Islam et fonction sociale, comment les deux s'articulent-ils ?
La fonction sociale ne s'est pas vraiment traduite dans le Centre, même si on tient des permanences juridiques et
administratives, et à un moment des permanences sociales et d'autres destinées aux étudiants pour les aider à trouver
un logement ou à monter leur dossier de bourse. Mais elle se traduit surtout dans les quartiers, où nous sommes
proches des gens qui en ont le plus besoin. C'est la vocation d'autres associations, qui ne sont pas directement affiliées
à l'UJM, mais dont les membres le sont. C'est un travail humanitaire parfois, mais aussi civique. Les jeunes s'engagent
dans la vie sociale à travers des structures existantes et apportent leur foi.
Quel regard portez-vous sur la laïcité ?
La laïcité est un cadre qui permet aux différentes religions de pouvoir s'exprimer. C'est un cadre qui nous convient
parfaitement dans la mesure où il garantit qu'aucune religion ne prendra le pas sur une autre, et que toute personne,
composante de cette société, peut s'exprimer. Le cadre théorique nous convient parfaitement. Mais, compte tenu de
l'histoire de la société française où la laïcité s'est installée à travers un conflit avec le clergé catholique, la notion porte
encore un sens conflictuel et elle est souvent mal interprétée. Il s'agit alors le plus souvent de faire abstraction de la voix
des religions, alors que les croyants ont le droit de s'exprimer comme toute autre composante de la société. Cette
mauvaise compréhension de la laïcité ne nous permet pas de nous faire entendre, son application est un peu étouffante.
Quelles solutions ?
Ce n'est pas un problème de cadre institutionnel ou juridique, mais d'interprétation et donc de personnes. Avec certains
interlocuteurs qui ont une compréhension ouverte de la laïcité, le problème n'existe pas. Avec d'autre, oui. Par exemple,
il y a des écoles ou certaines jeunes filles portent le foulard sans que cela pose de problème et d'autres d'où elles sont
exclues ! Il faudrait que le cadre légal soit respecté. Là, il ne l'est pas. Plutôt que d'exclure et de marginaliser les
Musulmans, il vaut mieux les laisser exprimer leur foi. Tant qu'il n'y a pas prosélytisme, il faut qu'ils puissent pratiquer
leur religion, comme tout le monde et vivre dans le cadre public et laïc. La majorité des jeunes filles choisissent de porter
le foulard. Ce n'est pas comme si elles y étaient obligées. Certaines, même, le font contre l'avis de leur famille.
Est-ce que votre lecture de la laïcité vous conduit à penser qu'il y a un effort à faire dans les cantines scolaires,
qu'elles ne permettent pas le plein exercice de la religion ?
Oui et non. S'il y a 5% de Musulmans, à eux de s'adapter... ils ne mangeront pas de viande ce jour-là. Mais dans
certaines écoles, il y a 90% de Musulmans ou 90% de Juifs... C'est alors indispensable de faire cet effort. D'ailleurs,
parfois cela se fait. Là encore, tout dépend des personnes. Mais c'est rarement accepté. Même l'idée de servir des plats
de substitution — c'est-à-dire le poisson — pose problème. Pourtant, quand on a 90% de gens qui mangent, ou ne
mangent pas la même chose, c'est absurde de faire comme s'ils n'existaient pas et de s'attacher à une lecture exclusive
de la laïcité.
Dans la librairie, vous vendez presque exclusivement des livres en Français, pourquoi ?
Je suis français, je suis né en France, je vis en France... Je suis d'origine algérienne et si ça reste important pour moi
d'un point de vue culturel, mon attachement à la France est plus fort. Comprendre et vivre ma foi ne peut se faire que
dans un contexte particulier et, ici, il est français. La langue me permet de mieux traduire ma foi, de mieux l'exprimer.
Pour beaucoup la connaissance de la religion passe par le français, et si elle devait passer par l'arabe elle leur serait
inaccessible. Certains parlent l'arabe dialectal, très peu l'arabe littéraire. Et quand bien même, c'est une question de
principe. Nous sommes des Musulmans français, cette foi, nous voulons la vivre en tant que Français, et les
connaissances doivent se faire à travers la langue française.
Est-ce que la représentativité des Musulmans passe par là aussi ?
L'unique problème de la représentativité des Musulmans est un problème d'éducation. Les Musulmans ne sont pas prêts
à être représentés par quelqu'un qu'on leur impose de l'extérieur et qu'ils ne connaissent pas. Nous ne sommes pas
contre le principe de la représentativité, il est évident que les pouvoirs publics ont besoin d'un interlocuteur, mais il faut
laisser le temps aux Musulmans de s'organiser plutôt que de parachuter des gens d'en haut qui ne représenteront
personne et que la base ne suivra pas.
Vous pensez que cette représentativité viendra d'elle-même lorsque l'Islam sera davantage enraciné en France ?
Oui. C'est plus un problème d'hommes que de principes. La représentativité oui, mais pour quel représentant. Il faut
quelqu'un qui comprenne la religion et son contexte, la société française, etc. Et pour cela il faut un certain temps.
Cela nous amène à la question du "personnel" religieux
Oui. Il faut donner aux Musulmans les moyens de créer un institut pour former des imams. Pas un institut d'Etat, mais un
institut fondé et géré par les Musulmans. C'est à nous de le faire et pas au Ministère de l'Intérieur ! C'est comme si on
leur demandait de fonder un Institut Catholique, ça n'est pas logique ! Et pourtant, toutes les affaires musulmanes sont
gérées par le Ministère de l'Intérieur. Pas que l'Islam d'ailleurs, le culte en général. C'est le Ministère de la Ville qui