
4. En dépit de la propension au relativisme, le principe de la recherche de la
vérité est simple.
Une théorie est une suite d’énoncés qui expriment une relation entre plusieurs termes.
Autrement dit, une théorie est une suite de propositions. Une proposition qui décrit un
aspect du réel est vraie quand cette description est conforme aux faits. Une théorie, si
partielle soit-elle, est elle-même complètement vraie quand aucune de ses propositions
n’est contredite par une proposition vraie, que cette dernière fasse ou non partie de la
théorie exposée. Karl Popper a fait figurer Un complément à la critique du relativisme
(1961) à la fin de La société ouverte et ses ennemis. [1] On y lit :
« La principale maladie philosophique de notre temps est le relativisme intellectuel
et le relativisme moral qui, au moins pour une part, en découle. Par relativisme, ou
scepticisme si l’on préfère ce terme, j’entends la doctrine selon laquelle tout choix
entre des théories rivales est arbitraire : soit parce que la vérité objective n’existe
pas ; soit parce que, même si l’on admet qu’elle existe, il n’y a en tout cas pas de
théorie qui soit vraie, ou (sans être vraie) plus proche de la vérité qu’une autre ; soit
parce que, dans les cas où il y a deux théories ou plus, il n’existe aucun moyen de
décider si l’une est supérieure à l’autre. / … / Certains des arguments invoqués à
l’appui du relativisme découlent de la question même : " Qu’est-ce que la vérité ? ", à
laquelle le sceptique convaincu est sûr qu’il n’y a pas de réponse. Mais, à cette
question, on peut répliquer d’une façon simple et raisonnable – qui ne satisferait
probablement pas notre sceptique – qu’une affirmation ou un énoncé sont vrais si,
et seulement si, ils correspondent aux faits. [2] / Que veut dire " correspondre aux
faits " ? Bien qu’un sceptique ou un relativiste puisse trouver aussi impossible de
répondre à cette question qu’à la précédente, c’est en réalité aussi facile et même
presque banal. Par exemple, tout juge sait bien ce qu’un témoin entend par vérité :
c’est justement ce qui correspond aux faits. / … / Il faut distinguer nettement entre
savoir ce que signifie la vérité et avoir un moyen, un critère, pour décider si un
énoncé est vrai ou faux. / … / La plupart d’entre nous ne connaissent pas les critères
qui permettent de savoir si un billet de banque est authentique ou faux. Mais, si nous
trouvions deux billets portant le même numéro, nous aurions de bonnes raisons de
déclarer que l’un des deux [au moins] est faux : assertion qui ne serait pas privée de
signification par l’absence d’un critère d’authenticité. / … / C’est, à mon avis,
l’exigence d’un critère de la vérité qui a fait croire à tant de philosophes qu’il était
impossible de répondre à la question : " Qu’est-ce que la vérité ? ". Mais l’absence de
ce critère ne rend pas la notion de vérité dénuée de sens, pas plus que l’absence d’un
critère de la bonne santé ne rend dénuée de sens la notion de santé. En l’absence de
tout critère, un malade peut chercher à retrouver la santé, et un homme qui s’est
trompé rechercher la vérité. / Un des résultats directs des travaux de Tarski sur la
vérité est le théorème logique : il ne peut y avoir de critère général de la vérité. Ce
théorème est fondé, et il repose sur la notion même selon laquelle la vérité est la
correspondance avec les faits : c’est-à-dire sur une notion pour laquelle nous n’avons
pas de critère. L’exigence déraisonnable des philosophies du critère, si on l’avait
respectée en l’occurrence, nous aurait empêchés à jamais d’aboutir à ce résultat