entrée d’eau de mer dans le local des accumulateurs, endommageant gravement les batteries. Le bateau put cependant rentrer à Massaoua, où il demeura indisponible pendant près de deux mois, éprouvant la longueur des remises en état avec les moyens locaux. – Le Macallè connut un sort encore plus funeste : à la suite d’une erreur de navigation favorisée par un ciel toujours nuageux et par les émanations de chlorure de méthyle (constatées dès le 12 juin et provoquant en deux jours l’intoxication de l’ensemble de l’équipage), le sous-marin alla se perdre sur des écueils devant l’îlot de Bar Moussa Kebir. L’équipage se réfugia sur l’îlot et trois volontaires partirent chercher des secours sur un canot de sauvetage équipé d’une petite voile. Ils parvinrent en terre italienne le 20 juin. – Le Galilei arriva sans encombre devant Aden. Aux premières heures du 16 juin, il coula au sud de ce port le pétrolier norvégien James Stove, qui sombra après avoir été victime d’un violent incendie. Le 18, il arraisonna, en tirant quelques coups de canon, le vapeur yougoslave Drava, qu’il laissa repartir comme neutre, après inspection. L’incendie du pétrolier et le bruit des coups de semonce semblent l’avoir fait repérer par un Gladiator du Sqn 94 en patrouille. Ce dernier lança l’alerte par radio ; un Vincent et un Blenheim décollèrent rapidement d’Aden et attaquèrent le sous-marin, sans succès. Son commandant n’en décida pas moins de rester dans la zone assignée par ses instructions. Dans la nuit, quand le sous-marin émergea pour recharger ses batteries, il commit même l’erreur de rompre le silence radio. Il fut alors repéré par le destroyer Kandahar et le chalutier ASM Shoreham, lancés à sa recherche. Ayant dû replonger, il fut énergiquement pourchassé, sans pourtant subir de dommages. Le 19 juin au matin, des émanations de chlorure de méthyle se manifestèrent, gênant sévèrement la plongée. Le sousmarin fut peu après repéré par le chalutier ASM Moonstone. Le commandant du Galilei décida de ne pas prendre le risque de plonger et de combattre en surface, mais finit capturé par son adversaire, aidé par le Kandahar. Il arriva à Aden le lendemain, les Anglais ayant entre temps mis la main sur des documents secrets décrivant les zones de patrouille affectées aux sous-marins italiens. Cette découverte joua probablement un rôle dans la destruction du Galvani. Le submersible, rebaptisé X2 puis P711 en juin 1942, fut utilisé pour l’entraînement au sein de la Royal Navy. – Le Galvani parvint le soir du 23 juin dans sa zone de patrouille (la plus lointaine), devant Oman. Il semble qu’il ait torpillé le même soir le patrouilleur HMIS Pathan, qui coula le lendemain [Note de l’édition révisée : cette victoire est aujourd’hui confirmée, alors que la thèse officielle qui prévalait était celle d’une explosion interne]. Quelques heures plus tard (vers 02h00 le 24 juin), il fut repéré par l’aviso britannique Falmouth, qu’accompagnait le destroyer Kimberley. Alors qu’il plongeait, le sous-marin fut touché par un obus du Falmouth à la poupe, dans le local des tubes lance-torpilles. Le second maître-torpilleur Pietro Venuti se sacrifia pour fermer la porte étanche du local et donner au bâtiment une chance de survie (acte qui lui vaudra la médaille d’or de la valeur militaire à titre posthume). Malgré ce sacrifice, le sous-marin ne put être stabilisé en plongée et le commandant dut se résoudre à faire chasser partout, pour revenir affronter l’ennemi en surface. Mais le canon et les mitrailleuses étaient inutilisables et le commandant donna l’ordre d’abandonner le bateau, qui coula rapidement, par la poupe, avant que tout l’équipage ait pu évacuer. Le Falmouth récupéra 31 hommes (sur 56). – La mise hors service du Ferraris entraîna son remplacement par le Torricelli, qui quitta Massaouah le 14 juin et arriva devant Djibouti au matin du 19. Le soir même, l’état-major ordonna par radio au sous-marin de se déplacer vers un secteur plus au sud. Parvenu à destination le 21 juin, il fut repéré et pourchassé par des destroyers anglais qui lui infligèrent des dommages tels que le commandant Pelosi dut se résoudre à rentrer à Massaoua. Aux premières heures du 23 juin, alors qu’il traversait en surface le détroit de Bab-el-Mandeb, le Torricelli fut repéré par l’aviso Shoreham. Ayant plongé, il fut pourchassé quelque temps puis l’aviso sembla se diriger vers Perim. Le commandant Pelosi voulut tenter à nouveau de passer en surface et se retrouva alors face non seulement à l’aviso, mais aussi aux trois destroyers Kandahar, Kingston et Khartoum. Le Torricelli, incapable de plonger, endommagea le Shoreham au canon avant de succomber après un combat épique, tandis que le Khartoum était détruit par l’explosion d’une de ses propres torpilles (on a longtemps pensé, par erreur, que l’explosion était due à une torpille italienne). Contrairement au Galvani, le Torricelli n’était pas recensé sur les documents découverts à bord du Galilei. Aussi les Italiens pensèrent-ils que les Anglais avaient une source efficace à Massaoua et n’envisagèrent pas que le nouvel ordre reçu le 19 juin ait pu être intercepté et décrypté par l’ennemi. ……… Il restait à Massaoua trois sous-marins, dont deux sortirent à leur tour en mission de guerre le 19 juin, les Archimede et Perla, toujours en fonction du plan d’action offensif de septembre 1939. – L’Archimede (LV Signorini), envoyé patrouiller au sud-ouest d’Aden, ne put poursuivre sa mission au-delà du 26 juin. Ce jour-là, il dut rentrer non pas à Massaoua, mais à Assab, à cause des ravages causés par les émanations de chlorure de méthyle : une trentaine de marins avaient été atteints, dont quatre moururent avant l’arrivée à Assab et deux après. Le sous-marin ne fut en état de reprendre la mer que le 31 août, après remise en état de l’installation de climatisation, où l’on remplaça le chlorure de méthyle par du fréon. – Le Perla (LV Mario Pouchain) fut envoyé dans le golfe de Tadjoura. L’installation de conditionnement d’air ne fonctionnant pas, l’équipage commença à souffrir de coups de chaleur. Le commandant Pouchain ordonna la révision de l’installation, ce qui fit tomber le bateau de Charybde en Scylla, car l’opération s’accompagna de forts dégagements de chlorure de méthyle. Quand le sous-marin atteignit le golfe de Tadjoura au matin du 22 juin, nombre d’hommes étaient déjà malades et la situation ne fit qu’empirer dans la journée. Il n’en rejoignit pas moins sa zone d’aguets le 23, avant… d’être rappelé par l’état-major (Marisupao). Le Perla retraversa donc le détroit de Bab-el-Mandeb. Le 26 juin, ayant dû émerger avant la nuit pour se repérer et renouveler l’air, il fut repéré et pourchassé par l’aviso Shoreham, auquel il n’échappa que pour aller s’échouer 12 nautiques au sud du phare de Sciab Sciach. Le lendemain 27, une expédition de secours partie de Massaoua (contre-torpilleurs Leone et Pantera et torpilleur Giovanni Acerbi) fut rappelée, en raison de la présence d’une escadre britannique (CL HMNZS Leander, DD HMS Kandahar et Kingston). Le destroyer Kingston essaya en vain d’achever le sous-marin, que sauva finalement l’intervention de huit bombardiers SM-81 italiens. L’équipage fut récupéré en deux fois, les 28 et 30 juin, mais les émanations toxiques et les obus anglais avaient tué seize hommes, dont le second (LV Renzo Simoncini). Quant au bateau, il finit par être déséchoué et remorqué à Massaoua, où il arriva le 20 juillet 1940. Il resta indisponible jusqu’à l’approche de la fin de la campagne d’Afrique Orientale. ……… Le huitième et dernier sous-marin, le Guglielmotti (CC Carlo Tucci), sortit le 21 juin, non pour une mission de guerre, mais pour aller sauver les naufragés du Macallè, qu’il retrouva le 22 juin et ramena à Massaoua. Fin juin, le bilan était donc de quatre sous-marins perdus (3 coulés, 1 pris), un gravement endommagé (le Perla) et deux endommagés, en échange de la destruction d’un pétrolier, d’un destroyer et, peut-être, d’un aviso [Note de l’édition révisée : cette troisième victoire est avérée]. Il restait en tout et pour tout à ce moment le Guglielmotti, que devaient rejoindre successivement le Ferraris (début août) et l’Archimede (fin août). ……… Ces trois unités eurent le plus grand mal à assurer une présence sous-marine italienne en mer Rouge. Jusqu’en janvier 1941, elles ne remportèrent que deux succès1 ! Le 15 août, le Ferraris donna vainement la chasse au cuirassé Royal Sovereign, en transit d’Alexandrie à Durban. Le 6 septembre, le Guglielmotti coula le vieux cargo grec Atlas (4 008 GRT), qui se trouvait à la traîne du convoi BN.4. En octobre, l’Archimede signalait le passage du convoi BN.7 – signalement qui devait conduire à la bataille des îles Farasan. Et en décembre, le Guglielmotti réussit à torpiller le vieux croiseur léger HMS Capetown, qui ne sombra pas, mais fut gravement endommagé. Le Ferraris connut le 7 septembre 1940 une fin humiliante (…). ……… Le 6 février 1941, comprenant qu’après la chute de Keren, celle de Massaoua n’était plus qu’une question de jours, l’amiral Balsamo décida d’ordonner à ses deux derniers submersibles opérationnels de regagner l’Europe en contournant l’Afrique. Les deux sous-marins devaient rallier Bordeaux après avoir été ravitaillés en pleine mer par des navires allemands. Au dernier moment, il fut décidé que le Perla (LV Bruno Napp), à la demande de son équipage, partirait lui aussi, bien qu’il fût deux fois plus petit que les deux autres, qu’il eût besoin de deux ravitaillements au lieu d’un et que la fiabilité des réparations fût incertaine. Le Guglielmotti partit sous le commandement du CF Gino Spagnone, chef du 8e Groupe de SousMarins, avec Carlo Tucci pour second. Son ravitaillement se passa sans incident, grâce au pétrolier Eurofeld. L’Archimede devait être ravitaillé par le pétrolier Nordmark, mais ce dernier ne fut pas au rendez-vous – l’état-major de la Kriegsmarine n’avait songé que fort tard à prévenir la Regia Marina de la perte du navire. Le CC Marino Salvatori, commandant l’Archimede, décida alors d’aller se faire interner à Buenos-Aires. Son bâtiment fut bien accueilli par les Argentins et les conditions d’internement de l’équipage se révélèrent si laxistes que les marins purent sans être inquiétés embarquer à bord d’un cargo japonais, qui alla les déposer à Bordeaux. Depuis, l’ouverture des archives diplomatiques a permis d’apprendre que Supermarina avait proposé aux Argentins de leur offrir le sous-marin en échange d’une complicité passive dans la pseudo1 L'aviation italienne connut encore moins de succès contre les convois alliés, malgré plusieurs tentatives. Le 20 septembre, le cargo Bhima (5 280 GRT), faisant partie du convoi BN5, fut endommagé par un near-miss et remorqué à Aden pour y être échoué. Le 15 octobre, deux navires marchands, les Ranee (5 060 GRT) et Pundit (5 305 GRT), navigant au sein du convoi BS.6A, reçurent des éclats de bombes. évasion de leurs sous-mariniers et que cet échange avait été accepté. Les Argentins ne changèrent même pas le nom du bâtiment ! Quant au petit Perla, il disparut corps et biens. Il aurait dû ravitailler à l’est de Madagascar avec l’Atlantis – mais le corsaire allemand avait été intercepté par les Alliés et la Kriegsmarine ne put lui trouver de remplaçant. Les messages de Supermarina ordonnant au petit sous-marin de se faire interner au Mozambique furent-ils reçus ? On l’ignore. Le sort du Perla reste encore aujourd’hui un mystère. ……… Pendant ce temps, le Guglielmotti, en assez piteux état au bout de deux mois de mer, avait réussi à rallier l’Europe le 12 avril 1941 (ce qui valut au CF Gino Spagone d’être fait chevalier de l’Ordre Militaire de Savoie, tandis que le CC Carlo Tucci recevait une médaille d’argent et une médaille de bronze à la Valeur Militaire pour ses succès de Mer Rouge et cet heureux retour). Avec un bateau aussi fatigué, rentrer en Méditerranée par Gibraltar était très risqué. Supermarina décida alors de réparer le sous-marin à Bordeaux. Dans un port dévasté par les destructions opérées par les Français l’année précédente et avec une Kriegsmarine modérément coopérative, les réparations, effectuées par les mécaniciens chargés de l’entretien des sous-marins océaniques italiens basés sur place, avancèrent lentement. En septembre 1941, on envisagea de l’envoyer au chantier naval de Tarente pour grand carénage et modernisation, mais Gibraltar était devenu un endroit bien gardé et Supermarina hésita à forcer la chance de cette unité devenue un symbole de la détermination italienne. L’amiral Parona, commandant de Betasom, parvint, avec l’appui de Dönitz, à obtenir que le Guglielmotti soit accueilli dans un chantier de la Kriegsmarine – échange de bons procédés : il resterait ensuite dans l’Atlantique. Commandé à nouveau par le CC Tucci, le bateau partit début octobre de Bordeaux pour Lorient, où il fut rejoint par une petite équipe du Génie naval italien chargée de superviser les travaux. De novembre 1941 à février 1942, le sous-marin fut donc radoubé et modernisé. Le 15 mars 1942, commandé par le LV Federico Tamburini (le CC Tucci étant rentré en Italie par voie de terre), le Guglielmotti quittait Lorient pour une première patrouille dans l’Atlantique, après laquelle il rejoignit Bordeaux le 26 avril. Au cours des neuf mois suivants, il effectua trois autres croisières offensives dans l’Atlantique Nord, lors desquelles il inscrivit à son tableau de chasse plusieurs cargos alliés de différentes nationalités, mais il est aujourd’hui difficile de savoir combien et de quel tonnage. En effet, à la fin de 1942, l’annonce de l’armistice italien surprit le sous-marin en pleine mer. Le LV Tamburini n’hésita pas longtemps avant de mettre le cap sur l’Islande. Il voulait échapper à l’emprisonnement dans un camp allemand et jugeait (sans doute avec raison) qu’aux abords de Reikjavik, le risque de rencontrer des unités ASM alliées à la gâchette sensible était moins élevé que du côté de Liverpool ou de New York. En se rendant à… un morutier islandais, le LV Tamburini pensa à détruire les pages des journaux de bord décrivant ses victoires dans l’Atlantique, craignant qu’elles ne fâchent les marins américains qui n’allaient pas tarder à monter à bord. Le Guglielmotti fut d’abord considéré comme capturé et conduit à Norfolk sous bonne garde, mais il était dit qu’il n’en avait fini ni avec la guerre, ni avec les mers chaudes. En effet, en 1943, le gouvernement de l’Italie “cobelligérante” se souvint de lui et l’expédia dans le Pacifique, sous l’autorité de son ancien commandant, Carlo Tucci, passé dans l’intervalle capitaine de frégate et qui s’était rallié au gouvernement Badoglio. Le navire était censé ne servir que de plastron d’entraînement aux groupes ASM américains, mais en 1944, après plusieurs mois de bons et loyaux services, il reçut l’autorisation d’effectuer une mission de guerre contre les Japonais. Sa bonne étoile ne l’abandonna pas et il put ajouter deux cargos japonais à son étonnant palmarès. En 1945, il regagna enfin l’Italie en passant par le canal de Suez, c’est à dire par la Mer Rouge. En arrivant au large de Massaoua, d’où le Guglielmotti, son commandant et une partie de son équipage étaient partis plus de quatre ans plus tôt, le CF Tucci ordonna de tirer vingt-et-un coups de canon, « en l’honneur du Perla et de tous les sous-mariniers, nos frères d’armes ou nos adversaires, qui ne rentreront jamais chez eux ».