1| Le transcendantalisme
e un mouvement
philosophique utopie
qui prône l’élévation
spirituelle du genre
humain. Sa figure de
proue, le philosophe
Ralph Waldo Emerson,
était un grand ami de
Henry David Thoreau.
Mêlant observation de
la nature,
autobiographie,
philosophie et fiion, le
nature writing e
devenu, aux États-Unis,
un genre à part entière,
dont Thoreau e
considéré comme le
fondateur.
LE LIVRE >
Journal, à paraître le 21octobre 2014 aux éditions Le Mot et le
reste. Sélection de Michel Granger, traduction de Brice
Matthieussent.
L’AUTEUR >
Figure iconoclaste de la scène littéraire américaine naissante du
e
siècle, l’écrivain et poète Henry David Thoreau (1817-1862),
célèbre pour Walden ou la Vie dans les bois, est considéré comme
un pionnier de l’écologie et de la désobéissance civile, à laquelle il
a consacré un livre.
L
Thoreau, archivisTe du climaT
En se retirant pendant deux ans dans une forêt du Massachusetts, en 1845, Henry David
Thoreau ne s’est pas contenté d’interroger de manière très moderne le rapport de la
civilisation industrielle à la nature. Grâce aux relevés minutieux qui figurent dans son
journal, il a aussi offert aux scientifiques d’aujourd’hui une source inestimable
d’informations sur l’évolution du climat.
ANDREA WULF. The New York Times.
e 4 juillet 1845, Henry David Thoreau
partit s’installer dans une petite cabane
au bord de l’étang de Walden, à deux kilo-
mètres environ de sa ville natale de
Concord, dans le Massachusetts. « Je
gagnai les bois parce que je voulais vivre
suivant mûre réflexion, n’affronter que les
actes essentiels de la vie. » Pendant deux
ans, deux mois et deux jours, il marcha,
observa, écouta, écrivit et lut. De cette
expérience découla un livre, Walden ou la
Vie dans les bois. Ce livre fit de Thoreau
l’un des écrivains américains les plus
aimés, et beaucoup voient en lui le pre-
mier écologiste du pays. Aujourd’hui, c’est
pourtant un autre aspect de son œuvre
qui est mis en avant, concernant cette fois
la recherche sur l’environnement.
Professeur de biologie à l’université de
Boston, Richard Primack collabore depuis
une dizaine d’années avec des confrères
de Harvard. Leur objectif : utiliser les
observations contenues dans le Journal
de Thoreau comme base d’une étude
pionnière sur le changement climatique.
De 1852 à 1861, Thoreau a en effet consi-
gné les dates exactes de floraison et de
feuillaison de plusieurs centaines de
fleurs, de buissons et d’arbres de la région
de Concord. Ses listes et ses graphiques
sont si méticuleux que Primack et ses col-
lègues ont pu (après avoir péniblement
déchiffré l’écriture de Thoreau et retrouvé
les équivalents modernes des noms don-
nés aux plantes dans les années 1850) les
comparer avec des relevés effectués de
nos jours au même endroit.
Thoreau a passé neuf ans à écrire et
réécrire Walden. Des années au cours des-
quelles il se débattit pour faire coïncider
sa passion (son obsession, diront cer-
tains) pour l’observation détaillée de la
nature et son amour de la poésie. Pendant
tout ce temps, il fit des promenades dans
la campagne en prenant note des espèces
végétales et de leur période de croissance.
Il mesurait la profondeur des cours d’eau
et des étangs, relevait les températures,
conservait des échantillons dans des her-
biers et enregistrait l’arrivée et le départ
des oiseaux migrateurs. Au lieu d’« aller
voir quelque savant », il parcourait des
kilomètres à travers bois pour ses rendez-
vous avec les plantes. Il en venait parfois
à craindre que « cette habitude d’obser-
vation attentive » compromette ses efforts
littéraires. Un jour, après un long trajet en
bateau, griffonnant page après page de
notes, il termina l’entrée de son journal
en remarquant que « chaque poète a
tremblé au seuil de la science ».
Entre le début et la fin de la réécriture
de Walden, Thoreau connut une évolution
personnelle : de poète transcendantaliste
adorateur de la nature, il devint l’un des
chefs de file américains du nature wri-
ting
1. C’est alors qu’il commença d’utiliser
son journal intime comme un témoignage
détaillé de sa découverte du monde natu-
rel, établissant un programme quotidien
d’études sérieuses, le matin et le soir,
ponctué par une longue promenade
l’après-midi. « J’omets l’exceptionnel – les
ouragans et les tremblements de terre – et
je décris l’ordinaire, écrivit-il en août 1851.
C’est le banal qui a le plus de charme et
qui constitue le véritable sujet de la poé-
sie. » Composées dans un premier temps
de fragments et de notes brèves, les
entrées du journal étaient désormais
régulières et chronologiques, reflétant les
saisons dans toute leur complexité.
« C’est mon année d’observation », pro-
clamait Thoreau en juillet 1852. Armé
d’un chapeau (sa « boîte à botanique »)
où il conservait les spécimens végétaux,
d’un livre de musique en guise de presse
et de sa canne comme unité de mesure, il
en vint à profondément apprécier les
cycles de la nature et les relations unis-
sant ses différentes composantes.
Les plus beaux passages de Walden
trouvent leur source dans le journal de
Il conservait des échantillons
dans des herbiers et enregistrait l’arrivée
et le départ des oiseaux migrateurs.
44 N° 58 | OCTOBRE 2014
SCIENCES
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