Un poème naturaliste : La découverte, de Charles

Un poème naturaliste : La découverte, de Charles MAURRAS
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Un poème naturaliste : La
découverte, de Charles
MAURRAS
- FRANCAIS - Bibliothèque - Lectures -
Date de mise en ligne : dimanche 6 octobre 2013
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Un poème naturaliste : La découverte, de Charles MAURRAS
Ce joli poème du jeune Maurras décrit la vie humaine comparée à un souffle. Il en explique
l'origine, le mode de transmission et la signification. Notre commentaire pourra sembler
partial, il est cependant conforme à la pensée que le maître de l'Action Française a développée
tout au long de son oeuvre et que nous avons déjà résumée dans l'article Charles MAURRAS entre
Positivisme, Empirisme organisateur et Nationalisme. À charge aux contradicteurs de trouver une
explication de texte autre que le simple goût de l'esthétique, tant il est vrai que cet amoureux des
mots est réputé pour la précision de son langage.
La Découverte
Par les grand'routes en lacets
Qui serpentent sous nos étoiles,
Le vent de mer qui frémissait
Tendit mon coeur comme une toile.
Comme il mettait en mouvement
Depuis la cendre des ancêtres
Jusqu'au brasier du firmament
Toutes les sources de mon être,
La vie entière m'apparut,
Sa dureté, son amertume
Et, quelque lieu qu'on ait couru,
Cette douceur qui la parfume. [1]
Analyse vers par vers
Première strophe
« Grand'routes en lacet qui serpentent » Les routes ne se contentent pas de couper, d'enfoncer l'espace, elles
l'occupent totalement, elles s'y insinuent en « serpentant » « en lacet ». L'espace occupé est un espace à deux
dimensions, le plan horizontal de la Terre comme le suggère l'image du serpent, du reptile qui rampe. Les routes ne
sont qu'un moyen de voyager, mais rien n'est encore dit sur le(s) voyageur(s). Elles sont donc considérées pour
elles-mêmes, d'une manière statique, en puissance d'être empruntées.
« Sous nos étoiles » Après le plan terrestre horizontal évoqué précédemment, on considère la dimension verticale.
L'ensemble constitue donc l'espace à trois dimensions. Le ciel étoilé semble un observateur bienveillant ; l'adjectif
possessif « nos » suggère la confiance et une certaine familiarité. Cependant le ciel apparaît lui aussi statique,
peut-être encore plus statique que la Terre, car il n'offre même pas de route pour s'y rendre et l'investir. Il demeure
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inaccessible.
« Le vent de mer qui frémissait » Un élément dynamique intervient enfin : le vent. C'est lui le voyageur qui se
déplace « par les grand'routes ». Plus que mobile, ce vent est vivant — comme le suggère le verbe « frémir »
—, peut-être même est-il doué de volonté pour décider quelle route il doit emprunter. Le vent vient de la Mer.
Terre, Ciel, Mer (ou Terre, Air, Eau) ! Voici considérés trois des quatre éléments qui, dans la physique des Anciens,
constituent l'univers. Manque donc, pour décrire le monde dans sa totalité, le quatrième élément : le Feu.
« Le vent de mer qui frémissait tendit mon coeur comme une toile. » Ce vent vivant, qui a investi les routes,
parvient enfin jusqu'au coeur de l'auteur et le gonfle comme il le ferait avec la toile d'une voile. Il lui insuffle son
énergie. À ce stade, on ne sait pas vraiment ce que représente le vent : une émotion ? la vie elle-même ? À moins
que ce ne soit une inspiration qui tend le coeur de l'artiste comme la toile tendue d'un tableau est prête à recevoir sa
peinture, à accueillir sa vision, son idée.
Deuxième strophe
« Comme il mettait en mouvement » Le vent de mer est donc bien ce qui met en mouvement. Il est le moteur.
« Depuis la cendre des ancêtres » Ce vent soulève la poussière (ou la cendre), l'anime, lui communique la vie
avant qu'elle ne retombe. Ce vers, très important, permet d'identifier enfin sa nature : il s'agit du vent de vie, de la vie
elle-même.
En effet le mouvement de la vie se transmet de génération en génération, chaque existence se dissipant en
poussières pour les chrétiens, ou en cendres pour les païens !
« Jusqu'au brasier du firmament » Le vent attise le feu du brasier et soulève des étincelles jusqu'au ciel pour en
faire autant d'étoiles. Voici le Feu, le quatrième et dernier des éléments qui constituent l'univers dans l'ancienne
physique. Le monde est maintenant décrit de façon exhaustive. Le vent de la vie consume l'être vivant dans un
brasier. La mort consiste à réintégrer l'univers dont on est sorti, avec un plus cependant : non seulement elle nous
conduit à regagner la Terre, par les cendres qu'on laisse (mouvement horizontal), mais elle nous permet aussi de
nous approprier le Ciel (mouvement vertical), car le brasier projette des étincelles qui sont autant de poussières
d'étoiles. Un enfant de dix ans, à qui était expliqué le poème, a de lui même fait le rapprochement avec le film Le Roi
lion, des studios Walt-Disney. Le jeune roi retrouve en effet son courage grâce à l'initiation du vieux singe (le sage),
qui, en lui montrant les étoiles, lui révèle que son père et ses ancêtres veillent sur lui dans ce monde. On comprend
maintenant cette familiarité avec les étoiles, évoquée à la première strophe : « nos étoiles » s'identifient à nos
ancêtres. Maurras nous livre ici le symbolisme du rituel païen de l'incinération, de la crémation des défunts.
« Toutes les sources de mon être » Le vers synthétise et assoit tous les précédents, il établit que le vent de vie,
par lui seul, explique :
L'existence et la vie actuelles (qui suis-je ?) : c'est le monde lui-même, grâce à l'impulsion primordiale du vent
de mer, qui tend mon coeur, me donne le mouvement, m'anime, me fait vivre.
L'origine lointaine de la vie (d'où viens-je ?) : de la Mer (de la Mère). N'y aurait-il pas là comme un écho à la
théorie de l'évolution selon laquelle la mer — la fameuse soupe prébiotique — permit la synthèse
des premiers acides aminés susceptibles de s'auto-répliquer et de générer le vivant ?
L'origine immédiate de la vie : la vie nous est directement communiquée par nos ancêtres.
La destinée de l'homme (où vais-je ?) : l'horizon de la vie est l'univers lui-même et plus précisément, la Terre
(par les cendres qu'on laisse) et le Ciel qu'on investit grâce à l'élan impulsé par le brasier de la vie.
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Troisième strophe
« La vie entière m'apparut » Il y a dans ce vers plus que l'affirmation de la simple existence, plus que celle de la vie
, plus encore que la conscience d'être en vie qu'éprouvent tous les êtres doués de raison. À la manière de
l'illumination d'une révélation — ou d'une initiation — l'« eurêka » de l'auteur manifeste qu'il a saisi le
mystère de la vie même, dans toutes ses dimensions : dans l'espace avec la première strophe, et dans le temps
avec la deuxième. Il le comprend de façon intime, intuitive, comme une apparition qui imprimerait « la toile de son
coeur ». C'est cette découverte essentielle qui donne son titre au poème.
« Sa dureté, son amertume » Miraculeuse, la vie se révèle pourtant dure à l'expérience, ce qui conduit son sujet à
de l'amertume, en effet : à quoi sert la vie et la conscience d'être en vie, si c'est pour souffrir ? À quoi bon naître de la
cendre pour redevenir cendre ou même poussière d'étoile ? L'amertume naît du désenchantement de la
découverte.
« Et, quelque lieu qu'on ait couru, cette douceur qui la parfume. » Le mot douceur s'oppose au mot dureté du
vers précédent dans un paradoxe qui est celui de la vie elle-même : malgré son âpreté, chacun éprouve en effet que
la vie est un bien, et, de façon primaire, instinctive, cherche à la maintenir, à la préserver, à en jouir le plus
longtemps possible.
Synthèse
Dans ce poème, à notre sens initiatique, Maurras chante la vie et dévoile ce qu'il pense en être le mystère. L'univers
contient et communique la vie, l'âme, dans un souffle continu qui se déploie dans l'espace et le temps et qui
se transmet indéfiniment tout en consumant ses hôtes comme un brasier.
Dieu — dont il n'est à aucun moment suggéré l'existence ou l'action — est une hypothèse non
nécessaire. Le monde génère la vie par lui-même, et dans ce cadre tout panthéiste, les attributs divins lui sont
transférés ; il est à la fois :
l'alpha : le souffle de la vie vient de la Mer et parvient jusqu'à nous par nos ancêtres.
l'oméga : nous terminons cendres (dans la Terre), et étincelles, étoiles dans le Ciel.
Le Ciel symbolise l'esprit du monde, le monde dans sa conscience de lui même. Cette « conscience du monde »
grandit à mesure que les « âmes » (les consciences individuelles des défunts) le gagnent, aussi finit-il par se
confondre avec elles : « nos étoiles » sont nos ancêtres. Le Ciel veille sur l'humanité vivante actuellement qui se
déploie dans l'espace terrestre. Il a sûrement participé avec la Mer à la genèse du vent de vie qui, comme lui, est de
nature aérienne.
En réalité, on sait que Charles Maurras adhère à la philosophie positiviste d'Auguste Comte, ce qui l'enferme dans le
descriptif pur et ne lui permet d'accéder qu'au comment des choses. Seule la métaphysique — ou science de
l'être — lui aurait permis de concevoir correctement la question du pourquoi, de la raison d'être et de la cause
finale. Malheureusement la métaphysique est condamnée par le positivisme comme un archaïsme, une des trois
étapes de l'évolution de l'humanité. Cette philosophie postule le progrès de l'humanité et en distingue artificiellement
trois âges :
L'Âge théologique, qui explique les phénomènes naturels grâce à l'intervention de divinités.
L'Âge métaphysique, plus évolué mais encore très limité.
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L'Âge scientifique ou positif, ou moderne.
À ce sujet le maître de l'Action Française précise sa pensée dans de nombreux autres textes :
Le dogme catholique met à son centre l'être le plus grand qui puisse être pensé, id quo majus cogitari
non potest, l'être par excellence, l'être des êtres et celui qui dit : sum qui sum.
Le dogme positiviste établit à son centre le plus grand être qui puisse être connu, mais connu «
positivement », c'est-à-dire en dehors de tout procédé théologique ou métaphysique. Cet être, les
sciences positives l'ont saisi et nommé au dernier terme de leur enchaînement [...] le Grand-Être est l'
Humanité. [2]
Ailleurs Maurras dit encore :
Tant mieux si ce Comte a quelque netteté. Le nouveau de l'étude est qu'elle est conçue par rapport à la
Synthèse subjective, qui est la fin et le centre du Positivisme, que personne ne lit et qui parle à mon
paganisme à cause de la demi-déification de la Terre et du Ciel. [3]
Assurément le refus de la transcendance divine constitue le trait essentiel de la Modernité comme le souligne bien
Bonald :
La philosophie des modernes, sérieusement approfondie et réduite à sa plus simple expression, est l'art de
se passer de l'être souverainement intelligent, de la Divinité, dans la formation et la conservation de l'univers,
dans le gouvernement de la société, dans la direction même de l'homme. [...] Je le répète : la philosophie
moderne n'est autre chose que l'art de tout expliquer, de tout régler sans le concours de la Divinité. [4
]
L'hypothèse divine étant écartée, l'homme reste le seul être intelligent connu, il acquiert ainsi le statut désespérant
d'horizon du monde : ne s'étend-t-il pas, à la fois sur terre (les cendres) et dans le ciel (les étoiles) ? Cette
découverte s'accompagne d'un certain trouble, d'une certaine psychose ainsi que le constate la philosophe moderne
Hannah Arendt (sans d'ailleurs bien distinguer la cause de l'effet) :
L'âge moderne avec l'aliénation croissante du monde qu'il a produit, a conduit à une solution où l'homme où
qu'il aille ne rencontre plus que lui-même. [5]
On tient là une source de cette amertume associée à la découverte du mystère la vie sans Dieu éprouvée par
Maurras — comme d'ailleurs par tous les Modernes. En effet, en circonscrivant la vie au seul monde matériel
et en écartant la possibilité d'un Créateur extérieur à l'univers, il faut renoncer définitivement à expliquer son
âpreté et à lui trouver un sens. En renonçant à la transcendance et en bornant le monde à cette humanité dont
chacun connaît les pauvres limites, l'utopie anthropologique de Maurras désacralise la Création. À ce jeu, il n'est pas
jusqu'aux étoiles qui voient ternir leur éclat, car devenues humaines.
C'est bien cette même amertume terrible qu'évoque un autre Moderne, le ministre du travail socialiste René Viviani
dans sa déclaration à la Chambre des députés le 8 novembre 1906 :
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