MAGAZINE } santé Cette page Magazine santé est réalisée en collaboration avec l’Hôpital du Jura et le Service cantonal de la santé publique. Quand la thérapie choisit l’alternative V SOINS L’accompagnement thérapeutique prenant appui sur l’art occupe une place singulière dans le monde médical. Pourtant, la discipline fait ses preuves en ambulatoire comme en milieu hospitalier F aire entrer l’art dans une thérapie par le biais de la musique, la peinture, le théâtre, la danse, la photographie ou toute autre forme artistique, est une pratique assez récente en milieu hospitalier. Pour les prises en charges psychiatriques à l’Hôpital du Jura, une art-thérapeute et une musicothérapeute, en étroite collaboration avec les ergothérapeutes et l’ensemble des soignants, assurent l’accompagnement des malades en plus des soins infirmiers et médicaux. «Il nous semblait important d’étoffer l’offre de soins et de proposer aussi des thérapies alternatives», renseigne la Dresse Patricia Mbumaston, médecin-cheffe de l’unité médico-psychologique (UHMP) de l’Hôpital du Jura (H-JU), à Delémont, et de l’unité de psychogériatrie (UHP), à Porrentruy. A l’UHMP, qui accueille à la fois des personnes dépendantes (à l’alcool ou à d’autres drogues), des malades présentant des troubles psychotiques ou souffrant de dépression, la possibilité de se tourner vers des thérapies différentes est très importante. «La crise aiguë passée, nous proposons un accompagnement thérapeutique complémentaire par le biais de l’art, de la musique et de l’ergothérapie. Ces moyens de soins différents aident les personnes à se sentir mieux, à retrouver des centres d’intérêts, une certaine estime de soi et à s’exprimer», explique la doctoresse. Une reconnaissance médicale Dans les établissements d’autrefois, l’art thérapie n’existait pas en tant que discipline. Elle se limitait à une «thérapie occupationnelle» vouée à distraire les malades par le dessin, la musique ou autres matières artistiques. C’est bien plus récemment que l’art est devenu réellement un accompagnement thérapeutique gagnant peu à peu sa place dans les soins actuels. «Aujourd’hui, l’artthérapie et la musicothérapie font partie du concept de prise en charge. Dans les unités psychiatriques de l’H-JU, les thérapeutes de ces deux disciplines participent aux colloques au même titre que les autres membres de l’équipe pluridisciplinaire et font part de leurs observations à l’égard des malades, note Patricia Mbumaston. Pour moi, leurs observations sont très importantes parce que souvent différentes de celles du reste de l’équipe soignante. Il n’est pas rare de voir un patient lâcher prise pendant une séance d’art-thérapie, alors qu’il reste complètement fermé face à un médecin, par exemple.» Confidentielle dans les années 1950, très en vogue depuis les années 1990, l’art-thérapie peut s’inclure dans différentes pratiques médicales, que ce soit la psychiatrie, la gériatrie, la pédiatrie ou l’accompagnement de personnes en fin de vie. Par le biais de l’art (musique, dessin, théâtre, danse, etc.), une personne ayant du mal à s’exprimer verbalement peut mobiliser un autre langage et évoquer son existant par la créativité, plutôt que par des mots. L’œuvre devient alors l’expression émotionnelle d’un vécu, surtout par son processus de création, plus que par l’objet fini. «C’est pour cette raison que le patient est plutôt orienté vers un style artistique qui l’attire, mais qu’il ne maîtrise pas forcément. Car orienter un pianiste vers la musicothérapie, par exemple, aurait peu d’intérêt pour développer sa créativité…», développe Patricia Mbumaston. La personne doit être surprise par ce qu’elle produit, s’en étonner, critiquer, expliquer son cheminement. Ce sont ces aspects de l’œuvre qui intéressent l’art-thérapeute dans son accompagnement. Lâcher prise, s’exprimer et s’accepter Lorsque le patient n’est pas en mesure d’être actif, il peut par contre se montrer réceptif. «Pour diverses raisons d’ordres physiques ou psychologiques, certaines personnes ne peuvent pas peindre, chanter ou jouer d’un instrument. Cela ne veut pas dire que la musique ne peut avoir un effet bénéfique sur elles: la simple écoute peut aussi être apaisante pour certains.» De manière individuelle ou en petits groupes, les patients rencontrent l’art-thérapeute ou la musicothérapeute plusieurs fois pendant leur séjour. «Certains poursuivent même le traitement en ambulatoire, une fois sortis de l’hôpital», se réjouit Patricia Mbumaston. C’est le cas de Bernadette* qui, par l’art-thérapie «voulait se donner la chance de sortir des émotions trop fortes pour être supportables, extérioriser et dépasser (son) problème». Avec l’aide de l’artLa peinture ou toutes autres formes d’expression artistiques peuvent entrer dans une séance thérapeute Lise Poupon (voir article d’art thérapie. ci-dessous) et d’une ergothérapeute, Bernadette a pu réveiller ses sens, se déculpabiliser de «vieux démons la thérapie passe aussi par le sport. ment de physiothérapie, ce qui est le l’ayant conduite à l’alcool et à la dro- Un autre moyen encore de se tourner cas depuis longtemps à l’UHP. vers des soins alternatifs. Dans ce PEGGY FREY gue». Dans d’autres établissements, à la sens, à l’UHMP de l’Hôpital du Jura, *prénom d’emprunt. Clinique Le Noirmont, par exemple, les patients bénéficient nouvelle- Se sentir mieux grâce à la musique Musicothérapeute formée à l’école de Genève, Josette Lovis intervient à l’unité de psychogériatrie de l’H-JU, à Porrentruy, et au foyer Les Fontenattes, à Boncourt. Ses instruments de travail sont, à juste titre, des instruments… de musique! Cymbales, piano, bâton de pluie, tambourin, xylophone, guitare et enregistrements prennent place dans la mallette de soins de la thérapeute. «Lorsque je rencontre un patient pour la première fois, je cherche par quel son je vais pouvoir provoquer chez lui une émotion, explique la praticienne. Certaines personnes réagissent à la voix, d’autres à un instrument. L’important est de créer une interaction entre la musique, la personne en souffrance et la thérapeute.» Apaiser le physique et l’intellect peut être bénéfique dans certains cas. Cette thérapie ne se veut surtout pas intrusive pour le patient. La musique doit l’aider à libérer l’émotion du moment, à exprimer ses sentiments ou à les retrouver, ou simplement lui amener un moment de mieux-être.» Parfois, la réaction et très minime. «C’est pour cela que la musicothérapeute observe beaucoup son patient, surtout celui qui ne dispose pas de la parole pour exprimer un ressenti. Un regard, l’ébauche d’un sourire, un mouvement, chaque signe peut être celui d’une émotion que l’on cherche juste à créer sans l’interpréter.» Pratiquée depuis les années 1950, de manière individuelle ou en groupe, la musicothérapie amène de bons résultats dans diverses branches de la médecine, que ce soit pour améliorer la santé mentale, physique ou émotionnelle des patients. Ses patients sont handicapés physiques, déficients intellectuels, déments, dépressifs, souffrant d’addictions ou encore en fin de vie. Pour chacun d’eux, la musicothérapeute trouve «la porte d’entrée musicale» qui permettra de les apaiser physiquement et intellectuellement, de leur faire lâcher prise, voire de les soigner. «D’un patient à l’autre, selon leur pathologie, la thérapie et le niveau de participation du malade peuvent être très différents.» Si avec certains, Josette Lovis peut aller jusqu’à chanter ou jouer sur un tambourin, d’autres lui font comprendre qu’ils ont juste besoin de silence. «Celui-ci fait aussi partie de la musicothérapie et La musique peut apaiser un patient physiquement et intellectuellement. 14 | Mercredi 12 septembre 2012 | Le Quotidien Jurassien PF Retrouver sa créativité pour mieux s’accepter Art-thérapeute diplômée, Lise Poupon travaille au sein de l’unité médico-psychologique de l’Hôpital du Jura, à Delémont, depuis octobre 2011. «L’hôpital souhaitait enrichir son éventail de soins vis-à-vis des patients de ce service, qui viennent me voir s’ils le souhaitent. Dans le cadre de leur traitement, je leur propose un accompagnement thérapeutique par le biais des arts. Créer peut les aider à se ressourcer, à éveiller leurs sens, à se revaloriser en se servant de leurs mains.» Pinceaux, feuilles, craies, tissus, une machine à coudre, des papiers de collage, la salle de travail de l’art-thérapeute ressemble plus à une pièce de bricolage qu’à un cabinet de consultation. «La créativité est souvent négligée chez les personnes souffrant de maladies psychiques, de toxicomanie ou de dépression. Pourtant, elle est un moyen d’expression pour ces personnes souvent isolées.» S’exprimer par l’art Lors d’une première séance, par le biais d’une discussion, le patient pose son problème, ses attentes, ses questionnements et ses désirs. «La personne ne souhaite pas toujours parler, ou n’arrive pas à mettre le doigt sur son problème. Ce n’est pas grave du moment qu’elle accepte de s’ouvrir à la création», explique la thérapeute. Par le son, le mouvement, la lecture, les arts plastiques ou la scène, Lise Poupon trouve une passerelle pour sortir le patient de son isolement et l’aider à s’exprimer. «Je ne suis pas dans l’inter- prétation. Si on prend le cas d’un dessin, je ne cherche pas à expliquer le problème de la personne en commentant sa création. Mon but serait plutôt le développement du processus créatif, l’émergence de surprises, la découverte de libertés et l’aventure vers l’inconnu en se racontant par le dessin. L’important dans mon atelier n’est pas la valeur esthétique de l’œuvre, mais ce qu’elle évoque pour le patient, la restauration de certains souvenirs enfouis, par exemple.» Moment de légèreté, d’oubli parfois, le patient peut se laisser aller à sa créativité dans l’atelier de Lise Poupon. «Contrairement aux enfants, les adultes négligent leur inventivité et se confinent dans une certaine normalité. Jouer avec leurs sens, imaginer, sont des attitudes assez marginales dans notre société, alors qu’elles procurent une certaine stabilité, un laisser-aller agréable.» Dans les institutions psychiatriques, s’exprimer par l’art lorsqu’on ne peut le faire verbalement, n’est pas chose nouvelle. Certains patients ou patientes, comme l’artiste Aloïse Corbaz*, internée à l’asile de la Rosière à Gimel, en 1920, pour troubles psychologiques, sont même reconnus. Ce dernier aspect n’est pas le but de l’art-thérapie, qui vise plutôt le développement de symboles que la production artistique. PF *Les œuvres d’Aloïse Corbaz sont exposées à la Collection de l’art brut de Lausanne, jusqu’au 28 octobre, www.artbrut.ch